Chapitre 40. Roxanne

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21 Juin 2015

Assise depuis des heures dans une salle lugubre, peuplé de malades qui souffrent de divers maux, je patiente, inquiète à me ronger les ongles, que quelqu'un vienne m'éclairer sur l'état de santé de Léo. Hélas, à part les infirmières que je croise au détour d'un couloir et qui prennent à peine le temps de me répondre, personne ne m'informe de ce qu'il en est, et cela me terrifie.
Comment va-t-il ? Que lui est-il arrivé ? Pourquoi ?
Tant de questions sans réponses qui finissent par me rendre folle. J'ai envie de hurler à m'en user les cordes vocales, faire un véritable scandale dans l'enceinte de l'hôpital afin qu'un médecin daigne enfin m'expliquer ce qu'il en est. C'est inhumain de délaisser la famille ainsi que les amis en sursis sans leur donner la moindre nouvelle du patient. Il devrait y avoir plus de communication entre le personnel médical et les accompagnants des victimes et des malades ne serait-ce que pour apaiser les tensions que cela peut créer en salle d'attente. Je déambule comme un zombie sous les regards impuissants de Barbara et West qui essayent tant bien que mal de me rassurer en me rassurant que Léo est doté d'une force incroyable et qu'il se rétablira rapidement. Malgré l'enthousiasme dont ils font preuve, mon pessimisme, lui reste à son apogée. Ils n'étaient pas là pour voir l'étendue des dégâts, contrairement à moi. Trouver Léo agonisant sur mon perron a été un tel choc, mon cœur s'en souvient encore.
Comme une statue de pierre décorant un lieu historique, son corps ne bougeait pas, agonisait sur le bitume. Sa respiration se faisait lente et difficile, les battements de son cœur, irréguliers. Parfois, celui s'emballait comme un cheval au galop, puis soudainement, il ralentissait comme quelqu'un ou quelque chose approchant un obstacle. Son si joli visage était méconnaissable, tuméfié par les coups qu'il a reçus. Cela m'a retourné l'estomac. De nombreuses coupures ainsi que des hématomes importants couvraient son faciès maculé de sang. Ses vêtements étaient souillés de poussière, déchirés à quelques endroits laissant apercevoir d'autres blessures comme ses genoux écorchés. Ses mains ensanglantées avaient laissé des traces de leurs passages sur le poil de Gigolo. Pauvre bête, il était meurtri aux pieds de son maître, le regard attristé et apeuré. Il m'a fallu plusieurs minutes pour réussir à le détacher de mon compagnon, il grognait tout en adoptant une position de défense à côté de Léo. Ma voix rassurante et mes gestes calculés ont finis par le calmer. Je l'ai câliné, nourri avec quelques restes trouvés dans mon frigo, puis je l'ai installé sur un t-shirt que Léo avait laissé à la maison avant notre dispute. L'image que ces deux-là renvoyaient, restera gravé à jamais dans ma mémoire, tout comme ce mot insignifiant soit-il, qu'il m'a soufflé avant de s'évanouir.
« Idem »
Je me le répète en boucle depuis des heures, et cela a le don de me conforter ne serait-ce que le temps d'un instant. Léo m'aime, il me l'a avoué, certes, au mauvais moment, mais il l'a fait. Seulement, une question me turlupine, n'était-ce pas le fruit de mon imagination ?
A-t-il vraiment prononcé cette parole ?
Barbara me sort de mes songes en me présentant un gobelet rempli de café à quelques centimètres de mon nez. L'odeur fétide de ce jus de chaussette me tord le ventre, me broie les intestins à m'en donner la nausée. Plaquant mes mains sur la bouche, je ravale ma bile et court jusqu'aux toilettes afin d'évacuer le fiel d'amertume qui inonde ma langue. À chaque rejet, mon estomac me brûle, c'est comme s'il venait d'ingurgiter un mélange immonde très acide. Mon œsophage subit une torture insoutenable, lorsque le reflux gastrique remonte jusqu'à ma bouche. Mon corps se plie en deux sous la violence des spasmes, les larmes dégringolent sur mes joues sans que je ne puisse les retenir. Accroupi devant la cuvette, j'attends que les derniers soubresauts se tarissent pour retourner dans la salle d'attente. Devant le miroir, j'inspecte mon reflet, ma tête ferait peur à quiconque me regarderait. Mes cheveux sont gras, odorants, le constat de trois jours sans prendre une douche. Mon visage est livide, sans aucune couleur rayonnante, terne comme un linge vieilli par le temps qui serait resté enfermé dans une valise durant des années. Aux coins des lèvres, j'aperçois quelques traces de pâte à tartiner séchées, signent des derniers vestiges de la soirée que j'ai passé à déprimer devant un film dramatique. J'ai tellement pleuré, qu'il m'a fallu une boîte entière de mouchoirs pour venir à bout de cette cascade émotionnelle. Comment rester insensible devant un film comme « N'oublie jamais » si quelqu'un à une solution-miracle, il peut la garder. L'histoire de Noah et Allie est une fable remplie de tragédie, de bonheur et d'amour... un peu comme la nôtre, à Léo et moi.
J'asperge d'eau ma figure déconfite, la fraîcheur de cette nappe éveille en moi une sensation de bien-être que je n'avais plus ressentie ces derniers jours. Après avoir rincé ma bouche pour retirer l'âcreté laissée par mes vomissements, je sors des cabinets et retrouve mes amis enlacés l'un contre l'autre.
Barbara repose sa tête sur l'épaule de West, alors que celui-ci lui caresse le bras avec beaucoup de tendresse. Il y a de la réconciliation dans l'air. Pensé-je en les regardant avec envie.
Aurai-je l'occasion de rattraper le coup avec Léo ?
Je doute qu'il accepte de me pardonner après le cirque que j'ai fait lors de l'anniversaire de Charles. Les minutes s'égrènent lentement, tellement que cela fait au moins cent fois que je compte les pois qui sont imprimés sur mon pantalon de pyjama. Décidément, en plus d'avoir une sale mine, je suis fagotée comme un sac. N'ayant toujours aucune nouvelle de Léo, j'avertis Barbara que je ne tiens plus en place.

— Je commence à en avoir marre d'attendre. Je vais aller me renseigner à l'accueil et si personne ne me fournit d'explications, crois-moi que ça va chier !

— Du calme Roxanne. Si tu fais un scandale, tu risques d'être jeté dehors par la sécurité.

Et alors ? Je m'en moque. Qu'ils essaient de me foutre à la porte, je riposterai avec hargne. Je crierais à pleins poumons, jusqu'à ce qu'ils se vident de tout l'air qu'ils contiennent, et puis je camperai sur le trottoir en m'attachant à un poteau.

— Mets-toi à ma place ne serait-ce qu'une seule seconde Barbara. Tu réagirais comment ?

— Tu savais que les chirurgiens portaient des couches. Me sort elle naturellement alors que le sujet de conversation que nous avions été tout autre. Barbara a le don pour faire diversion lorsqu'une discussion l'épuise, je la connais par cœur ma blondinette.

— Tu es sérieuse ?

— Absolument. J'ai vu un reportage à la télé et ils disaient que certains en mettaient puisqu'ils ne pouvaient pas faire de pause durant une longue opération.

— Je ne vais plus regarder les beaux chirurgiens de la même manière.

Nous riions le temps d'un instant, avant que l'inquiétude ne nous rattrape.

J'en ai marre ! Il est presque quatre heures du matin, et j'ai donné assez de ma personne pour rester zen jusqu'à maintenant.
Trop c'est trop !
Je me lève et parcours la dizaine de mètres qui me séparent du comptoir de l'accueil. Déterminée comme jamais, je pose les deux mains sur le bureau et fusille de mon regard menaçant l'hôtesse qui m'inspecte de la tête aux pieds en émettant un sentiment de dégoût. Je sais... j'ai un look effrayant, et alors ? Je n'allais pas me faire une beauté pour accompagner mon petit ami à l'hôpital. Et puis quoi encore ? Un brushing, une épilation, un blanchiment des dents aurait peut-être fait plaisir à cette godiche qui me regarde de haut.


— Que puis-je pour vous ? Me demande-t-elle en mâchouillant vulgairement le capuchon de son stylo.

— Mon petit ami a été admis aux urgences en fin de soirée et je n'ai toujours aucune nouvelle.

— Quel est son nom ?

— Ortega... Léo Ortega.

—Je vais vous demander de patienter une petite minute.

Une de plus ou une de moins, je ne suis plus à cela près. Garde ton calme Roxanne, inspire... expire.

— Navrée de vous avoir fait attendre. Votre conjoint n'est plus dans le service des urgences, il a été monté en chambre.

— Je peux le voir.

— Je suis désolée, mais c'est impossible. Les visites commencent à dix heures. Je vous conseille de rentrer chez vous et revenir après une bonne nuit de sommeil.

— Dans ce cas, vous pouvez peut-être m'éclairer sur son état de santé.

Elle m'explique que malheureusement cela ne fait pas partie de ses compétences, et que seul un médecin est habilité à me fournir des explications. Je fulmine. La fatigue, l'attente et l'angoisse se font sentir à travers mon corps qui est sur le point de lâcher.

— Écoutez mademoiselle. Mon petit ami a été transporté à l'hôpital dans un état grave. Serait-ce trop demander que quelqu'un vienne s'entretenir avec moi ? Pesté-je en tapant sur le comptoir.

— Roxanne arrête. Me conseille West. Ça ne sert à rien de t'énerver. Je vais te raccompagner chez toi et tu reviendras à la première heure.

— Non ! Je ne partirai pas tant qu'un foutu toubib ne sera pas venu me donner plus d'explications.

West et Barbara me tirent en arrière pour me faire sortir du centre hospitalier. Je refuse de les suivre bien sagement et me débats pour qu'ils me lâchent et qu'ils me fichent la paix. Je suis en pleine crise d'hystérie lorsqu'un homme vêtu d'une blouse blanche s'approche de moi. S'il s'agit d'un infirmier qui pense me calmer avec un tranquillisant, il se fourre le doigt dans l'œil, je ne le laisserai pas faire sans m'être battue jusqu'au bout.

— Que se passe-t-il Daisy ? Interroge-t-il à l'hôtesse d'accueil.

Elle lui explique dans les grandes largeurs ce pour quoi je suis en colère. L'homme me sourit avec bienveillance et m'invite à le suivre à l'écart des autres. Je reste méfiante, cependant j'accepte de m'éloigner avec lui. J'angoisse bien plus à présent.

Pourquoi a-t-il préféré me parler en privé ? Quelque chose ne va pas, c'est ça.

Nous entrons dans un bureau, fraîchement repeint vue l'odeur qui s'en dégage et dépourvu de décoration. Cette pièce est glaciale, elle me file froid dans le dos. L'homme m'invite à prendre place sur une chaise brinquebalante, j'obéis comme un bon petit soldat qui attend les instructions du commandant.

— J'ai cru comprendre que votre petit ami avait été admis aux urgences pour diverses blessures. J'ai vu beaucoup de patients durant ma garde, pouvez-vous me rappeler son nom.

— Léo Ortega.

— Ah oui, je vois. Individu d'une trentaine d'années, retrouvé inconscient dans une ruelle.

— Pour être exacte, c'était devant chez moi.

— Soyez rassurée, ses blessures ne sont que superficielles. Quelques écorchures, des ecchymoses, un hématome important sur le visage, et une sérieuse coupure à l'arcade que nous avons suturée. En somme, rien d'alarmant, néanmoins nous préférons le garder en observation cette nuit. Un calmant lui a été administré pour atténuer ses douleurs. Il sera sortant dès demain, cependant, il devra se maintenir au calme durant quelques jours.

Du soulagement... voilà ce que je ressens face aux mots prononcés par le médecin. Toute la tension et pression accumulées de ces dernières heures, redescendent et me font éclater une fois de plus en sanglots. Des larmes d'apaisement se fraient un chemin sur mon visage sans que j'en éprouve la moindre honte. Je ne cherche pas à les cacher. Une douce chaleur s'invite dans mon corps, sensation indescriptible de sérénité. Je ferai bien une petite danse de la joie. Je remercie l'homme en blouse blanche et sors du bureau retrouver mes amis qui font le pied de grue devant la machine à café.
La banane qui dessine mes lèvres indique que les nouvelles sont bonnes et encourageantes. Léo est sorti d'affaire, tout va bien aller maintenant, certes il est toujours blessé mais finalement tout ce qui compte, c'est sa future convalescence.

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