Chapitre 9. Léo

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— C'était un très beau discours. Emis-je à Roxanne alors que nous déambulons dans la grande salle de réception à la recherche d'un coin paisible pour discuter à l'écart de tous ces curieux, qui nous épient sans aucune discrétion depuis que nous sommes arrivés.

— C'est vrai, ma mère excelle dans ce type d'exercice. Elle sait tenir son public en haleine, les captiver, les émouvoir avec ses belles paroles. Malheureusement quand il s'agit de s'adresser à ses enfants avec bienveillance, c'est tout autre chose, elle ne sait pas faire.

— Pourtant elle semblait chaleureuse avec vous tout à l'heure, affirmé-je en lui emboîtant le pas pour sortir sur le balcon.

— C'était un leurre, vous verrez son véritable visage lorsque nous passerons à table... je vous aurai prévenu Léo.

— Et votre père ? Je veux dire comment se comporte-il avec vous ?

Roxanne s'appuie sur la rambarde en métal, fixe l'horizon un court instant avant de revenir planter son regard pétillant dans le mien.

— Mon père est différent. Il est à notre écoute, très attentif à nos besoins, respectueux de nos choix, c'est un véritable joyau que je chérie chaque jour. Vous savez, malgré son travail qui monopolise les trois quarts de son temps, il s'évertue à nous accorder toute son attention dès qu'il le peut. Contrairement à notre mère qui ne cesse de nous rabaisser pour tout et n'importe quoi. Vous devez me trouver injuste de la dénigrer ainsi, dit-elle en frictionnant ses bras dénudés qui se couvrent d'une légère chair de poule.  Et vos parents Léo, comment sont-ils ?

J'allume une cigarette, détourne mon regard et inhale les substances chimiques qui finiront par me tuer si je continue de fumer comme je le fais. Évoquer l'existence de mes parents est devenu impossible, je les ai bannis de ma vie quand j'ai fuis leur maison. À mes yeux, ils n'existent plus, ce sont juste de parfaits imposteurs qui m'ont trahis en me mentant toute ma vie. Devant mon silence Roxanne s'excuse.

— Je ne voulais pas être indiscrète, oubliez ma question Léo.

— Non ce n'est rien. Je ne parle jamais d'eux. C'est difficile puisqu'ils sont morts dans un accident de voiture il y a une dizaine d'années.

— J'en suis navrée. Avez-vous des frères et sœurs ?

— Du tout, je suis fils unique, mentis-je honteusement à cette honnête femme.

Si elle savait que tout ce que je raconte n'est qu'un ramassis de conneries, elle me décernerait le premier prix du meilleur mythomane de l'année. Mon passé est une zone d'ombre que je n'aime pas exposer, il est bien où il est, caché dans mes songes.

— Nous devrions retourner à l'intérieur Roxanne, les convives s'installent à table, lui fis-je remarquer avant d'écraser mon mégot dans un pot de fleurs.

Elle acquiesce et se faufile avec grâce à l'intérieur, je la laisse nous conduire à notre table.

— Suivez-moi, c'est ici.

Planté devant une tablée d'inconnus qui me dévisage de la tête au pied, je ne perds pas mon sang froid, reste professionnel et laisse Roxanne me présenter tout ce petit monde.

— Léo, je vous présente ma famille. Ma sœur Mary et Paul son époux. Mon frère Mick, ma future belle-sœur Carla, mes parents et Barbara.

— Que je connais déjà, bredouillé-je pour rattraper sa bourde.

— Exactement ! Qui ne la connait pas.

— Asseyez-vous jeune homme me somme le patriarche. Vous prendrez bien une coupe de champagne pour patienter, le dîner ne devrait plus tarder.

— Avec plaisir monsieur.

— Appelez-moi Richard. On a quasiment le même âge, plaisante-il.

Je ris face à sa réplique et continue d'échanger quelques banalités avec lui. Les serveurs fourmillent pour nous apporter des mets plus succulents les uns que les autres. Devant toute l'argenterie qui entoure mon assiette, Roxanne me montre discrètement quel couvert utiliser en pensant m'aider, sauf que je connais parfaitement l'utilité de chacun. Je suis habitué au repas de grand standing. Je pique ma fourchette à quatre dents dans le délicieux turbot qui fond sur ma langue. Des petits légumes agréablement assaisonnés accompagnent ce poisson d'excellence pour le plaisir de mes papilles qui s'affolent. La conversation est engagée de part et d'autre, nous discutons politique, travail, loisirs...

— Roxanne devrait suivre l'exemple de Barbara ! s'exclame madame Harper devant toute l'assemblée. Elle devrait sortir un peu plus souvent et oublier parfois son travail. Comment voulez-vous qu'elle rencontre un homme qui veuille l'épouser ? Ce n'est pas en restant quatorze heures par jour derrière son bureau qu'elle le trouvera.

— Mère ! J'ai une vie sociale figurez-vous et je sors quand l'occasion se présente. Et puis j'ai des loisirs en dehors de mon bureau.

— Ah oui ! Lesquels ?

— Je fais du sport, du shopping et je voyage.

— Tu voyages seulement pour ton travail. Rappelle-moi ta dernière destination ?

Roxanne pose ses couverts bruyamment, regarde sa mère droit dans les yeux et s'apprête à laisser rugir toute sa colère... lorsque son père s'interpose en changeant de sujet en s'adressant à moi.

— Léo, dans quel domaine travaillez-vous ?

J'essuie ma bouche, repose ma serviette de table et lui réponds le plus honnêtement possible.

— Je suis dans la finance monsieur... je veux dire Richard. J'investie dans l'immobilier depuis quelques années.

Roxanne et Barbara, les deux complices me regardent avec surprise puis elles étouffent un petit rire face à ma réponse. Pourtant je dis vrai. L'argent que j'ai amassé ces dernières années en tant qu'Escort m'a permis de bien vivre et de faire des placements juteux, que j'ai réinvesti pour m'assurer une rente en cas de coup dur. Mon compte en banque est bien fourni, sûrement plus que certaines personnes, pourtant je continue d'exercer le plus vieux métier du monde. Vous vous demandez bien pourquoi ? J'aime l'argent facile, encore plus le sexe, hélas comme je ne crois pas en l'amour et que je ne veux pas entretenir une femme financièrement histoire de la baiser de temps en temps, je préfère continuer mon activité.

— Vous avez de l'ambition mon cher. Me répond madame Harper qui doit voir en moi le gendre idéal pour sa fifille non casée. Votre famille doit être fière de vous. Intelligent, beau, fortuné, vous avez vraiment bien réussi pour un jeune trentenaire. Êtes-vous célibataire Léo ?

— Mère, ça suffit avec vos questions !

— Non, laissez Roxanne, je vais y répondre. Je ne saurai vous dire si ma famille est fière de celui que je suis devenu puisque je suis orphelin depuis l'âge de vingt et un ans. Je suis effectivement célibataire comme votre fille malheureusement. Je travaille beaucoup et je n'ai pas vraiment le temps de faire des rencontres.

Je suis un menteur hors-pair, personne ne remarque la supercherie de mon énorme bobard. J'ai honte de mentir, mais je ne peux pas avouer la vérité concernant ma famille et mes fonctions de gigolo. Je ne suis pas content de moi à cet instant mais ne laisse rien paraître. Roxanne et Mary me sauvent des griffes de leur mère en questionnant leur frère sur son mariage.

— Vous avez trouvé le lieu pour la cérémonie ?

— Oui, enfin ! Carla et moi avons jeté notre dévolu sur un endroit magnifique. Il s'agit d'un petit château situé en dehors de Manhattan. Il y a même un lac aux alentours, les invités pourront monter dans des barques s'ils le désirent, et qui sait, peut-être batifoler sur l'eau, ricane Mick.
— Tu ne penses qu'aux obscénités, vocifère sa fiancée rouge de colère.

— Je plaisante, je trouve cela romantique ma puce.

— Tu ne disais pas cela quand on a visité, lui lance-t-elle au visage.

— Mauvaise langue, lui répond-il en l'embrassant sur la joue. Mais j'y pense. Roxanne, tu viendras avec Léo je suppose, il va falloir revoir les plans de table et l'organisation des chambres.

Roxanne devient aussi rouge que sa robe, je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me pousse à interagir dans le bon sens.

— Si Roxanne veut de moi, je serai ravi d'être présent.

Roxanne est surprise par mon aveu et bafouille quelques mots incompréhensibles qui me font sourire.

— Je ne sais pas, je n'avais pas demandé à Léo. Je doute qu'il soit libre, il travaille beaucoup.

Roxanne, pensé-je silencieusement... pour tout l'or du monde, je bouleverserai mes plans pour passer une journée de plus avec vous. Ce n'est pas dans mes habitudes, cependant cette femme m'intrigue, me bouleverse, me déstabilise. Moi, l'homme qui crie haut et fort qu'il ne s'engagera jamais, je crois que je pourrais faire une entorse à la règle avec elle. Mais qu'est-ce que je raconte ? Roxanne est trop bien pour moi. Quelle femme aussi intelligente qu'elle, voudrait entretenir une relation avec un homme qui vend ses charmes ? Elle est juste ma nouvelle lubie. Une fois que je l'aurai eue, je passerai à autre chose, c'est évident. Tenté-je de me convaincre.

— Je pourrais toujours m'arranger si vous souhaitez ma présence à vos côtés.

Ses lèvres pulpeuses s'entrouvrent, ses magnifiques yeux verts menacent de sortir de leurs orbites, elle est déstabilisée par ma proposition. J'espère de tout cœur qu'elle acceptera.
J'attends sa réponse qui ne tarde pas à venir.

— Euh... bien sûr ! Si vous êtes est disponible, pourquoi pas.

Mon cœur de pierre s'amuse à tambouriner fortement dans ma poitrine, je suis heureux tout simplement qu'elle ait dit oui. Le dîner prend fin vers vingt-trois heures trente, les invités s'agglutinent sur la piste de danse pour se déhancher. Roxanne reste engoncée sur sa chaise, ne bouge absolument pas, alors je me lève et lui tends la main. Elle hésite puis dépose ses doigts dans ma paume. Je nous dirige dans un petit coin moins peuplé, entremêlant nos doigts ensemble et l'invite à danser sur un rythme lent. Ses pas s'accordent aux miens, tout comme son corps qui s'emboîte à la perfection comme deux pièces de puzzle. Étant plus grand qu'elle d'une bonne tête, je sens son souffle me chatouiller le cou. Son odeur de shampooing au jasmin et son parfum fruité remontent à mes narines et m'envoûtent. Je la respire discrètement afin de garder son essence en mémoire. Ma main moite se pose sur sa chute de reins, j'ai l'impression de toucher sa peau nue et douce, pourtant la soie de sa robe fait office de barrière entre nous. Roxanne est une très belle femme, je ne comprends pas qu'elle puisse être célibataire. Si je n'étais pas un connard prétentieux, je lui ferais la cour pour obtenir un simple baiser de sa part.

— Vous me communiquerez vos tarifs pour le mariage de Mick, murmure-t-elle alors que je la tiens fermement dans mes bras pour la faire tourner et virevolter.

— Pardon ? Fais-je ahuri en stoppant mes pas. Je ne vous ai pas parlé argent il me semble. Je viendrai à titre gratuit.

— Mais...

— Roxanne. Quel mot n'avez-vous pas compris dans ma phrase ? Je vous accompagnerai avec plaisir, je n'ai pas besoin de vous faire une note de frais.

— Très bien. Je vous remercie infiniment pour cet élan de générosité. Avec l'argent que vous refusez d'accepter, je m'offrirai une nouvelle paire de chaussures ou peut-être deux. Vraiment, merci Léo se moque-t-elle. Vous faites de moi une femme heureuse.

Décidément, cette gonzesse est pleine de surprise, elle mérite vraiment qu'un homme s'intéresse à elle. Elle est très drôle en plus d'être intelligente, sexy, et méga bonne. Je sais ce n'est pas cool de le dire ainsi, mais que voulez-vous, je le pense. Roxanne Harper est vraiment baisable !

La soirée prend fin quelques heures plus tard, vers deux heures du matin, Roxanne semble épuisée. Je l'aperçois bailler discrètement de plus en plus. Je pense qu'il est temps de ramener la demoiselle chez elle.

— Je vous raccompagne ?

— Volontiers, je suis un peu fatiguée.

Nous signalons notre départ et saluons sa famille avant de partir. L'air est frais en ce début de nuit, ma cavalière frissonne, je retire ma veste et la glisse sur ses épaules.
— Merci pour tout Léo. Vous avez été parfait ce soir. Dit-elle en s'installant dans la voiture.

Le chemin du retour se fait en silence, puisqu'elle s'est endormie. Ce qui n'est finalement pas si désagréable, car je peux encore poser mes yeux sur elle sans qu'elle ne le remarque. Son visage est serein, son corps est détendu, je suppose qu'elle relâche enfin toute la pression qu'elle a subie au cours de la soirée. Finalement, elle n'avait pas tout à fait tort, sa mère est une harpie. Je me gare devant son domicile, éteins le contact puis attends quelques minutes de plus avant de la réveiller. Il est plus de trois heures trente, j'ai pris mon temps sur la route en roulant lentement, je ne voulais pas que cette soirée se termine tellement sa compagnie m'est agréable. Mais toutes bonnes choses ont une fin, la parenthèse se referme lorsque Roxanne remue des paupières. Elle ouvre les yeux, se décroche la mâchoire en bayant aux corneilles, puis s'excuse d'avoir dormi.
Bordel ! Même au réveil elle est canon.

— Vous voilà arrivée à bon port.

— Merci Léo. J'ai passé une très bonne soirée en votre compagnie. Sans vous à mes côtés, elle aurait été horrible m'avoue-t-elle avant d'agripper la poignée de la portière.

Elle s'extirpe de la voiture, commence à se rendre jusqu'à sa porte d'entrée puis finalement revient sur ses pas.

— J'ai failli oublier de vous rendre votre veste. Et j'ai aussi ça pour vous, me signale-t-elle en sortant une enveloppe de sa pochette. Voici votre argent Léo.

— Vous pouvez garder le contenu, faites-en bon usage en les reversant à une œuvre de charité.

— Vous êtes sûr ? Il y a tout de même vingt mille dollars.

— Absolument ! Je n'en ai pas besoin contrairement à certains malades.

— Dans ce cas, merci infiniment pour eux. Je ferai don de cet argent pour une noble cause.

— Vous devriez rentrer, il fait froid.

— Je confirme, eh bien, bonne nuit Léo.

— A bientôt Roxanne.

Je la regarde rejoindre son domicile, j'attends qu'elle referme sa porte pour redémarrer ma voiture. Je fais rapidement le bilan de ma soirée, pas de sexe, pas d'argent, cependant une agréable rencontre avec une femme plus que charmante. J'appuie sur l'accélérateur et file à vive allure à travers la nuit noire afin de retrouver à mon tour mon chez moi, seul... mais heureux.

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