Chapitre 38. Roxanne

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Déterminée à quitter la maison familiale au plus vite, je presse le pas tout en séchant le flot de larmes qui me brouille la vue. Les voix de Léo et Marjorie me suivent à la trace, c'est à croire qu'ils prennent un malin plaisir à me faire souffrir. Je refuse de stopper ma course folle pour écouter ne serait-ce qu'un mot de ce qu'ils ont à me dire. Il n'y a pas d'explication à fournir, je ne suis pas bête à ce point, j'ai bien compris qu'ils étaient en affaires avant que Léo ne stoppe sa carrière de gigolo.
D'ailleurs l'a-t-il vraiment fait ?
Peut-être que depuis tout ce temps, il continue ses prestations dans mon dos, alors que je me démène au bureau. Tout se mélange dans ma tête, je ne cesse de revoir ces images horribles, qui me hanteront durant de très longs mois ou même pire, toute ma vie.
Une main me saisit violemment le bras, je me débats et fusille du regard Léo qui ne veut pas me lâcher. Le contact de sa peau me brûle, bien plus que la morsure du métal qui emprisonnait mes poignets hier soir lorsque nous faisions l'amour.

— Roxanne ! Ce n'est pas ce que tu crois.

Évidemment. Que sait-il de ce que je pense ? Il est télépathe en plus d'être un foutu salopard.  Son regard de chien battu ne m'émeut absolument pas, au contraire, je voudrais lui crever les yeux pour qu'il arrête de me fixer avec insistance.

— Lâche-moi ! Tout ce que tu as à dire ne m'intéresse pas.

— Écoute-le. Se permet d'ajouter la garce peroxydée qui s'est pourtant réjouie de foutre le bordel dans mon couple.

Qu'elle se taise ou je lui fais bouffer sa langue.
Sa présence m'est insupportable, une vague de colère s'insinue dans mes pores et dans mes veines qui ne cessent de bouillir de rage. Mes mains me démangent, si je le pouvais, je lui arracherai sa tignasse et la traînerai jusqu'à la salle à manger pour l'humilier en public. Cependant, je m'abstiens de la frapper, puisque depuis mon plus jeune âge, je milite contre la violence physique et pourtant une gifle n'a jamais tué personne. Léo desserre sa poigne, j'en profite pour me dégager puisque son touché me répugne.

— Allons discuter. Me supplie-t-il d'une voix étranglée.

— Il n'y a rien à dire. Fiche-moi la paix maintenant ! Je voudrais être seule et rentrer chez moi.

Je reprends mon chemin en ayant Mary à mes côtés. Ma sœur m'apporte son soutien par son silence. Je sais qu'elle crève d'envie de me poser un tas de questions, mais elle n'en fait rien et je lui en suis reconnaissante. Elle ne connaît qu'une infime partie du passé de Léo et c'est probablement mieux ainsi. Cependant, je suis certaine qu'après la scène qu'elle a vue, elle a dû comprendre que Marjorie était une ancienne cliente et que ma colère était fondée. Nous arrivons dans la salle à manger où toute la famille discute joyeusement. Personne n'a l'air d'avoir entendu mes cris d'alerte, ce qui m'arrange puisque je déteste être le centre de toutes les attentions.

— Ah vous voilà ! S'exclame ma mère. Il ne manque plus que Léo et Marjorie.

Laissez-les où ils sont ces deux-là ! Ragé-je en mon fort intérieur.

— Mick, peux-tu me reconduire chez moi ?

— Quelque chose ne va pas ?
— Ne pose pas de questions et raccompagne là. Le somme Mary.

Il ne lui en faut pas plus, pour qu'il comprenne que quelque chose d'important vient de se produire. Mon frère se lève sans ajouter un traître mot et récupère sa veste puis les clés de voiture que Carla lui tend.  La tablée me regarde avec interrogation, mis à part une personne qui fulmine de me voir partir en plein repas. Je prie pour qu'elle n'ouvre pas la bouche, hélas, le dragon ajoute son grain de sel.

— Roxanne, ton attitude est grotesque, tu vas te rasseoir et attendre que Charles souffle ses bougies et ensuite tu partiras.

— Non, mère. Pour une fois, je ferai ce que bon me semble.

— Roxanne, voyons ! Tu es impolie, je ne t'ai pas élevé de cette manière.

Et là, ces derniers mots m'achèvent. Les vannes s'ouvrent et la colère se répand en moi comme de la lave en fusion. Avec méchanceté, je dévisage ma mère, puis Léo et Marjorie qui ne pipent pas mot. Ils me supplient du regard pour que je la boucle. Un rictus diabolique déforme mon visage, le petit monstre qui sommeille en moi se réveille et prend possession de mon corps. Cela n'annonce rien de bon, attention au carnage qui va suivre.

— Mère, avec tout le respect que je vous dois, ce n'est pas vous qui m'avez éduquée. Une flopée de nourrice s'est chargée du sale boulot à votre place. D'ailleurs, le mot maman leur allait bien mieux qu'à vous.

— Ça suffit ! Persifle-t-elle. Si tu as des problèmes avec moi, on en discutera à un autre moment. Je n'aime pas tes manières de laver le linge sale en public.

Aurai-je touché une corde sensible ? Rosa Harper sortant de ses gonds, c'est quelque chose à voir. Ses narines se dilatent, ses pupilles se durcissent, ses mains tremblent et son bégaiement est incontrôlable. Au fond de moi, je jubile, je tiens enfin ma vengeance.

— Arrêtez mère, vous risquez de faire une attaque. Mais pour cela, il vous faudrait avoir un cœur.

Charles se lève de table et nous informe qu'il serait bon pour lui de partir. Malheureusement, je ne l'entends pas de cette façon et lui ordonne de poser ses fesses sur la chaise, puisque j'ai de grandes révélations à lui faire.

— Viens Roxanne, je te ramène. Tu pètes un plomb petite sœur.

— Laisse-moi finir Mick. Au point où j'en suis, je n'ai plus rien à perdre. Donc Charles, je suis navrée de devoir t'informer que...

— Je t'en supplie Roxanne, ne fais pas ça. Bredouille Marjorie.

Bah, voyons, je vais me gêner.
Je vais cependant lui accorder un moment de répit, après quoi je déballerais à son mari que sa femme est la pire des salopes. Je fais le tour de la table en riant comme une cinglée, mes nerfs lâchent, un médecin me verrait dans cet état, ce serait direction l'hôpital psychiatrique.
Deviens-je folle ? Probablement.
Je dévoile l'histoire de ma vie jusqu'à ce que Léo débarque dans celle-ci.

— Mère savez-vous que notre rencontre est tout autre que celle que vous croyez ? Léo n'était pas un ami de Barbara, il était Escort. Cela vous en bouche un coin n'est-ce pas ? En quelque sorte, tout est votre faute. Si vous n'étiez pas sans cesse en train de me rabaisser sur tout et rien, je n'aurais pas fait appel à lui pour qu'il m'accompagne à ce fichu gala et nous n'en serions pas là aujourd'hui. J'avoue cependant que cela a été terriblement excitant, jouissif je dirai même que de vous avoir berné pour une fois afin que vous vous taisiez.

— C'est quoi cette histoire ! Et pourquoi t'en prends-tu à ce pauvre Charles ?

Je prends position à côté de lui, il ne sait que faire, son embarras est présent et, malheureusement, je me réjouis à l'idée de l'humilier devant tout le monde. Je suis dégueulasse, je le reconnais, puisque j'apprécie Charles, mais sa garce de femme ne s'en tirera pas aussi facilement et pour cela, il doit connaître une part de vérité sur celle qui partage sa vie depuis plus de quinze ans.

— Charles, si je devais décerner un prix, c'est à vous que je le donnerais. Vous n'êtes pas élu employé de l'année, mais plutôt cocu de l'année.

— Pardon !?

— Figurez-vous que je viens de découvrir que mon petit ami, qui ne l'est plus d'ailleurs, accordait ses faveurs sexuelles à votre femme monnayant quelques milliers de dollars. Je ne vous fais pas de dessin. Vous comprenez que Marjorie et Léo baisaient ensemble.

— Tout ce que tu dis, n'est que calomnie ! Dit-il, énervé en tapant du poing sur la table. Je n'écouterai pas une minute de plus les saloperies que tu racontes sur ma femme.

Et pourtant, je révèle la vérité. Je lui conseille de vérifier mes dires auprès des deux concernés, qui bizarrement détournent le regard.

— Rox, on y va. Annonce Mick qui me pousse vers la sortie en passant son bras autour de ma taille.

— Une dernière chose. Père, je ne viendrais pas travailler demain, quant à vous mère, prenez un Xanax, vous semblez à cran. Et toi Léo, tu peux faire une croix sur nous deux, puisque c'est fini.

Mon frère guide mes pas jusqu'à la sortie. Un vacarme monstrueux résonne derrière moi. Les cris de Marjorie pleuvent à foison, l'indignation de mes parents face à ce scandale est perceptible à dix mètres. Charles visiblement a sauté sur Léo pour lui refaire le portrait, alors que Paul, mon beau-frère, tente de faire régner la paix. Et puis Carla et Mary restent impuissantes face à ce spectacle haut en couleur. Je récupère ma pochette, mon corps tremblote de la tête aux pieds, je sens que mes forces m'abandonnent. L'adrénaline a disparu, je suis à présent au plus mal.

— Monte ! M'ordonne Mick. Je te raccompagne chez toi.

Une fois à l'intérieur de la voiture, il explose à son tour.

— C'était quoi ce bordel ? Tu es fière de toi j'espère !

— Ne me fais pas chier !

Mon frère grogne et tape avec violence sur le volant. Ses yeux ne cessent de me fusiller, je me fais toute petite, puisqu'un Mick en colère ne présage rien de bon.

— Je ne te comprends pas Rox, tu connaissais les risques en te mettant en couple avec Léo. Tu as pété un plomb pour rien. Son passé n'est certes pas facile à gérer, mais justement le passé doit rester où il est. Tu craqueras à chaque fois qu'une femme l'approchera en pensant que c'était une cliente.

— Je serais restée zen si cette salope ne l'avait pas touché et embrassé. Qu'aurais-tu fait à ma place, ne me dis pas que tu serais parti tout sourire en faisant comme si de rien n'était. Mick réfléchit, je connais assez mon frère pour savoir qu'il pèse le pour et le contre quand ses sourcils se froncent. Par la suite, il m'avoue d'une petite voix qui se veut rassurante qu'il aurait agi de la même façon.

— Tu as pourri mon dimanche, tu sais.

— Dis plutôt que je t'ai diverti. On s'emmerde toujours chez les parents de toute façon.

— Je te l'accorde, mais j'avais... enfin Carla et moi avions quelque chose à vous annoncer et tu as tout gâché avec ta crise d'hystérie.

— Non ce n'est pas vrai ! Elle attend un bébé ?

— Quoi d'autre ? Un chien peut-être.

— Tu es con. En tout cas, je suis heureuse pour vous, même si ça ne se voit pas.

Je suis triste, malheureuse, perdue, fatiguée et, pourtant, je me force à lui rendre son sourire, lorsqu'il me confie que Carla et lui feront de moi, la marraine de leur enfant. Je lui fais part cependant qu'ils devraient réfléchir un peu plus. Je suis folle, instable, probablement bonne à interner et pourtant, il me confirme son choix.

— Pauvre gamin ! Vous allez le regretter quand il deviendra barge comme sa tante.

— Idiote. Eh bien la folie de sa marraine, je l'aime beaucoup et j'espère qu'elle ne changera pas.

Mick me dépose devant chez moi, je lui propose de venir boire un verre, mais il refuse gentiment.

— Une autre fois Rox. Je vais retourner sur les lieux du drame, pour récupérer ma femme. Je t'appellerai ce soir pour te dire si tout était redevenu à la normale ou si ça s'est fini en bain de sang.

— Ok. Félicite Carla pour moi. Lui murmuré-je à l'oreille lorsqu'il m'étreint avant de reprendre la route.

— Je n'y manquerai pas. Je t'aime Rox, ne fais pas de bêtises.

— Promis.

Une fois en sécurité à l'intérieur de ma maison, je ferme tous les accès, éteins les lumières, débranche le téléphone et me réfugie dans ma chambre afin que personne ne vienne me déranger. Le poids de mon corps s'affale sur le moelleux du matelas. J'étouffe mes cris, mes pleurs, mes supplices en serrant l'oreiller de toutes mes forces sur mon visage. J'ai mal, tellement mal que je voudrais mourir pour ne plus ressentir cette piqûre vive qui transperce mon cœur. Jamais je n'aurai imaginé qu'un choc émotionnel pouvait nous briser en mille morceaux, nous détruire moralement et psychologiquement, nous rendre dingue au point de ne plus savoir qui l'on est... nous enlevant toutes pensées cohérentes. Que la faiblesse devient notre seule alliée dans cette descente aux enfers. Que les torrents de larmes versés ne se maitrisent pas, que celles-ci deviennent notre unique arme de défense... et que la trahison créée un trou béant dans la poitrine jusqu'à ne plus rien ressentir et que le sommeil nous emporte dans des songes moins douloureux.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant