Chapitre 59. Roxanne

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3 mois plus tard

En ce jour morose, où la pluie et le vent se sont invités à mon grand désarroi, j'ai pris la décision qu'il serait plus judicieux de rester à couvert, afin de mettre un peu d'ordre dans la pile de courrier qui s'amasse sur la table basse depuis une semaine. Plongée dans la paperasse et loin d'en venir à bout, j'ai envoyé Léo au supermarché du coin afin qu'il remplisse le frigo, celui-ci claque des dents depuis un bon moment. Le manque de temps ne joue pas en notre faveur, trop de travail d'un côté comme de l'autre. Je jongle sans arrêt entre l'entreprise familiale qui monopolise la majeure partie de mon temps et la salle de sport où j'apporte de l'aide à mon mari quand cela m'est possible. Factures, factures, et encore des factures, j'en ai ma claque de remplir des chèques, les mettre sous enveloppes et de devoir lécher ces maudits timbres au goût poisseux de colle industrielle. Je termine tout juste la sale besogne lorsque Léo rentre les bras chargés de victuailles.
Enfin, nous allons pouvoir déguster un vrai repas. Pensé-je en constatant que mon estomac crie famine et que mes intestins font des saltos dans mon ventre.  Le fast-food et les plats tout préparés ont eu raison de mon appétit. Je n'ai plus goût à manger ces cochonneries bourrées de produits chimiques, et je crois que pour Léo c'est également le cas, mais il ne dit rien pour ne pas m'accabler.

— Salut, besoin d'aide ? Lui demandé-je en le voyant chargé comme un mulet.

— Ce ne serait pas de refus. Prends ce sac s'il te plaît avant qu'il ne s'écrase au sol.

Je le débarrasse et pars en direction de la cuisine avec Léo sur les talons. En vidant le contenu des cabas, je ne fais que saliver devant le fromage, la charcuterie et la viande fraîche qui me font de l'œil. Miam, miam... j'ai une faim de loup. Mon homme me tend un emballage que je ne connais que trop bien, et cela m'exaspère de constater qu'il a encore acheté un foutu test de grossesse.
— Pourquoi tu t'entêtes ? Chaque mois tu me fais subir le même sort. C'est à croire que ça t'amuse de me voir pleurnicher lorsque le résultat négatif s'affiche. Fulminé-je en partant dans le salon afin de calmer mes nerfs en ébullition.

— Roxanne. Souffle-t-il las de mes remontrances.  J'ai pensé que...

— Justement Léo, tu ne penses qu'à ça ! Perpétuer ta descendance est tout ce qui t'importe finalement. Je ne suis bonne qu'à engrosser c'est ça ?

— Arrête de dire des conneries. Tu le veux autant que moi cet enfant, et comme tu as quelques jours de retard, j'ai cru bon t'acheter un test... voilà tout.

Six jours de retard et il s'imagine déjà changer les couches culottes, donner le bain, préparer le biberon. Il va falloir qu'il remballe ses envies puisque je ne suis pas enceinte bordel !

— Redescends sur terre mon amour, ce n'est pas parce que tu penses avoir des spermatozoïdes ultra puissants que tu peux me mettre en cloque en un temps-record. Tu as peut-être de bonnes graines comme tu le dis, mais moi je pense que ma terre n'est pas fertile.

— Je n'insiste pas ! Je n'ai pas envie de t'entendre crier ! J'ai eu ma dose... mes tympans ont déjà assez souffert par les braillements d'un gamin capricieux qui piquait sa crise en caisse pour une friandise.

— Dans ce cas, tiens-toi loin de moi car tu risques encore de m'entendre hurler.

— Très bien ! Sur ce Madame l'emmerdeuse, je vais préparer le dîner !

— C'est ça ! Va jouer avec tes casseroles et ne me casse pas les pieds !

Ce qu'il peut m'agacer par moments, têtu comme il est, on ne peut pas faire pire. Peut-être bien que si finalement, lorsqu'on m'analyse de plus près.
Un bébé. Il croit que ça vient comme ça lui, qu'une petite baise suffit pour que sa gentille petite femme tombe enceinte. Et bien non ! Malgré nos nombreux essais, mon corps refuse qu'un petit être se développe en moi. Est-ce ma faute si mon système reproducteur est en stand-by ?
Je prends mes aises sur le canapé et allume la télé en espérant trouver un programme qui puisse attirer mon attention afin de me détendre, et ainsi calmer la colère qui m'habite. Je zappe d'une chaîne à l'autre, et comme si le destin n'avait pas fini de me jouer des tours, je ne tombe que sur des émissions où il est question de maternité. Je soupire et éteins l'écran avant de péter un câble.
J'en ai marre de voir le bonheur qu'affichent les futures mères.
Ras-le-bol d'entendre le club des ventres ronds se plaindre des nausées, des insomnies, et des vergetures, alors que de mon côté je n'attends que cela ressentir toutes ces émotions, voir mon corps se transformer et mettre au monde un enfant.
Grrrr...  Fichu karma !
Je m'allonge de tout mon long, fixe le plafond et tente de faire le vide dans ma tête. Sauf que tout me revient en pleine face. La joie que j'ai ressentie lorsque mes règles se sont faites attendre le mois dernier, la désillusion quand celles-ci sont arrivées alors que je pensais que cette fois était la bonne. La tristesse et la peine dans les yeux de mon mari, alors qu'il faisait semblant d'accueillir la nouvelle avec désinvolture m'ont anéantie. Tout n'est pas perdu j'en suis consciente, je n'ai pas encore trente ans et je ne pense pas être stérile. Cela dit mon horloge biologique tourne comme me l'a si bien fait comprendre ma mère. Malheureusement, elle fera comme moi... elle prendra son mal en patience pour devenir grand-mère.

— Le dîner est servi.

— Je n'ai pas faim.

— Tu commences sérieusement à me casser les... Bref, si tu as un creux dans la soirée, tu trouveras une assiette dans le frigo.

Je me tourne pour ne plus lui faire face. Qu'il déguerpisse et vite avant que je ne lui jette son foutu test en pleine figure.
La nuit est tombée depuis des heures, Léo s'est réfugié dans notre chambre sans un mot, tandis que de mon côté j'ai préféré rester sur mon lit de fortune à cogiter. Les heures passent, le froid me mord la peau, je suis gelée et pourtant je refuse d'aller me réchauffer auprès de mon mari. Il est plus de trois heures du mat et la faim se fait omniprésente. Je me lève sans un bruit, parcours les quelques mètres qui me séparent de la cuisine afin de combler mon appétence. L'assiette préparée par Léo me fait saliver, cependant je préfère me jeter sur le jambon que de manger ce qu'il m'a mitonné... juste histoire de le faire chier.
Que voulez-vous, je suis une tête de con et ce n'est pas demain la veille que cela changera.
Après un passage rapide au pipi room, je reprends place sur le canapé, enroule mon corps dans un plaid et m'endors le ventre plein.
Ma nuit est écourtée par Gigolo et pour cause, la petite boule de poils gratte à la porte pour aller faire ses besoins depuis près de dix minutes. Tant bien que mal, je me soustrais de mon couchage improvisé en maudissant Léo qui lui dort encore comme un bébé. J'ouvre la porte pour laisser sortir le fauve, un vent glacial m'accueille et me fouette le visage, de quoi vous mettre de bonne humeur de bon matin. Tout en retournant à la cuisine, je frictionne vigoureusement mes bras pour me réchauffer et peste encore contre le parasite qui squatte la chambre à coucher. Je prépare du café, fouille dans les placards en faisant le plus de bruit possible afin de réveiller mon mari. Après tout, il est à peine sept heures en ce dimanche matin, et je ne vois pas pourquoi je serai la seule à être debout. J'échafaude vite fait un autre plan, puisque monsieur n'est toujours pas descendu et cela m'hérisse le poil. Après avoir ingurgité deux tasses du breuvage charbonneux que j'ai préparé quelques minutes plus tôt, je retourne dans le salon, allume la musique et commence à me déhancher comme une dératée sur Beyonce. Je chante, tape des pieds, des mains afin que Léo sorte de sa tanière. Le loup montre enfin son joli minois, le sourire que je lui décroche me vaut pour toute réponse un vilain regard noir. Je ris intérieurement, je jubile même d'avoir réussi mon coup.

Roxanne 1, Léo 0

— C'est quoi ce bordel ? Il est sept heures et demie, et madame joue les divas sans respecter le sommeil des autres. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond dans ta tête ? Hurle-t-il en déboulant comme un fou près de moi.

— Bonjour mon amour ! Tu as passé une mauvaise nuit pour être aussi ronchon ? Si cela t'intéresse, j'ai dormi comme un loir et comme tu peux le constater je suis en pleine forme.
Café ?

— Tu commences sérieusement à me les briser Roxanne. Tu veux faire ta maligne, attends-toi à des représailles.

— Ouh ! J'ai peur. Me moqué-je avant de courir vers l'escalier qui me conduit à l'étage.

Léo ne me suit pas et j'en remercie le seigneur qui a pour une fois, exaucé mes souhaits. Je profite de cette tranquillité pour m'étendre sur le lit, avant qu'un mec bourru déboule en furie pour se venger de mon réveil en fanfare. La fatigue me surprend et m'emporte au pays des Bisounours sans que je n'y fasse aucune objection.
Je suis délogée de mon sommeil lorsqu'un liquide froid m'arrose le visage. L'ordure ! Il n'a pas osé... eh bien oui.

— Tu vas me le payer très cher ! Ma vengeance sera terrible... connard !

— Mauvaise joueuse. Ça fait un partout, on est à égalité maintenant princesse casse-noisettes.

Je ne lui réponds pas et pars m'enfermer dans la salle de bains. Mon lieu de refuge comme j'aime si bien le nommer. Je m'y faufile souvent dernièrement pour y cacher mes larmes. Léo pense naïvement que j'ai une obsession du lavage intempestif, or il est à côté de la plaque, puisque cette petite pièce est devenue au fil des semaines mon exutoire à chagrin.
L'humidité qu'il y a sur mes vêtements me fait frissonner. La froideur est telle que mes dents jouent des castagnettes sans que je ne puisse les arrêter. Je me dévêtis et me glisse sous le jet brûlant qui réchauffe mon corps. Les gouttelettes qui tombent sur ma peau me détendent. Dix, vingt ou trente minutes est le temps que j'ai passé sous la douche, j'ai perdu le fil tant la sensation était exquise. Je coupe l'eau, me sèche et revêt mon peignoir avant de sortir de ma planque. À ma sortie, je tombe nez à nez avec mon bourreau qui me jauge d'un mauvais œil.

— Enfin ! Ce n'est pas trop tôt. Ça fait une heure que tu es enfermée là-dedans. Qu'est-ce que tu foutais ?

— À ton avis ?

— Tu m'énerves. Je...

— Je sais mon chéri. Tu m'aimes c'est bien ce que tu voulais dire.

— Absolument pas ! Renchérit-il. Je te déteste Roxanne Ortega.

— À d'autres, tu me vénères.

La journée passe et les petites fourberies ont cessé, cependant je tire toujours la tronche et il n'est pas question que je lui pardonne de sitôt.
Le test de grossesse traîne sur la table de cuisine, mon regard ne cesse de le fixer et cela a le don de m'agacer. Pourtant mes mains me démangent, elles me poussent à le prendre, mais je m'y refuse encore.

— Fais-le, on sera fixés comme ça. Me dit Léo qui a remarqué que mes yeux ne faisaient que loucher sur la petite boîte.

— Non. Ça ne sert à rien, le résultat sera négatif de toute façon.

— Tu ne peux pas le savoir puisque tu refuses de le faire. Aurais-tu la trouille ?

Je saisis la boîte, balance un regard mauvais à mon mari et lui jette au visage que je vais le faire son fichu test et qu'après ça il devra me ramasser à la petite cuillère lorsque le bâtonnet affichera un résultat négatif.
Je m'enferme dans les toilettes, déballe l'objet de vérité et m'installe sur le trône pour faire ma commission. Une fois ma petite affaire terminée, je pose le bâton rempli d'urine sur le lavabo et me lave les mains avant de sortir.

— Alors ?

— Tu vérifieras par toi-même dans trois minutes. Moi je n'en ai pas le courage. Annoncé-je avant d'aller m'assoir sur notre lit.

— Très bien. Un trait c'est négatif et deux c'est...

— Positif. Tu vas devenir un véritable expert au fil du temps.

J'attends la sentence qui ne tarde pas à tomber.
Léo s'installe à mes côtés, son regard ne laisse rien paraître, c'est mauvais signe, je le sais.

— C'est encore négatif, je suppose.

— Je suis désolé ma puce.

— Je m'en doutais, je ne suis qu'une bonne à rien.

— Ne dis pas n'importe quoi !

—Je suis lucide Léo. J'ai sûrement des problèmes de fertilité.

— Ne dis pas de sottises.

— Et si je ne peux pas avoir d'enfants, tu crois sérieusement que notre couple tiendra ? Fais-toi une raison !

— Je suis désolé ma puce, mais ça, je ne pourrais pas. Et tu veux savoir pourquoi ?

— Explique-moi ?

— Deux traits c'est positif c'est ça ?
Je hoche la tête tel un pantin désarticulé pour répondre à sa question.

— Dans ce cas je suis navré de t'apprendre que tu vas connaître la joie des nausées matinales. Ton corps va s'arrondir de jolies formes et ton caractère sera bien plus exécrable, puisque dans quelques mois... tu seras maman.

Ai-je bien entendu ? Non, c'est mon esprit qui me joue des tours. Je suis enceinte ? Dites-moi que je ne rêve pas...Léo se trompe, il a dû mal interpréter les résultats. C'est forcément ça. Et si c'est une blague, elle est de mauvais goût et il va s'en mordre les doigts.

— Réagi ! Dis quelque chose. Tu as entendu ? On va avoir un bébé. Tu es bel et bien enceinte Roxanne. Vérifie par toi-même !

Je mets quelques secondes avant que l'information s'incruste dans mon cerveau, malgré tout je refuse toujours d'y croire. De longues semaines à espérer en vain qu'un petit haricot grandisse à l'intérieur de mon corps et quand je ne n'y crois plus, un miracle se produit.

Merci mon Dieu !

— Je vais être maman, tu es sûr de toi.

— Absolument ! Regarde.

Je zieute le petit bâton blanc, où deux traits bleus y sont clairement dessinés. Je n'ose y croire. Je vais devenir mère et mon cerveau s'évertue à ne pas l'assimiler. J'ai besoin que Léo me le répète encore et encore pour être certaine de ce qu'il raconte.

— Ma puce ça va ? Me questionne-t-il alors qu'un énorme tsunami fait céder le barrage qui retenait mes larmes.

Maman... je vais devenir maman.

Tout en pleurant et reniflant, j'arrive tout juste à lui dire que c'est une merveilleuse nouvelle, et que je ne pouvais espérer mieux.

— Tu crois qu'on sera de bons parents ?

— Je n'en doute pas un instant. Cet enfant est le fruit de notre amour Roxanne. Je peux d'ores et déjà te certifier qu'il aura un bon départ dans la vie ce bébé. Et même si on commet des erreurs, cela ne fera pas de nous de mauvais parents... cela voudra juste dire que l'on apprend à l'être.

— Je t'aime Léo... tellement fort.

— Idem... future maman.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant