Chapitre 60. Léo

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Mars 2017

Roxanne s'est assoupie dans mes bras alors que nous étions scotchés devant un film datant d'après-guerre. La position n'est certes pas très confortable. Elle me fait mal au dos, ma nuque est raide, mes membres engourdis et pourtant je reste immobile pour ne pas la réveiller.
Ses nuits sont courtes, agitées et les parties de jambes en l'air ne sont pas la cause première de tous ces déboires. La petite terreur qui grandit en elle lui en fait voir de toutes les couleurs, qu'en sera-t-il lorsqu'il montrera le bout de son nez ? Sa grossesse n'est pas de tout repos, nausées, ballonnements, insomnies... rien ne l'épargne et malgré tous ces petits tracas, elle garde le sourire. Ma femme est une guerrière, je ne peux qu'être en admiration devant elle.
Mes doigts continuent de se nicher dans sa masse brune. Je cajole son cuir chevelu, puisque je sais qu'elle apprécie ce contact et que cela la détend. Ses beaux cheveux ont perdu de leur éclat, ils sont ternes et secs malgré les soins qu'elle leur prodigue. Ça ne l'inquiète pas plus que cela, parce qu'elle sait que ce n'est que temporaire, juste un problème hormonal comme elle aime si bien me le répéter.
Figé depuis plus de trente minutes, je me fais la remarque qu'il serait temps de la mettre au lit pour qu'elle soit plus à l'aise et moi soulagé. Malgré le peu de force qu'il me reste, je soulève ma femme délicatement et pars en direction de notre chambre à coucher. Roxanne s'agrippe à moi comme à une bouée de sauvetage et murmure des choses incompréhensibles à mon oreille, ce qui me décroche un sourire muet. Le souffle chaud qui s'échappe de sa bouche chatouille la fine peau de mon cou, j'en ai la chair de poule, et des idées pas très catholiques traversent mon esprit. Cependant, je les chasse de ma tête, je préfère attendre qu'elle soit dans de meilleures conditions pour un petit câlin coquin.
La grossesse décuple la libido chez certaines femmes, or chez Roxanne c'est tout le contraire qui se passe à mon grand désespoir. C'est à peine si nous faisons l'amour une fois par semaine, et qui plus est le sexe est programmé à l'avance. Je n'aime pas le petit rendez-vous du dimanche. J'ai l'impression qu'elle se force, qu'elle s'oblige à accomplir un devoir conjugal et ça me met mal à l'aise. Cette situation est compliquée à vivre d'un côté comme de l'autre. Moi je suis frustré et ronge mon frein, tandis que Roxanne a peur que j'aille voir ailleurs. J'ai beau lui dire que ce n'est que passager, que tout reviendra à la normale quand elle aura accouché, hélas rien n'y fait, le doute persiste dans sa tête. Même si je suis en manque, je ne la tromperai pas. Je préfère encore me soulager en me masturbant que de faire une connerie que je regretterai après. J'aime trop ma femme pour lui être infidèle, et ça Roxanne a du mal à l'entendre et à le comprendre et je pense que mon passif n'arrange rien.
Je monte les escaliers difficilement, le poids mort de son corps ne m'aide plus comme au bon vieux temps. Elle a pris sept kilos en seulement cinq mois, cela commence à se voir, et se ressent quand je la porte. Mes lombaires sont en vrac, je n'ai qu'une hâte, la déposer sur le lit. La dernière marche sonne le glas de ma délivrance, j'entre dans la chambre et l'allonge doucement, avant de venir m'installer à ses côtés. Je nous recouvre d'un drap, l'embrasse sur le front, puis finis par éteindre la lumière. Le sommeil me happe à mon tour, les journées sont longues au travail et lorsque je rentre à la maison, un deuxième chantier m'attend... la chambre de notre enfant. Je ne rechigne pas malgré la fatigue, je veux que tout soit prêt pour accueillir notre merveille, n'en déplaise à Roxanne qui me dit de lever le pied. C'est elle qui parle alors qu'elle ne se ménage pas. Elle passe ses journées au bureau, sort faire du shopping pour le bébé avec Barbara, qui est déjà raide dingue de notre petit bout.
Elle le couvre de cadeaux alors qu'il n'a pas encore vu le jour. Qu'en sera-t-il lorsqu'il sera là ?
À coup sûr, je devrais pousser les murs pour tout stocker.

                                      ***

Il est six heures du matin, lorsque j'émerge de ma nuit. Je me lève pour préparer un petit déjeuner de champion à ma femme qui elle aussi ne devrait plus tarder à se réveiller. Café, jus d'orange, tartines beurrées, fruits frais pour bien commencer la journée est au programme. Je remonte plateau en main, fait un arrêt à l'entrée de la chambre et admire ma princesse sagement endormie comme s'il s'agissait de la belle au bois dormant. Je me fends d'un large sourire approbateur lorsque mes yeux tombent sur un de ses seins dénudés. Sa poitrine généreuse a augmenté de volume pour mon plus grand bonheur. Ses mamelons habituellement rosés ont pris une teinte un peu plus foncée, et n'en restent pas moins délicieux malgré le changement. Je pose le plateau chargé de victuailles sur la commode, retourne me coucher près de ma douce tout en admirant la rondeur de son ventre. Je glisse ma main dessus et caresse tendrement le petit bidon où mon enfant grandit.
Notre petit ange donne de légers coups, je m'extasie puisque c'est un moment que nous partageons rien que lui et moi. C'est à croire qu'il m'entend et qu'il communique avec moi. J'aime cette sensation, sentir la vie à travers le corps de ma femme. Lorsque Roxanne dort, j'en profite pour discuter avec notre fils, je lui chante des berceuses, lui raconte des petits secrets... et j'adore ça.
Mais ne dites rien à ma moitié, elle me traite déjà de fou lorsque j'achète des choses qu'elle juge inutiles pour notre enfant. Alors si elle apprend que je m'adresse à son ventre, elle me fera interner... à coup sûr. J'ai tellement hâte de le tenir dans mes bras, moi qui avais peur de devenir père, je me rends compte aujourd'hui que je vis la plus belle aventure de ma vie.
Mon esprit vagabonde souvent et je n'ai pas encore de réponses à mes questions.
Est-ce qu'il ressemblera à sa maman ? Aura-t-il mes yeux ? Est-ce qu'il aimera le basket, l'escalade, les longues promenades en forêt ? Ou sera-t-il fan des cornichons comme sa mère ?
Depuis qu'elle est en cloque, Roxanne a des envies bien spécifiques qui me dégoûtent au plus haut point. Madame ne veut pas de fraises, ni de glace ou chocolat comme la plupart des femmes enceintes. Non. Elle préfère se gaver la panse de cornichons qu'elle trempe dans de la moutarde alors que je lui répète sans cesse que ce n'est pas recommandé pour son estomac. Elle souffre d'aigreurs et pourtant elle n'en fait qu'à sa tête. Elle s'évertue à en manger à n'importe quel moment, et je n'ai pas le cœur à la contrarier en lui faisant des remontrances alors qu'elle est déjà sensible.
Elle pleure sans arrêt, chiale pour un rien. Je lui ai encore répété ce matin même qu'en versant tant de larmes, elle pourrait remplir des lacs asséchés. Elle m'a envoyé sur les roses, la faute aux hormones évidemment, je ne cherche pas plus loin, ça ne servirait à rien. On ne contrarie pas une femme qui porte la vie c'est bien connu, surtout si celle-ci a un caractère de cochon. Je préfère donc me la jouer fine, ne plus rien exprimer et obéir comme un bon petit soldat, à sa Majesté Roxanne afin d'apaiser les tensions.
Mon petit champion s'agite dans le ventre de sa maman, j'approche mes lèvres de cette protubérance et commence à lui parler doucement.

— Hé salut bonhomme, c'est ton papa. Tu es bien agité ce matin petit chenapan. Ta maman est très fatiguée tu sais, tu devrais la laisser dormir. Tu feras des cabrioles quand elle se réveillera, mais pour le moment tu dois être bien sage. On va faire un pacte toi et moi. Papa t'achètera tout ce que tu voudras dans le dos de maman si tu ne nous mènes pas la vie dure. Si t'es ok, fais-le-moi savoir.

Un coup retentit sur la paume de ma main. Mon petit prince est d'accord, enfin je l'interprète comme ça. Je colle ma bouche au plus près de son ventre, frôle sa peau tendue et commence à réciter le dernier poème que j'ai écrit pas plus tard qu'hier.


« Mon cœur ne cesse de se gonfler,
Quand je t'imagine, toi mon doux bébé.
Quand la nuit deviendra austère ;
Toi seul seras ma lumière.
Tu guériras tous mes maux ;
Juste avec tes propres mots.
Je serais fier de toi quoi qu'il en soit ;
Tu es et seras toujours mon enfant roi.
Je serais heureux pour toi ;
Lorsque je te regarderai avec ton enfant dans les bras.
Je saurais à ce moment-là ;
Que j'ai fait un homme de toi »

— Il me tarde de te rencontrer. Je t'aime si fort mon fils, je ne sais pas si l'on peut aimer plus que ça.

Les coups ont cessé, je me redresse pour m'allonger auprès de Roxanne, mais quand je relève les yeux, elle me sourit, attendri par le moment de complicité que j'ai partagée avec notre enfant.

— Tu es réveillée depuis quand ?

— Assez longtemps pour entendre les manigances que tu prépares avec notre fils.

— Tu es certaine d'avoir bien entendu ?

— Oh que oui ! J'ai l'ouïe fine. Alors comme ça, tu t'es mis à la poésie. Intéressant. Je ne te savais pas littérature mon amour.

— Je plaide coupable. Il faut bien que j'élargisse mes connaissances pour éduquer le petit. D'ailleurs, j'ai des idées de prénoms puisque j'en ai marre qu'on l'appelle bébé, enfant...

— Léo. On connaît le sexe seulement depuis deux jours. On a encore du temps pour se décider, tu ne crois pas. Et ça t'es venu subitement ou bien...

— Euh... non ! En vérité, j'y songe depuis quelque temps, mais je n'ai jamais osé t'en parler.

— Ah oui ? Et depuis quand as-tu peur de me dire les choses ? Je serai curieuse de savoir.

— Si je te dis que depuis le début de ta grossesse j'y songe, tu en diras quoi.

— Que ça ne m'étonne pas de toi. Dit-elle en posant sa main sur ma joue. Et quels sont tes choix ?

— J'ai pensé à AIDAN, SLOAN, ROMAN ou JULIAN.

— Le choix va être difficile mon amour. Cependant, j'aime tes idées.

— Et toi, tu y as pensé ?

— Pas vraiment, j'étais certaine qu'on aurait une fille, donc j'étais focalisé sur un prénom féminin.

— Garde-le en tête pour le prochain.

— Houlà chéri ne t'emballe pas. On attendra que ce petit monstre grandisse un peu avant.

— Bien madame. En plus, je compte te faire une ribambelle de petits Ortega.

— On verra ça en temps voulu.

— Sinon Rox, c'était quoi le prénom que tu avais choisi pour une fille ?

— Ava.

— Un jour, nous l'aurons cette petite Ava. Je t'en fais la promesse.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant