Chapitre 8. Roxanne

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Nous pénétrons dans une grande salle à la décoration finement pensée par ma mère. Des tentures blanches, des vases de Crystal ainsi que des orchidées ornent les lieux. Le rendu est subjuguant. S'il y a bien un talent que je reconnais à Rosa Harper, c'est son don pour le bon goût des choses. Grand nombre de personnes déambule et discute une flûte de champagne à la main. Les serveurs s'agitent comme des petites fourmis pour satisfaire tous les désirs des potentiels donateurs. Au beau milieu de la salle, je marque un temps d'arrêt et suffoque. L'air se fait rare en ce lieu bondé de monde et pourtant je tente de faire bonne figure pour ne pas inquiéter mon compagnon d'un soir, cavalier ou ami, à vrai dire je ne sais pas trop comment le qualifier. Nous reprenons notre course, la parfaite synchronisation de nos pas nous portent vers une petite alcôve à l'écart de toute cette foule. Cette fois je remplis mes poumons d'oxygène pur.

— Ça va mieux ? m'interroge Léo qui me dévisage avec inquiétude.

Je le détaille perplexe, adossé contre un mur. Comment a-t-il pu deviner mon besoin de m'isoler de toute cette cohue pour respirer de nouveau ?
— Je vais très bien, répliqué-je sur la défensive.

— D'accord, c'est vous qui le dites. Champagne dans ce cas. Me propose-t-il lorsqu'un serveur s'approche de nous.

J'accepte la coupe et avant que je ne puisse avaler une lampée, Léo propose que nous portions un toast.

— Nous trinquons à quoi ?

— À notre rencontre ! Annonce-il en m'adressant un sourire ravageur.

Mes joues s'empourprent, une vague de chaleur traverse mon corps, alors je détourne les yeux pour ne pas montrer qu'il me trouble. J'étudie de loin les différentes toilettes des femmes. La plupart sont d'une sobriété sans contexte alors que d'autres n'ont pas hésité à jouer la carte de la provocation. Ma robe n'est certes pas mieux que les leurs, cependant, elle est beaucoup plus classe pour ce genre de mondanité. Les hommes ne sont pas en reste, le dress-code imposé par ma mère est respecté à la lettre. Certains ont vraiment fières allures dans leur costume trois-pièces, alors que d'autres devraient penser à se regarder dans un miroir pour constater les dégâts. Le plus bel homme de la soirée se trouve à mes côtés, il est d'une classe à vous couper le souffle. Je le reluque discrètement et il faut bien admettre qu'il a un cul d'enfer dans son pantalon de smoking. Il déambule avec grâce et aisance au milieu des convives alors que moi, je suis de plus en plus mal à l'aise. En temps normal, ce n'est pas le cas, je suppose que la présence et le statut professionnel de mon accompagnateur me déstabilisent. Je n'ai pas pour habitude d'embaucher un Escort pour me tenir compagnie... c'est bien la première fois que j'entreprends quelque chose qui me déroute autant.

Sa main se cale au creux de mes reins alors que je stoppe la marche pour saluer une connaissance. Sa chaleur irradie mon corps, de multiples frissons parcourent mon échine, un simple toucher de sa part me rend toute chose. Qu'en serait-il si sa peau entrait en fusion avec la mienne ? Mes hormones sont en ébullition et mon cerveau se met en alerte. Ce spécimen n'est pas fait pour moi, un panneau danger clignote sur son front. Je me dégage de sa poigne et reprends ma course à travers la salle afin de reprendre contenance.
Barbara me dirait de jouer le jeu en l'aguichant, mais j'en serai incapable. Ce n'est pas dans mes habitudes. Je suis plutôt le genre de femmes qui se protège d'un tel individu, pas celle qui s'envoie en l'air avec le premier beau gosse qu'elle croise. Je ne déraperai pas, même si je fonds en l'écoutant parler et que je me liquéfie quand je le regarde. Ne pas flancher... je suis catégorique sur le sujet. Interdiction de payer ce type beau comme un Dieu pour assouvir mes désirs. La prostitution s'est sale et malsain, et je n'en tirerai rien de bon sauf du dégoût et du mépris.

J'avale une nouvelle gorgée de champagne, la laisse glisser lentement dans ma gorge et me délecte de ces petites bulles qui m'euphorisent. J'aperçois au loin ma meilleure amie qui se tient au côté d'un homme que je ne connais absolument pas. Elle minaude comme une chatte en chaleur ce qui n'est pas pour déplaire à son chevalier servant. Je ris malgré moi, elle n'arrêtera jamais de se jouer des hommes. Barbara est une mante religieuse. Elle séduit, capture et dévore ses proies sans aucun remord. Je me demande si elle connaît le nom de celui-ci, ma réponse ne saurait tarder puisqu'elle me repère et déboule comme une furie en ma direction.

— Barbara. Comment vas-tu ? Demandé-je quand elle se plante devant nous. Je suis contente de te voir. Je te présente...

— Léo, me coupe-t-elle en l'embrassant chaleureusement sur les joues.

Je les regarde interloquée. Est-ce qu'ils se connaissent ? Ont-ils déjà couché ensemble ? Les réponses à mes questions ne tardent pas à arriver, ils ne se sont jamais croisés. Les mots de Barbara le confirment.

— Ne dites rien ! Le dragon se dirige droit sur nous. Maintenant Léo, jouons le jeu. Nous sommes de vieilles connaissances, compris ?!

Je tente de calmer la montée de stress qui s'immisce en moi comme une sangsue qui vous aspire le sang. Mes mains tremblent, des perles de sueur couvrent mon front. Ma respiration et les battements de mon cœur accélèrent, je panique à l'idée que ma mère découvre la supercherie. Heureusement que Barbara était dans la confidence, elle me sauve la mise une fois de plus.

— Ne gaffez pas !

— Tu me connais assez pour savoir que je suis une comédienne d'excellence.

— Je suis professionnel en toute circonstance, souffle Léo à mon oreille.

Je ne me retourne pas et fais comme si de rien n'était en parlant de tout et de rien avec mes deux complices. Le dragon se trouve à moins d'un mètre, la fragrance de son Chanel numéro cinq m'agresse déjà les narines. Je me mords l'intérieur des joues pour cacher mon angoisse grandissante. Mentalement, je décompte les pas qui nous séparent et perds le compte lorsque la voix de ma mère me tire de mon calcul.

— Roxanne, tu es magnifique ma chérie dans cette robe.

C'est un miracle. Il va tomber de la neige. Ma mère qui me cire les pompes sur ma tenue, c'est du jamais vu. Et cet événement est à marquer d'une pierre blanche.

— Merci mère. Je vous retourne le compliment. Cette robe vous va à ravir.
Et sincèrement, je le pense.
Du haut de ses cinquante-huit ans, Rosa Harper est encore une très belle femme. Il y a très peu de rides visibles sur son visage, et pas un seul cheveu blanc ne parsème sa tignasse brune. J'émets des doutes lorsqu'elle me certifie n'avoir jamais eu recours à la coloration. Moi-même je le fais et je ne m'en cache pas.

— Qui est ce charmant jeune homme ? demande-t-elle en inspectant Léo de très près.

— Mère, je vous présente Léo, un ...ami.

— Enchantée. Je suis ravie de faire votre connaissance. 
— Le plaisir est partagé madame Harper. Rétorque Léo en lui faisant un baisemain.

Elle lui sourit et tourne son regard sur Barbara.

— Tu es ravissante... comme toujours ma chérie. Comment vont tes parents ? J'ai eu des nouvelles de ta mère la semaine dernière, elle me racontait qu'ils étaient en escale à Honolulu.

— Oui tout à fait. Ils reviennent dans quinze jours. Vous auriez dû partir avec eux, un peu de vacances ne vous aurait pas fait de mal à Richard et vous.

Mes parents et ceux de Barbara se connaissent depuis des décennies, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle et moi sommes devenues inséparables. Nous avons passé de nombreuses vacances ensemble, des moments inoubliables qui nous ont soudés comme deux sœurs siamoises. Les quatre cents coups ça nous connaît. Toutes nos premières fois nous les avons faites ensemble. Fumer un joint, picoler jusqu'à en être malade, voler dans les magasins, perdre notre virginité. Rassurez-vous, nous n'étions pas dans la même pièce, ni avec le même garçon lorsque nous sommes passées à l'acte, mais tout simplement à la même fête. À l'époque, j'avais dix-sept ans et Barbara allait sur ses seize ans. Nous étions jeunes et insouciantes, rien ne nous effrayait, contrairement à aujourd'hui. Que de bons souvenirs à garder secrètement dans nos têtes jusqu'à la fin de nos jours.

— Roxanne, tu dînes à notre table avec ton ami et Barbara. Ton frère et ta sœur se joindront à nous durant le repas. Les aurais-tu vu par hasard ? Je les cherche depuis un moment.

— Pas encore mère. Léo et moi venons d'arrivés, nous n'avons pas encore fait le tour de la salle.

— C'est regrettable, j'ai besoin de les trouver. On se voit après.
— Respire Rox, le dragon est parti.

— Hein ? Je respire bécasse, seulement elle m'a surprise à être si gentille avec moi, ça ne présage rien de bon pour la suite de la soirée et tu devrais le savoir.

— Tu vois le mal partout, je mettrais ma main à couper que ta mère est de bon poil parce que ton père a débouché sa tuyauterie.

— Arrête ! L'avertis-je en plaçant mes mains sur mes oreilles.

— Rhooo ! Ne fais pas ta chieuse Harper, tu crois qu'ils jouent au Scrabble tes vieux quand ils sont seuls chez eux. Ils baisent comme monsieur et madame tout le monde. À moins que ta mère se déguise en maîtresse sadique et qu'elle fouette le cul de ton paternel avec un martinet.

— Mais tu es dégueulasse ! Est-ce que je te dis que tes parents sont libertins.

— Ce n'est pas une surprise Rox, tout le monde le sait.

— Quoi ? Tu es sérieuse !

— Demande-leur quand ils rentreront, tu auras ta réponse.

Elle est dingue, comme si j'allais demander ça à ses parents. Je chasse de mon esprit cette idée tordue et me concentre à nouveau sur mon cavalier.

— Alors Léo, que pensez-vous de ma mère ? Elle ne vous a pas fait peur au point de fuir avant le repas ?

— Non, je la trouve chaleureuse admet-il.

Barbara et moi riions comme des hyènes, beaucoup de monde se retourne sur nous. Pour la discrétion on repassera, en découvrant toutes ces paires d'yeux qui nous étudient. Moi qui aime me faire discrète, pour le coup c'est raté. Léo ne va pas être déçu quand le dragon le cuisinera lors du dîner. Je connais trop bien ma mère pour savoir qu'elle voudra dénicher la moindre info sur le mec qui m'accompagne.

— Léo, vous êtes aveugle. Vous n'avez vu que la partie émergée de l'iceberg.

— Ça c'est bien vrai acquiesce Barbara. Méfiez-vous de l'eau qui dort, conseil d'ami très cher. Enfin bref, je ne m'ennuie pas avec vous, mais mon copain m'attend.

— Son prénom ? La questionné-je en souriant.

— Pfff, tu es chiante. Tu sais très bien que j'ai une mémoire de poisson rouge. Pour tout te dire, je l'appelle beau gosse... voilà, satisfaite ! Vocifère-t-elle avant de tourner les talons.

— Sacré phénomène votre amie.

— Je ne vous le fais pas dire ! C'est d'ailleurs pour cela que je l'adore.

— Ça vous dit d'aller danser ?
— Pourquoi pas, je vous préviens j'ai deux pieds gauches.

— Moi aussi.

Je ris et le suis sur la piste de danse. Je le laisse guider mes pas sur une musique très douce et j'ose enfin lui poser la question qui me taraude depuis notre arrivée.

— Dites-moi Léo, est ce que vous avez vu certaines de vos clientes au cours de la soirée ?

— Oui. Seulement deux ou trois. Pourquoi ?

— Comme ça. Elles sont discrètes j'espère. Je ne voudrais pas que ma mère sache que vous êtes un...

— Escort, gigolo, prostitué me coupe-t-il sèchement. Je ne vends pas que mon corps Roxanne, j'ai d'autres activités professionnelles vous savez. Et puis j'assume entièrement celui que je suis. Ça vous pose problème ?

— Non, ce n'est pas ce qui me dérange. Vous faites ce que vous voulez de votre vie du moment que vous l'assumez c'est le principal. J'ai juste un peu d'appréhension concernant des échos que ma mère pourrait percevoir. Elle en ferait tout un scandale si ça venait à se savoir.

— D'accord, sachez cependant que mes clientes sont très discrètes, je vous garantis que rien ne s'ébruitera ce soir. Elles pensent avant toute chose à préserver leur jardin secret.

— Très bien, merci pour ces précisions Léo, ça me rassure un peu.
La musique s'arrête soudainement, ma mère monte sur l'estrade et saisit un micro pour faire son précieux discours. Léo et moi restons côte à côte et écoutons attentivement ses paroles.

— Bonsoir chers amis, merci à tous d'avoir répondu présent à cette invitation. Ce soir, j'aborderai une cause qui me tient à cœur... le VIH. Qu'est-ce que c'est exactement ? Beaucoup ne connaisse pas la signification de ces trois lettres. Il s'agit du virus d'immunodéficience humaine, qui peut causer une maladie appelée communément SIDA. À l'heure d'aujourd'hui, environ trente-cinq millions de personnes dans le monde vivent avec cette maladie et les deux tiers d'entre elles résident en Afrique. Chaque année deux millions et demi de personnes sont contaminés. Le VIH se transmet par les liquides corporels : le sang, le sperme, les sécrétions vaginales et le lait maternel. Le plus souvent, le virus est contracté au cours d'activités sexuelles non protégées. Les premiers signes sont apparus fins des années 1970 en Amérique du Nord. Les homosexuels ont été les premiers touchés. Le virus du VIH a été isolé en 1983. Il existe aujourd'hui des traitements antirétroviraux, qui permettent de vivre mieux, mais pour l'instant il n'y a aucun traitement miracle qui permet de guérir les malades. C'est pour cela que la recherche a besoin de vos dons pour venir un jour à bout de cette maladie mortelle. Merci à tous pour vos contributions, je vous souhaite une agréable soirée.

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