Chapitre 32. Roxanne

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J'observe depuis le perron la silhouette de Léo s'engouffrer dans sa voiture, puis j'attends patiemment qu'il s'éloigne de mon champ de vision, pour laisser mes larmes dégringolées, maculer mon visage angélique. Mes membres me lâchent un à un, mon cœur se serre, ma tête tambourine, et mes jambes flageolent, je n'ai plus aucun contrôle sur mon corps. Je me sens vide, impuissante face à ce tourbillon d'émotions qui m'assaille de plein fouet. Tous les signes avant-coureurs que je m'efforçais de dissimuler en mon for intérieur pour ne pas alerter Léo de mon état de santé, s'abattent sur moi sans que je ne puisse vraiment y faire face.
L'homme qui comble ma vie depuis plusieurs mois, m'a tout bonnement abandonnée. Il a fui, refusant mon invitation en prétextant une excuse bidon. Être loin de lui me rend dingue, il est devenu mon tout en si peu de temps. Il est ma drogue... sans sa présence, je ne suis qu'une junkie en manque de sa dose quotidienne. J'aimerais qu'il comprenne et accepte enfin mes sentiments... Ses sentiments à mon égard.
Léo est un être écorché, il m'avait pourtant prévenu que rien ne serait facile entre nous, et pauvre cruche que je suis, j'ai voulu y croire de toutes mes forces. Croire que j'arriverai à le réparer, malheureusement ma faiblesse me prouve que j'en suis incapable. Je suis démunie face à son comportement incertain, peut-être que tout est de ma faute finalement. Je suis sûrement trop invasive dans sa vie, et cela le rebute. Mon esprit torturé se pose tout un tas de questions, aussi incohérentes soient-elles puis fini par admettre que je ne suis peut-être pas la seule fautive. Léo a de nombreuses murailles qui entourent son cœur, et je ne sais si je serai capable de les faire céder.
Que dois-je entreprendre pour qu'il m'apprécie comme moi je l'aime ?
Je n'en ai pas la moindre idée... ma quête semble inespérée.
Ai-je raison de vouloir m'accrocher à lui, ou devrais-je le laisser partir ?
Les larmes ne tarissent pas, elles inondent mes joues et trouvent refuge au creux de mon cou. Je n'imagine pas, ne serait-ce qu'une nanoseconde qu'il ne fasse plus partie de ma vie.
Adossée contre la porte d'entrée, mon corps s'écroule au sol comme un château de cartes balayé par un courant d'air. Laissant libre cours à mes émotions, je me recroqueville en position fœtale, ferme les yeux et me fais surprendre par la fatigue qui me happe. Mon état de somnolence est perturbé par un bruit de fond qui ne cesse de se hisser jusqu'à mon cerveau ramolli.
Je sursaute, me redresse, puis essuie mes larmes et la mucosité qui s'écoule de mon nez avec le revers de ma manche pour sauver mon apparence... il s'agit peut-être de Léo qui finalement revient accompagné de Gigolo. Mon espoir et ma réjouissance ne sont que de courte durée puisque c'est Barbara que je retrouve derrière la porte, la tête aussi déconfite que la mienne.

— Tu laisserais entrer une pauvre âme en peine, afin qu'elle se saoule la gueule avec sa meilleure amie ?
— Tu tombes à pic Barbara. Moi aussi, j'ai besoin de m'enivrer jusqu'à ce que le coma éthylique m'emporte. Fais comme chez toi, installe-toi, je vais chercher des verres.

— Des grands ! Les plus grands que tu puisses avoir en stock. Vu nos têtes, je pense que l'on va en avoir besoin.

Farfouillant de fond en comble dans les placards, je déniche ce qui fera office de récipient idéal et retrouve par la même occasion un fond de scotch et une bonne bouteille de vin rouge pour nous accompagner tout au long de la soirée. Je pénètre dans le salon chargé comme un mulet, dépose les victuailles sur la table basse et demande à Barbara si les verres que je lui présente sont à la hauteur de ses espérances.

— Sérieusement !? Tu n'as pas trouvé plus grand. Roxanne ce n'est pas des verres, ce sont des vases que tu as apportés !

— Tu as dit que tu voulais quelque chose en conséquence, alors contente-toi de ça, sinon je vais chercher la marmite et on boira à la louche !

— Tu n'aurais pas plutôt des pailles ?
Je foudroie Barbara du regard et verse le liquide translucide dans nos godets de fortune, puis lui tends son breuvage alcoolisé afin qu'elle trinque avec moi.

— Je porte un toast à tous les connards qui nous brisent le cœur. Persifle mon amie avant d'avaler une première lampée de vodka.

J'acquiesce et engloutis une bonne gorgée à mon tour. Mon estomac se tord, ma trachée brûle, et pourtant rien ne m'arrête, je porte de nouveau mon vase à mes lèvres. Il faut que j'oublie l'épisode désastreux que j'ai vécu quelques heures plus tôt. Et visiblement je ne suis pas la seule à vouloir noyer mon chagrin, puisque Barbara boit plus que de raison. Nous ne parlons pas, le seul bruit que je puisse percevoir est celui de ma déglutition. La première bouteille se vide rapidement, bien trop rapidement à notre goût. Barbara et moi attaquons le scotch, nous gardons le vin pour la fin.

— Le fumier ! Quelle ordure ! Je le déteste ! S'époumone soudain mon amie alors que je lorgne mes ongles en constatant qu'il faudrait peut-être que je refasse ma manucure. Tu te rends compte Roxy, je lui ai dit que je l'aimais et que je voulais construire quelque chose avec lui. Et tout ce qu'il a su me répondre, c'est qu'il n'arrêterait pas d'être Escort pour moi. Qu'il continuerait son activité que cela me plaise ou non.

— Hein ! Attends Barbara, tu es mordu de West ? Oh putain ! Je n'ose y croire. Tu jures !

Ma meilleure amie qui se proclamait être une célibataire endurcie il y a peu, est tombée amoureuse de son plan cul. Merde alors, il ne manquait plus que cela.

— Et pourtant, je t'assure que c'est bien réel. J'ai eu du mal à me l'avouer, ça m'a écorché la bouche de lui révéler mes sentiments et regarde où tout ça me mène. Absolument nulle part, puisqu'il se fout de moi et qu'il préfère baiser des pétasses friquées.

— Léo est un con, un gros con, un méga gros con, un giga méga gros con. Lui confié-je à mon tour en avalant une nouvelle gorgée de vin. Il n'assume pas ses actes, ses dires. C'est un pleureur.

— Tous les mêmes. Je te le dis Roxy, on va finir par virer de bord. On sera sûrement moins déçues avec nos congénères.

— Ouais, tu as peut-être raison. Mais après réflexion, tu te vois pratiquer le broutage de minou ?

— Fais chier ! J'avais trouvé la solution à tous nos problèmes. Mais tout de même, les hommes sont des vermines. Ils servent à quoi finalement ? Nous engrosser, pas vrai !?

Je pars dans un fou rire monumental, Barbara et ses théories merdiques me remontent le moral, comme toujours. Elle est irremplaçable, sans elle, ma vie serait d'un ennui cataclysmique. Elle est mon petit rayon de soleil, ma moitié, ma sœur de cœur.

— Arrête de rire, je vais faire pipi dans ma culotte.

— Tu en as une ? Montre !

— Voyons Rox, tu sais bien que je n'en porte jamais. Ce n'était qu'une façon de parler.
Brusquement, je passe du rire aux larmes. Mon ivresse étant à son apogée, mon instabilité émotionnelle s'en ressent et joue les montagnes russes. Mon amie pose son verre improvisé sur la table basse, ouvre ses bras, dans lesquels je me réfugie en pleurnichant comme un bébé. Barbara me console, laisse sa main glisser dans mes cheveux pour me réconforter.

— Il a fait quoi le playboy qui te sert de mec pour que tu te mettes dans un état pareil ?

Je renifle, étouffe mes suffocations contre son épaule puis entame mon long discours. Je lui raconte dans les moindres détails le déroulement de notre week-end, nos ébats amoureux, nos promenades, nos discussions. Le sujet qui a créé la discorde, le fameux je t'aime que Léo ait prononcé après la gâterie que je venais de lui octroyer.

— Un trou du cul ! Je vais lui casser la gueule !! Annonce-t-elle d'une voix éméchée. Tu aurais dû le mettre devant le fait accompli Roxy.

C'était inconcevable, j'étais pétrifiée, surprise, et je ne voulais pas l'embarrasser plus qu'il ne l'était. Pour éviter que le malaise ne s'installe entre nous, j'ai inventé un énorme mensonge pour faire diversion et mon subterfuge a fonctionné puisque nous avons fini le week-end comme si de rien n'était. Pourtant lors de notre retour, le trajet en voiture m'a semblé durer une éternité. Je l'ai trouvé distant et bien plus encore quand je lui ai proposé de rester. Léo n'avait pas envie de s'attarder à la maison, et je ne comprends toujours pas pourquoi. Barbara se lève, titube jusqu'à la porte d'entrée qu'elle tente d'ouvrir, sauf qu'elle n'y parvient pas puisqu'elle se bat avec la mauvaise clé.

— Tu vas où comme ça ?

— Briser les couilles de Léo, et après, je m'occuperai du service trois pièces de West. Ils ne vont pas s'en tirer comme ça. J'en ai marre que les mecs nous prennent pour des connes. On souffre par leur faute, alors que je suis certaine qu'eux se portent à merveille.

Je n'en suis pas sûre, cependant je ne la contredis pas. Barbara est déjà assez remontée, et je n'ai pas envie de voir le monstre qui sommeille en elle, se réveiller.

— Revient lâcheuse, il reste encore le vin à finir. On s'occupera d'eux demain, en attendant, j'ai encore soif.

Barbara cède facilement et reprend sa place initiale sur le canapé, elle est aussi bourrée que moi, voire plus et cela m'amuse. Elle ne devait pas être totalement à jeun quand elle a débarqué chez moi avec sa bouteille de vodka à la main. Elle avait déjà dû commencer les hostilités chez elle. À moins qu'elle ne tienne plus l'alcool, ce qui serait étonnant puisqu'elle a toujours ingurgité plus de liquide que moi, surtout quand nous étions en soirée.

— J'ai faim ! J'ai envie de manger une omelette. Tu as des œufs dans ton frigo ?

— Je ne crois pas, et je n'irai pas vérifier pour toi. Je suis incapable de me lever Barbara. Je suis pompette et je couve la nausée.

— Bon ok, je crois qu'on a assez picolé Roxy. On devrait aller s'allonger sur ton lit.

— Et ton omelette ?

— La flemme de cuisiner. Je préfère aller dormir. Allez vient dit-elle en me tendant la main.

Impossible de saisir ses doigts, je vois flou, je n'ai plus de force et je suis dans l'incapacité de bouger le moindre centimètre. Barbara et moi restons finalement sur le canapé à cuver, ni l'une ni l'autre n'avons la force d'aller rejoindre ma chambre pour finir la nuit. Nous finissons par sombrer dans un sommeil profond en ronflant aussi bruyamment qu'un orchestre philharmonique.
Le réveil est difficile, Barbara gesticule affreusement dans son coin, et finit par m'envoyer son pied dans la tronche. Je ronchonne, vérifie que mon nez n'est pas cassé, puis, me recroqueville pour me rendormir, sauf que la gerbe s'invite et qu'elle m'extirpe de mon couchage. La main devant la bouche, je cours hâtivement jusqu'à l'étage en trébuchant une à deux fois dans les escaliers, puis atteins in extremis les toilettes pour lâcher la galette. Agenouillée devant la cuvette à me vider les tripes, je me fais la promesse que je ne boirai plus un verre d'alcool... enfin jusqu'à nouvel ordre.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant