Chapitre 41. Léo

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22 Juin 2015

Des voix à peine audibles se fraient un chemin jusqu'à mes oreilles, augmentant l'intensité des céphalées qui malgré la prise d'antidouleurs ne tarissent pas depuis hier soir. Je peine à ouvrir les yeux, et pourtant, il le faut, je dois mettre un terme à la discussion qui se déroule à quelques mètres de moi. Seulement, la luminosité de la pièce est si agressive qu'elle me brûle la rétine. Avec difficulté, mes paupières gonflées par les coups reçus lors de mon agression trouvent enfin la force de rester ouvertes. Je distingue la silhouette de Roxanne totalement prostrée dans un fauteuil, elle semble si fatiguée, soucieuse, amaigrie, et son visage de porcelaine est d'une blancheur extrême.

La semaine qui vient de s'écouler ne l'a pas épargné, j'en suis conscient. Je dirai même qu'elle a dû être très éprouvante, sûrement autant qu'à moi. Entre les révélations sur la relation que j'entretenais avec Marjorie du temps où je vendais mes charmes, puis la découverte de mon corps inerte sur son perron, elle a eu de quoi être choquée et dévastée les jours passés. La présence de l'autre individu m'est insupportable, elle m'oppresse tellement, que mes poumons peinent à inspirer le peu d'air qu'il n'a pas encore contaminé par sa présence néfaste. Roxanne lui parle avec bienveillance, sait-elle seulement que cette pourriture est mon frère, le fabuleux docteur Garreth Ortega, l'enfant prodige de mes parents adoptifs. Je puise dans le peu de force qu'il me reste afin de courber le dos pour me redresser, malheureusement une douleur vive en bas des reins réduit tous mes efforts à néant. Mes membres ankylosés retrouvent le confort du matelas dans un fracas qui alerte Roxanne et... LUI.

— Comment te sens-tu Léo ? Me demande celui qui se prend encore une fois pour un super-héros, en vantant ses exploits à MA COPINE. Il peut bien lui faire gober ce qu'il veut afin de passer pour un saint, moi je sais qu'il est le diable en personne.

Je lui jette un regard noir, le voir si près de Roxanne m'hérisse le poil, me fait bouillir de haine à me donner des envies de meurtres. Étant dans l'incapacité de me lever pour lui balancer mon poing au visage, je me contrains à lui cracher mon venin en pleine face, sous le nez de ma petite amie qui reste interloquée, étonnée par tant de virulence.

— Dégage d'ici ! Tu entends ce que je te dis !

— Arrête ! M'enguirlande Roxanne tout en s'approchant de moi. Qu'est-ce qui ne va pas dans ta tête pour t'adresser au docteur de cette manière ?

Le rire mesquin qui s'évacue du tréfonds de ma gorge la laisse de marbre. C'est bien ce que je pensais, elle n'a pas été informé que le bellâtre, qui la surplombe de deux têtes, n'est autre que mon petit frère. Elle va vite déchanter quand elle comprendra qu'elle a sympathisé avec l'ennemi.

— Ne cherche pas à comprendre Rox. C'est entre lui et moi. N'est-ce pas frangin ?

Roxanne jette un coup d'œil interrogateur sur Garreth, avant de revenir capter son regard dans mes prunelles dénuées de toute tendresse. Je n'éprouve que de la colère, pas envers elle, ça jamais, mais contre celui qui me lorgne avec tristesse pour recevoir mon pardon. Jamais je ne pourrais absoudre le péché qu'il a commis en couchant avec mon ex. Il m'a trahi, détruit et rien de ce qu'il pourra me dire ou faire n'excusera son comportement.

— Écoute Léo, je ne veux pas que l'on se dispute. Ce n'est ni le lieu ni le moment. Oublie une minute qui je suis et adresse-toi à moi comme tu le ferais avec n'importe quel médecin.

Pour qui se prend-il à me faire des remontrances ! Ce n'est pas parce que monsieur porte une blouse blanche et un stéthoscope autour du cou qu'il peut se permettre de me faire une leçon de morale.

— Dans ce cas docteur, puis-je sortir ?

Mon frangin me donne son aval en n'omettant pas de me faire quelques recommandations. Beaucoup de repos, pas d'effort inutile... Et puis quoi encore. Il ne va tout de même pas m'interdire d'aller pisser. Je ne suis pas estropié, en revanche juste un peu rouillé.

— Je t'ai prescrit des antalgiques, tu pourras en prendre jusqu'à six par jour en cas de douleur intense. Et dans huit jours, tu devras faire retirer tes fils par un médecin ou une infirmière de ton choix. Roxanne, je vous le confie. Prenez soin de lui. Lui dit-il en lui allouant un sourire d'une blancheur irréprochable en lui posant la main sur l'épaule.

Je suis envahie d'une animosité incontrôlable de lui arracher les dents une à une pour qu'il arrête de lui sourire, de lui couper la langue pour qu'il ne lui adresse plus la parole. Et par-dessus tout, j'ai envie de lui briser les os de la main pour qu'il ne la touche plus. Le voir faire son numéro de charme à Roxanne, me donne des idées morbides. Je voudrais passer mes doigts autour de son cou, le voir et l'entendre me supplier de relâcher la pression. Heureusement pour lui, je ne suis pas un assassin.

— Roxanne peux-tu m'aider à me lever pour que je puisse m'habiller ?

— Bien sûr. Bredouille-t-elle confuse.

Avant que mon frère ne sorte pour de bon, il ajoute une dernière phrase qui sonne le glas de ma contrariété.

— Tu n'es pas le seul à souffrir Léo, arrête d'être égoïste !

Putain ! Il pense que c'est facile tous les jours de vivre loin de mes parents. Il se trompe sur toute la ligne. Être éloigné d'eux me crève le cœur, cependant j'ai fait un choix, il y a de cela dix ans et je l'assume. Ne plus faire partie de leur vie n'a pas été quelque chose de simple à vivre, au contraire, j'en ai souffert et en souffre encore aujourd'hui. Cependant, ma fierté m'interdit de faire le premier pas. Après tout, ce sont eux qui m'ont menti délibérément durant vingt et un ans. Alors pourquoi devrais-je faire comme si rien n'avait eu lieu en me pointant devant chez eux avec des fleurs et du champagne. Me cacher la véritable identité de mes parents biologiques a été le plus gros choc émotionnel que j'ai eu à encaisser. Même la trahison de Taylor et de Garreth n'était rien en comparaison à cette dissimulation dont ils ont fait preuve délibérément.

Roxanne ne dit rien et exécute les ordres que je lui dicte.

— Aide-moi à me lever ! Apporte-moi mes vêtements ! Sors-moi d'ici et vite.
Je suis un véritable idiot, la moindre chicane me rend irritable, et aussi navrant que cela puisse paraître, c'est ma douce et jolie brune qui subit mes sautes d'humeur sans rechigner. Avec difficulté et quelques grognements émis face aux multiples contusions qui tiraillent mon corps, je m'habille avec l'aide de Roxanne, qui n'a malheureusement toujours pas ouvert la bouche. Je n'aime pas ce silence qui en dit long sur les prochaines heures à venir. Profitant encore un peu de la douceur de ses gestes, de ses mains sur mon corps, je m'interdis d'ouvrir la bouche afin de ne pas envenimer la situation houleuse dans laquelle je nous ai mis. Je saisis son bras pour qu'elle me regarde, ses magnifiques billes vertes brillent de mille feux lorsqu'elle accroche enfin le mien d'amoureux transit. Des larmes perlent aux coins de ses yeux, et sans m'y attendre une seule seconde, Roxanne m'annonce qu'elle m'aime.

— Je ne m'attends pas à ce que tu le dises en retour, néanmoins... laisse tomber et sortons d'ici. Finit-elle par conclure sans que je ne m'y oppose.

Roxanne est ma béquille, elle m'aide à déplacer ma carcasse jusqu'à l'ascenseur en me tenant par la taille afin que je puisse prendre appui sur son corps. Toute menue et pourtant si forte. Un petit ding retenti, annonçant l'arrivée de l'élévateur, nous entrons dans cette cabine et attendons que les portes se referment sur nous.

Nous savoir tous deux enfermés entre ses plaques de métal, me donne des pensées impures. Malgré les tiraillements qu'éprouve mon corps, je saisis Roxanne avec force et la bloque violemment contre la paroi du fond. Sans qu'elle puisse avoir le temps de comprendre mes intentions, je capture ses lèvres et prend possession de sa bouche. J'ai besoin de ce contact, elle est mon oxygène, celle qui m'aide à rester vivant. Je l'embrasse fiévreusement, ardemment, je suis obsédé par les courbes de son corps qui ondulent si près du mien. Sa langue cherche une petite brèche pour entrer en collision avec la mienne, une effusion de sensations déferle dans tout mon être, lorsqu'enfin l'impact se produit. Mes poils se dressent alors que ses doigts glacés se faufilent sous mon sweat afin d'y trouver ma peau chaude et délicate. Son touché est très agréable, indispensable à mon bien-être, Roxanne est ma cure de jouvence. Tout en lui maintenant les joues en coupe, j'interromps notre baiser et la contemple comme la huitième merveille du monde. Roxanne est mon âme-sœur, je suis convaincu que nos chemins étaient faits pour se rencontrer. Ma bouche peine à trouver les mots que je voudrais lui confier afin de lui avouer tout ce que je ressens pour elle. Tant de temps à me refuser d'éprouver le moindre sentiment pour quiconque, et voilà qu'une magnifique femme un peu gauche sur les bords a fait irruption dans ma vie pour y mettre son grain de folie. Elle est celle qui m'a donné espoir en l'avenir, et grâce à elle, aujourd'hui je veux y croire, je veux croire que pour nous deux les années à venir ne seront que bonheur. Certes, le parcours sera long parce qu'un cœur brisé ne se repart pas en un coup de baguette magique et pourtant, j'en suis convaincu, puisque Roxanne est ma fée, mon Athéna... ma déesse de l'amour. 

— Je t'aime. Avoué-je en posant mon front contre le sien.

— Idem.

Ai-je bien entendu ? A-t-elle utilisé les cinq lettres que je lui ai soufflées hier pour répondre à sa déclaration ?
Sans aucun doute, j'en suis persuadé. Le son de cloche de l'ascenseur annonce la fin de cet aparté, cependant je compte bien réitérer ces quelques mots à l'impact démesuré. Main dans la main nous traversons un dédale de couloirs, plus grands les uns que les autres. J'aurai dû demander un fauteuil roulant, les efforts que je fournis en marchant sont denses et m'affaiblissent. Pourtant, j'accélère le pas et tire sur la main de ma compagne lorsque je l'aperçois, Elle, me dévisageant avec émotions.

— Léo... C'est bien toi !

Sa voix brisée par les remords m'implore de lui pardonner ses fautes, hélas, c'est trop pour moi et je préfère poursuivre ma route comme si je n'avais rien vu, ni entendu. Celle pour qui j'aurai tout donné se tient droite devant moi, les yeux brillants de larmes et la seule chose que je trouve à faire est de l'ignorer. C'est trop... beaucoup trop difficile à encaisser après les événements que je viens de vivre. Je ne peux pas me jeter dans ses bras, qui autrefois me réconfortaient lorsque j'avais un chagrin. Je n'arrive pas à faire cette démarche, pas encore, je ne suis pas prêt. Mon cœur est tout juste raccommodé, je ne veux pas prendre le risque de l'anéantir de nouveau. Nous quittons l'enceinte de l'hôpital sans qu'aucun de nous n'émette la moindre parole. Roxanne se tait et pourtant, je sais qu'elle crève d'envie de me demander qui était cette femme aux cheveux grisonnants, au visage maculé par les affres du passé. C'est donc dans un dernier effort que je lui fais cet aveu :

— La femme que tu as vu dans le hall, c'est MA MÈRE.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant