Chapitre 5. Léo

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Le 18 Octobre 2014

Ding... ding... ding...
Bon sang c'est quoi ce bordel ! J'ouvre difficilement un œil et me tourne vers ce foutu bruit. Je tends la main vers ma table de chevet et trouve l'objet de mon supplice matinal.

— Fichu réveil !

J'enfouis de nouveau ma tête sous la couette. Hélas, l'alarme de mon portable se met à hurler. Je m'assieds dans mon lit énervé comme jamais et m'enguirlande d'avoir eu l'idée de génie d'avoir programmé mon départ aussitôt ce matin. Il est à peine six heures trente, les premières lueurs du jour traversent les persiennes, je passe mes doigts sur ma barbe naissante et repousse la couette. Au passage, je découvre que je suis en érection et que j'ai souillé mes draps. J'explose de rire, c'est bien la première fois qu'une chose pareille m'arrive. Même lorsque j'étais un ado pré pubère et que mon sexe me démangeait, je prenais soin de ne pas laisser de preuves. Je me réfugiais régulièrement aux toilettes en prétextant des petits problèmes gastriques. Ma mère s'évertuait à me bourrer de médicaments pour résoudre le problème, alors que mon père, lui, ricanait et me chambrait derrière mon dos puisqu'il avait vite compris mon petit stratagème. Je me lève nostalgique en me remémorant ce drôle de souvenir, puis baille à m'en décrocher la mâchoire avant de retirer les draps maculés. Je suis lessivé par la journée d'hier. Heureusement, les deux jours que je m'accorde loin de toute cette dépravation, vont me permettre de me requinquer. J'enfile un boxer propre puis fouille dans un des placards afin de dénicher mon vieux sac en toile que je trimballe depuis une décennie. C'est le seul bien que j'aie emporté avec moi quand j'ai pris la poudre d'escampette. Entre vérité inavouée et trahison, je ne pouvais pas rester chez mes vieux, il fallait que je parte au plus vite. Heureusement, aujourd'hui, j'ai tourné la page et j'ai pu me reconstruire. Malgré tout, certaines cicatrices restent indélébiles. Je pose mon bagage sur le lit et fourre à l'intérieur tout ce dont j'ai besoin pour mon court séjour. Je n'omets pas de rajouter une boîte de préservatifs... on n'est jamais trop prudent. Je cours jusqu'à la salle de bain et me précipite sous l'eau chaude, je me frictionne rapidement, me rince et m'essuie avant d'enfiler des vêtements. Je fais l'impasse sur le rasage puisque la barbe de deux jours me va comme un gant. Je quitte la pièce et me rends à la cuisine pour avaler un café noir, puis un second. J'ai besoin d'une bonne dose de carburant pour affronter les trois heures de route qui m'attendent ou je risque de tomber de sommeil en conduisant. Je rince ma tasse et remonte à l'étage récupérer mes affaires. En entrant dans ma chambre, je manque de m'étaler la tronche dans les draps que j'ai laissé trainer sur le sol. Je les repousse du pied dans un coin, et me dis que je m'occuperai de ça à mon retour. Je n'ai pas de temps à perdre, il est déjà sept heures quarante. Je descends avec ma besace sur l'épaule, quitte la maison puis déverrouille mon 4x4 avant de m'installer derrière le volant. Je jette le sac sur la banquette arrière et inspire profondément avant de démarrer mon véhicule.

— Enfin la liberté !

Cependant une odeur nauséabonde vient m'agresser les narines. J'inspecte tout l'intérieur et découvre d'où provient l'émanation. Je sors de l'habitacle et ouvre la portière arrière pour y voir de plus près. Et là, ce que je découvre me coupe le sifflet. C'est une véritable catastrophe, une grosse auréole couvre le tissu de la banquette. Je passe ma main dessus, celle-ci s'humidifie instantanément. Il ne faut pas plus d'une fraction de seconde à mon cerveau pour comprendre ce qu'il a bien pu se passer. Je me mets à hurler, heureusement je ne risque pas d'ameuter le voisinage, ma maison est assez reculée de toute civilité.

— La salope ! Oh la salope ! Répété-je à plusieurs reprises. Je n'y crois pas ! Le flageolet a uriné dans ma bagnole.

Je suis dégouté, énervé, dépité. C'est bien la première fois qu'on me fait un coup pareil. Je chope mon téléphone dans la poche de mon jeans et compose expressément le numéro de West. Peu importe qu'il soit tôt ou bien qu'il soit malade, il va m'entendre chanter celui-là. Ça sonne dans le vide, je n'obtiens aucun retour et décide de laisser un message sur son répondeur pour qu'il me rappelle au plus vite.

— Putain West ! Ta cliente a pissé dans ma bagnole ! Je te préviens, tu te démerdes comme tu veux, mais ne compte pas sur moi pour nettoyer les dégâts !

Je suis excédé, mon weekend est foutu. Je ne peux malheureusement pas emprunter les routes sinueuses avec mon coupé sport sans l'abimer. Je récupère mon sac et claque la portière avec rage avant de me précipiter à nouveau chez moi. Il faut que je fasse bouillir le linge qui se trouve dans mon baluchon et par la suite j'irai me désinfecter les mains pour retirer l'effluve d'urine qui imprègne mes doigts.
Une fois les habits dans la machine à laver, je me rends dans la cuisine et décapsule une bière que je viens de dénicher dans le réfrigérateur. Rien à foutre qu'il soit huit heures du mat', j'ai besoin de quelque chose qui m'aidera à évacuer ma colère. Je prends la direction de mon bureau, allume l'ordinateur puis m'installe dans mon fauteuil en cuir pour effectuer quelques recherches sur le net.
Je tape « comment retirer une tâche d'urine sur un siège de voiture »
Les réponses affluent : chiffon imbibé d'ammoniaque, eau savonneuse, aérosol spécifique... que je ne sais où donner de la tête avec toutes ces solutions. Je repère au passage une annonce qui semble intéressante, une société de nettoyage propose ses services pour l'entretien des voitures. Je scrute ça de plus près et trouve les tarifs abordables. Je note le numéro sur un post-it puisque l'ouverture du bureau n'est que dans trente minutes alors je consulte mes mails pour passer le temps. J'efface d'entrée de jeu les spams pour gagner du temps, puis je m'attarde sur les messages personnels. Des demandes de rendez-vous, des exigences précises de certaines clientes, je réponds à toutes mes chaudasses avant de cliquer sur un nouveau message de la fameuse Roxanne. Si mes souvenirs sont bons, il s'agit de la nana qui m'a contacté hier pour que je lui loue mes services.
Le mail s'ouvre et je commence à lire:
« Léo, il s'agit d'une question de vie ou de mort ! J'exagère évidemment, en fait pour être franche avec vous, ma mère va prendre un malin plaisir de m'humilier en public si je viens seule au gala qu'elle organise. Je suis disposée à doubler votre salaire si vous acceptez la mission.
En attente de votre réponse, passez une bonne nuit.
Roxanne »

Eh bien, elle ne lâche pas l'affaire celle-là !

J'hésite avant de lui répondre un non catégorique. Le montant qu'elle me propose pour servir de cavalier est loin d'être négligeable, vingt mille dollars pour une soirée, c'est alléchant. Et puis si je m'ennuie, je pourrais toujours trouver une gonzesse prête à me satisfaire dans les toilettes. De toute façon, je n'ai plus aucun projet. Tout est tombé à l'eau à cause de la pisseuse, alors pourquoi ne pas aider cette femme en détresse. Après tout, j'ai tout à y gagner.

« Bonjour Roxanne, si vous désirez toujours mes services, sachez que je suis finalement libre pour vous accompagner ce soir. Au plaisir, Léo »

J'envoie le message, laisse mon ordinateur sur veille et appelle l'agence de nettoyage. Comme je m'y attendais, ma voiture sera prise en charge la semaine prochaine. Que puis-je faire en attendant, à part sortir faire les courses ? Hé bien pas grand-chose. Mon téléphone sonne, je le récupère dans ma poche et refuse sans aucune hésitation l'appel de Garreth. Mon frère peut toujours courir pour que je lui parle et lui pardonne, je ne le ferai jamais. Je l'évite comme la peste depuis dix ans et je ne m'en porte pas plus mal, alors il devrait en prendre de la graine et m'oublier pour de bon.

Je saisis mon portefeuille ainsi que les clés de mon coupé sport afin de me rendre au supermarché du coin pour remplir le frigo. Dix minutes plus tard, je stationne mon véhicule sur le parking. J'introduis une pièce dans un chariot et pénètre à l'intérieur du centre commercial. Je jette n'importe quoi dans le caddie, il faut dire que je peux me nourrir comme je le veux, puisque j'ai la faculté de ne jamais prendre un gramme. Deux jeunes femmes chuchotent dans mon dos alors que je dépose cinq boîtes de capotes Extra Large dans mon caddie. Je leur adresse un petit clin d'œil en passant devant elles. Je les entends glousser et cela me fait sourire.
J'ai toujours autant de bagou avec les nanas, je pourrais peut-être rentrer dans leur jeu et les séduire histoire de passer le temps. Hélas, deux grands costauds se positionnent à leur côté. Je ne tente pas le diable et me dirige vers les caisses.

West m'a envoyé un message pour prévenir qu'il passerait vers onze heures trente. Je prépare de quoi l'inviter à déjeuner, du poisson blanc accompagné d'un riz pilaf. Entre temps, je consulte de nouveau mes mails, aucune nouvelle de la femme qui m'a harcelé de messages. J'espère qu'elle n'a pas changé d'avis, il y a un sacré pactole à empocher.
                                                           ***
Mon meilleur ami se pointe avec un peu d'avance, comme il a l'air d'aller mieux, je lui propose de prendre une bière, ce qu'il ne refuse pas bien évidement.

— Tu me racontes ta soirée. S'impatiente-t-il en grignotant des pistaches.

— Horrible ! Tu n'imagines même pas. Armande ne sait pas se tenir en public et tu verrais la descente qu'elle a. Ce n'est pas étonnant que sa vessie ait lâchée dans ma voiture.

— Jamais eu ce problème avec elle.

— C'est une de tes régulières ?

— Ouais. Pourquoi ? Tu veux que je te la refile.

— T'es un grand malade ! Plus jamais je ne te dépannerai, du moins pas avec la pisseuse.

Une chose me turlupine et West s'en aperçoit puisqu'il me fournit une réponse bien avant que la question ne tombe.
— Non Léo, je ne la saute pas. Tu as vu l'engin ! J'ai de l'estime pour moi-même. Par contre elle est très généreuse, c'est indéniable. Elle me paie cinq milles par soirée, autant te dire que j'accepte ses frasques en public sans me soucier de ce que peuvent penser les autres. Et parfois elle est rigolote, elle ne se gêne pas pour dire merde à quelqu'un alors même que nous sommes en compagnie de personnes très riches.

— Je ne la trouve pas du tout sympa, par contre j'aurais adoré qu'elle t'écrase et te pisse dessus, là ça aurait été très drôle ! Lancé-je en buvant un coup.

— Espèce de con ! Grogne-t-il en me jetant des coquilles de pistaches au visage. En attendant c'est sur ta banquette qu'elle a eu une fuite. Finit-il par dire en serrant les lèvres pour ne pas exploser à nouveau de rire.

L'enfoiré quand même, il se fout bien de ma gueule, un jour ou l'autre j'aurai ma revanche, je sais être patient.

— Tu trouves ça drôle ? Tu vas moins rire quand tu vas me filer quatre cent dollars pour nettoyer ma caisse.

— Je vais payer. Ne t'en fais pas Léo.

— De toute façon, je ne te laisse pas le choix. J'ai déjà tapé dans l'enveloppe que m'a filée ta grosse. Je te donnerai le reste après.

— Il t'appartient ce fric, c'est toi qui as passé la soirée avec elle, pas moi.

— Je m'en tape, j'en ai assez de côté. C'était pour te dépanner et un service entre potes ne se monnaie pas.

— Merci. Je te revaudrai ça, mec.

Je balaie sa réponse du revers de la main et l'interroge sur ce qu'il a de prévu ce soir.

— J'accompagne Rita à un concerto. La loose, je vais me bouffer de la musique de merde durant deux heures. Ma tête risque d'exploser bien avant. Au mieux, je me tape une petite sieste et dans le pire des cas, une putain de migraine. Et toi tu fous quoi ce soir?

— Rien ! Enfin je ne sais pas. J'ai une gonzesse qui m'offre dix mille pour la chaperonner à un gala.

— Waouh, c'est énorme ! Tu lui as dit quoi ?

— Que j'étais disponible si elle avait encore besoin de moi. Avec le bol que j'ai, je vais me farcir un laideron. J'ai eu ma dose avec la cochonne. Pourtant, je dois être un peu maso pour accepter un rencard avec une femme que je ne connais ni d'Eve, ni d'Adam.
                  
— C'est clair que ce n'était pas un cadeau d'avoir Armande pour compagnie. J'ai bien fait de rester devant le match des Lakers avec de la pizza et de la biè...

— Attends, quoi ? Tu peux répéter ? Tu ne te serais pas un peu foutu de ma gueule avec ta maladie imaginaire ? Oh le con ! J'aurai dû m'en douter ! Tu ne voulais pas rater la finale de basket.

— Noooooon, je te le jure ! J'étais mal fichu et j'ai dû un peu exagérer.

— Je vais te tuer, tu le sais ça ! Hurlé-je en lui balançant le sachet de pistaches à la tête.

— Dans tes rêves mon pote.

— Fini la rigolade, on va passer à table, tout est prêt.

— Ça tombe bien, j'ai les crocs.

West et moi mangeons de bon cœur dans la bonne humeur. Nous discutons de notre prochaine sortie entre mecs, et décidons que mercredi nous irons dans un nouveau club très en vogue pour y choper des gonzesses. Mon pote quitte la maison vers seize heures. Après son départ, je lave la vaisselle et retourne dans mon bureau. J'inspecte si j'ai de nouveaux mails, malheureusement il n'y a rien.
Que vais-je donc faire de ma soirée ? Pensé-je en m'adossant dans mon fauteuil.  Aller en discothèque ? Dans un bar, au cinéma ou au bowling... mauvaise idée. Je préfère rester à la maison et mater la télévision.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant