Chapitre 20. Léo

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20 Décembre 2014

Les jours passent et se ressemblent tous. Mon quotidien est accablant. Je me lève quand bon me semble, mange si j'en ai envie, et reste prostré sur mon canapé à jouer à la console ou à regarder des programmes débiles à la télévision. Je ne suis pas malade rassurez-vous, j'ai tout simplement raccroché avec ma vie d'avant. Fini Léo l'Escort, il était temps pour moi de redevenir un homme lambda. Certes la décision n'a pas été simple mais je me devais d'y mettre un terme. En y réfléchissant bien, j'ai passé l'âge de ces conneries. A vingt ans c'est super de jouer les gigolos, c'est excitant mais arrivée la trentaine, on aspire à autre chose. Construire une famille, avoir une situation financière stable. J'ai pris conscience de tout ceci grâce à une certaine brune. Elle m'a ouvert les yeux le soir du mariage de son frère en me repoussant. J'ai été blessé dans mon ego, la seule femme à qui je me donnais sans me poser de questions m'a tout simplement remercié en me disant qu'elle n'avait pas d'argent pour avoir le droit de passer la nuit avec moi. J'ai eu mal, très mal qu'elle ne puisse voir au-delà de mon activité. Je me suis senti insignifiant face à elle, je n'étais rien à ses yeux, juste un petit con arrogant, prétentieux avec une belle gueule qui vendait son corps pour quelques billets. J'ai cru recevoir un coup de massue !
Être riche et entourer de belles plantes ne dure qu'un temps, il m'a fallu cinq années pour m'en rendre compte. Pathétique !

Qu'étais-je finalement ?

Un homme seul, perdu, sans attache qui comblait le vide en baisant n'importe qui. J'ai dû résilier ma ligne de téléphone puisque mes clientes me harcelaient. Elles ne comprenaient pas ma décision si soudaine alors que mon carnet de rendez-vous était plein pour les semaines à venir. Je n'ai pas voulu leur expliquer mon choix, moi seul en connaissait la raison... Roxanne. Je savais que cette femme causerait ma perte lorsque je l'ai embrassé. Elle m'a capturé dans ses filets, telle une araignée pour finalement ne faire de moi qu'une bouchée de pain. Elle a été l'élément déclencheur dans toute cette histoire, même si je lui en ai voulu au début, cette diablesse a fait de moi un pantin face à son charme destructeur. Je ne peux que l'en remercier aujourd'hui de m'avoir rendu un semblant de vie.

Je ne veux plus me cacher derrière le masque que je m'étais fabriqué. Je veux seulement redevenir Léo Ortega... l'homme heureux d'il y a dix ans. Je suis en pleine réflexion sur mon avenir professionnel, faire une reconversion alors qu'on a été prostitué durant des années est très difficile. Le chemin va s'avérer sinueux. Je ne peux pas envoyer mon curriculum vitae aux entreprises qui m'intéressent, impossible de noter mon ancien métier sans être jugé. Je veux retrouver mon anonymat, pouvoir vivre heureux et me donner la chance de croire en l'amour.  Avoir l'espoir qu'un jour une petite tête vienne nicher son nez au creux de mon cou et qu'elle me dise « je t'aime papa ». Voilà tout ce que je souhaite pour mon futur, une vie simple et comblée.
Il est à peine vingt heures trente quand je passe à table et commence à manger l'assiette de pâtes que j'ai fait réchauffer. Je me force à l'avaler, mais je n'ai absolument pas d'appétit. West est passé dans la matinée, il m'a trouvé amaigri et s'est mît en tête de m'apporter mes repas tous les jours afin de vérifier que je m'alimente un peu. Il pense à une dépression, vue la décision radicale que j'ai prise et sans m'y être préparé au préalable. Mon ami a sûrement raison, je traine en jogging, me lave et me rase occasionnellement, un vrai souillon... je me laisse complètement aller. J'avale la dernière bouchée, débarrasse mon assiette avant de la mettre dans l'évier puis me traine en direction de ma chambre. Vingt heures cinquante, je suis déjà au lit. J'ai l'impression d'être un petit vieux qui se couche après avoir regardé le journal télévisé. Ma tête repose sur l'oreiller, mes yeux fixent le plafond, j'essaie de compter les moutons imaginaires pour trouver le sommeil. La pluie ne cesse de venir cogner contre le carreau, des éclairs illuminent la pénombre dans laquelle je suis plongé. Je m'allonge sur le ventre, bras croisés au-dessus de la tête et tente de chasser le bruit de l'eau qui clapote sur la fenêtre pour m'endormir.

Alors que je somnole, j'entends la sonnette d'entrée retentir. Je grogne et laisse cet intrus à la porte. Qu'il aille au diable, j'ai besoin de dormir ! Un court instant passe, plus un bruit, je suis soulagé que cette personne n'ait pas insisté.
Je retombe dans un demi-sommeil alors que le carillon résonne à nouveau.
— Putain ! On ne peut pas rester tranquille.

Je foule les marches deux par deux, je suis enragé et l'individu qui est venu me débusquer du lit va m'entendre chanter. Je ne prends pas la peine de regarder dans le judas, et tourne la clé dans la serrure puis ouvre la porte à la volée. Je tombe nez à nez avec une personne que je ne pensais pas revoir, enfin pas de sitôt. Roxanne se tient debout devant à moi... elle grelotte, la pluie s'est infiltrée dans ses habits, elle est mouillée de la tête aux pieds. Je me contente de fixer son regard émeraude qui perce à travers la nuit noire.

— Qu'est-ce que vous venez faire chez moi ? L'agressé-je en restant planté face à elle.

Le ton que j'y mets la surprend, elle ouvre puis referme la bouche comme un stupide poisson rouge. Pas un mot ne lui échappe, elle est devenue muette ma parole !

— Vous devriez partir Roxanne. Vous n'avez rien à faire ici et encore moins avec moi.

— Léo tente-t-elle, je...

— Non, ne dites rien ! Je sais déjà ce que vous pensez de moi, alors vous pouvez ravaler votre venin et repartir dans votre petit monde embourgeoisé.

— Vous vous trompez. Je venais vous dire que... peu importe, vous avez raison, je devrais partir.

— Très bon choix, admis-je alors que je referme la porte sur elle.

Le connard qui sommeille en moi refait surface et oublie ses bonnes résolutions. Elle m'a blessé, je tente seulement de me protéger en fermant les barrières de mon cœur à double tour. J'appuie ma tête sur le chambranle, peste contre moi-même, je suis un idiot. Une femme me plait et je la chasse parce qu'elle n'a fait que constater que j'étais un Escort. Je jette un œil par la fenêtre, discrètement je l'épie. Même trempée jusqu'aux os, les cheveux dégoulinants et le maquillage coulant, Roxanne reste une femme magnifique. Rien ne peut l'enlaidir... absolument rien, j'en suis certain. Tête baissée, les yeux brillants de larmes, elle rebrousse chemin sous la pluie diluvienne, mon cœur se serre en la voyant rebrousser chemin. Je me fais violence pour ne pas céder... hélas c'est plus fort que moi, Roxanne me bouleverse. J'ouvre de nouveau le battant avant qu'elle ne monte dans sa voiture, je prends mon courage à deux mains, je ne veux pas qu'elle parte.

— Roxanne, ne partez pas ! Je vous offre un café ?

Elle s'arrête net et se retourne. Un air surpris s'affiche sur son beau visage, nul doute que mon changement d'humeur l'étonne. Deux minutes plus tôt il est vrai que j'étais le diable incarné. Elle hoche la tête et trottine de nouveau en ma direction. Je m'efface et la laisse pénétrer dans mon domicile.

— Je vais préparer des boissons chaudes, mettez-vous à l'aise dans le salon j'en ai pour quelques minutes, l'informé-je avant de partir dans la cuisine.

Je sors deux tasses, les remplie de ce nectar noir que j'ai préalablement réchauffé dans le micro-onde puis les dépose sur un plateau. J'ajoute le sucrier, le lait, des biscuits et sors de la cuisine.
Je retrouve Roxanne toujours dans l'entrée, elle n'a pas bougé. On pourrait penser qu'il s'agit d'une statue sauf que ses tremblements trahiraient sa couverture.

— Ne restez pas là, suivez-moi au salon. Je ne mords pas lui dis-je pour détendre l'atmosphère. Asseyez-vous Roxanne, je vous prie.

— Non merci. Je suis bien debout, ment-elle en claquant des dents.

— Quel con je suis ! Vous devez être gelée, ne bougez pas je vous apporte une serviette. Mettez-vous près du feu, je vais ajouter une bûche pour que vous puissiez vous réchauffer.

— Merci Léo d'être si prévenant mais ça ne sera pas la peine, je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

— Roxanne, maintenant que vous êtes ici, dites-moi réellement ce qui vous amène ?

— Vous ! Enfin je veux dire que je devais vous présenter des excuses. J'ai été exécrable, alors que vous ne le méritiez pas. Certes être Escort est votre choix, même si je n'y comprends rien, je n'avais pas à porter de jugement sur votre activité.

— Vous avez exprimé votre ressenti tout simplement. Cependant je voudrais mettre une chose au clair avec vous. Je n'ai jamais évoqué ni proposé de tarif. Je ne vous voyais pas comme une de mes clientes ce soir-là, mais seulement comme une femme belle désirable avec qui j'avais envie de passer un bon moment.

— J'ai mal interprété les choses, ce n'est pas dans mes habitudes de monnayer des prestations sexuelles. J'ai pensé que je n'étais qu'une cliente de plus à vos yeux et ce n'est pas ce que je désirais. Je voulais simplement être Roxanne Harper et non pas un joli paquet de fric. C'est bête je sais, je pense que l'un comme l'autre n'avons pas su nous comprendre.

Elle a amplement raison, et il est rare que je l'admette.

— Je vous l'accorde.

Je réactive le feu de cheminée, les flammes dansent devant mes yeux, la chaleur imprègne mon corps, je surprends Roxanne en l'attrapant par la main pour qu'elle se place à mes côtés.

— Voilà, vous serez mieux ici. Vous voulez un pull, une couverture ? Vous tremblez et avez la chair de poule, remarqué-je en glissant délicatement mes mains sur sa peau douce et humide.

— Non je n'ai pas froid Léo... j'ai peur.

Peur de moi ? Peur que je lui fasse du mal ?
Je la regarde sans comprendre où elle veut en venir. Je ne suis pas méchant, peut-être un peu con mais de là à la faire flipper c'est un peu grotesque quand même.

— Je vous effraie ?

— Non enfin peut-être. Vous m'intimidez voilà tout.

— Il ne faut pas, je suis un homme normal.

— Pas tout à fait ! Vous êtes un Escort et vous côtoyez beaucoup de femmes, ce qui vous donne beaucoup d'assurance.
— Je ne suis plus du métier, j'ai tout arrêté.
— Ah bon ! Quand ? Pourquoi ?

— Après le mariage de votre frère, j'ai beaucoup réfléchi à ma situation. Vous m'avez ouvert les yeux sur le monde Roxanne. Je ne pouvais pas continuer à me vendre. J'ai envie de reprendre un semblant de vie convenable. Je veux créer des choses bien, être le vrai Léo Ortega. Fini la prostitution, je ne regrette pas mon passé puisque j'ai bien vécu ces dernières années, mais il est temps pour moi d'avancer, de me construire un futur.

— C'est vrai ? Vous le pensez vraiment ?

— Absolument et c'est grâce à vous.

Je réduis l'espace qui nous sépare, j'ai ce besoin viscéral d'entrer en contact avec sa peau. Rien qu'un effleurement suffira à combler mon désir. Mes doigts s'entremêlent aux siens, cet infime touché me procure un sentiment de bien-être. Je ne veux pas gâcher ce moment en devenant plus entreprenant. Roxanne devra l'être pour nous deux si elle désire beaucoup plus qu'une simple caresse.

— Léo, bafouille-t-elle en posant son regard sur nos mains soudées. Je veux...

— Quoi Roxanne ? Dites-le-moi ! Parlez, osez me dire clairement les choses, je ne mords pas.

Son silence me pèse, je reste suspendu à ses lèvres en espérant les voir bouger, mais rien ne se passe. Le mutisme s'est de nouveau emparé d'elle, je n'en saurai pas plus pour ce soir... à moins qu'elle n'attende de ma part une simple question.

— Qu'attendez-vous de moi exactement Mademoiselle Harper ?

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant