Chapitre 33. Roxanne

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Dix jours plus tard

— Dis-moi que tu as de bonnes nouvelles à m'annoncer Mia Bella. M'implore Adriano, le jeune photographe que nous avons engagé pour réaliser le shooting de mademoiselle Bell.

Je déverrouille l'écran de mon téléphone en constatant qu'une fois de plus, il n'y a ni appel manqué, ni message reçu de la part de notre modèle photo. Je grimace, secoue la tête négativement et m'affale de nouveau contre le dossier de la chaise en pestant à haute voix que je suis dans la panade. Adriano perçoit mon désarroi, je le sens agacé lui aussi et pourtant, adorable comme il est, il ne rouspète pas, bien au contraire, il essaie de rester positif. Il tente de me rassurer en me confiant que la plupart des mannequins arrivent toujours en retard, puisqu'ils se prennent toutes et tous pour des divas.

— J'espère qu'elle aura une excuse valable à nous fournir, elle a tout de même quarante-cinq minutes de retard ! C'est à croire que madame se la joue Diva !

Le manque total de professionnalisme de notre nouvelle égérie m'horripile. Elle n'est même pas fichue de prévenir qu'un contretemps la retient pour la deuxième fois consécutive en l'espace de quinze jours.

— On attend encore un quart d'heure et si elle ne se pointe pas, j'annule son contrat. Je me débrouillerai pour trouver une remplaçante aussi attrayante que l'est mademoiselle Bell.

Le regard d'Adriano s'illumine alors qu'un léger rictus se fend sur son visage et cela ne présage rien de bon.

— J'ai une solution Mia Bella. Seulement, cela risque de te déplaire. Écoute-moi jusqu'au bout avant de m'interrompre ou de refuser.

— Ok ! Tu as toute mon attention, je suis tout ouïe.

Il m'expose son idée qui selon ses dires est digne d'un grand génie. Hélas, je la trouve complètement ridicule, limite grotesque. Pour toute réaction, je reste muette dans un premier temps. Je ne l'incendie pas, au contraire, je ris de sa bêtise. Il ne peut s'agir que d'une blague. Pas vrai !?
Visiblement je fais fausse route, Adriano est aussi sérieux que l'est mon comptable quand il me dit de faire attention à mes dépenses.

— Alors ! Tu en dis quoi ?

— C'est hors de question ! C'est complètement insensé ce que tu me demandes. Tu me vois promouvoir une crème anticellulite alors que ma peau ressemble à du gruyère ! Niveau crédibilité, je suis en dessous de zéro. Pour présenter le produit, il faudrait que je passe entre les mains d'un chirurgien esthétique afin d'aspirer cette fichue graisse qui fait des ondulations sous mon épiderme. Et puis, je ne me dévoile pas facilement. Je suis pudique et illégitime pour faire ces photos.

— Tu devrais y songer sérieusement Roxanne. Tu es magnifique !

— C'est non, n'insiste pas ! Je n'exposerai jamais mes imperfections sur du papier glacé. Je préfère décaler le lancement du produit, que de me ridiculiser dans les magazines à demi-nue avec ma fichue peau d'orange. Donc, pour faire simple Adriano, ton idée débile, tu l'oublies !

— Ce n'était qu'une allégorie Mia Bella. Je ne cherche qu'à t'aider, rien de plus.
Évidemment, quoi d'autre !
S'il pense que je ne vois pas clair dans son petit jeu, il se fourre le doigt dans l'œil. Cela fait plusieurs années que je travaille avec lui, et avec le temps, j'ai fini par cerner le personnage. Deux ans qu'il me complimente à tout bout de champs, en espérant que sa flatterie me conduira dans son lit. Il me dévore des yeux, s'il pense que je suis le petit chaperon rouge et lui le grand méchant loup, il risque de déchanter, puisqu'il ne me mangera jamais. À maintes reprises, j'ai tenté de lui faire comprendre que je n'étais pas intéressée, et que je ne mélangeais pas travail et vie privée. En réalité, j'ai un peu, voire beaucoup menti... la raison est tout autre. Adriano est un gentil garçon et ça s'arrête là.
Il n'a pas le sex-appeal de Brad Pitt. Physiquement parlant et vestimentairement, il n'est pas le stéréotype du bel italien. Loin de là !
C'est le mec qui te donne envie de rester célibataire et vierge toute ta vie. Je n'exagère pas, je vous assure. Il s'habille comme le vieil octogénaire qui vit non loin de chez moi, celui qui pêche au bord de l'étang le dimanche en espérant avoir une ou deux truites dans son filet. Rien qu'aujourd'hui son look ferait pâlir n'importe quel styliste. Bermuda beige, chaussettes jacquard, sandales de cuir, et maillot de corps constituent son accoutrement de folie. Fort heureusement, il n'a pas mis ses bretelles jaunes, celles qu'il adore faire claquer à chaque fois qu'il tente de bomber le torse. L'image que j'ai en tête me donne des sueurs froides, je préfère détourner mes billes vertes de son apparat au risque de partir dans un fou rire incontrôlable, tant son look est affreux et hors du temps.
La porte du studio s'ouvre avec fracas, et me sort de mes pensées. Mademoiselle Bell apparaît enfin au bout d'une heure de retard telle une divinité. Non mais sérieusement ? Je commençais à ne plus y croire. Notre mannequin s'avance dans notre direction tout en s'excusant de son retard involontaire, essoufflée et la mine dépitée.

— Je suis vraiment désolée mademoiselle Harper. J'ai eu un contre temps de dernière minute à gérer. La nourrice de ma fille m'a lâchée au dernier moment, alors j'ai dû trouver une solution et appeler la moitié de la ville pour trouver une remplaçante.

Surprise par ses révélations, je hausse un sourcil interrogateur en espérant qu'elle en dira un peu plus. Hélas, elle n'en fait rien. Alors comme ça miss diva a un enfant. Je me demande bien quel âge peut avoir cette fillette. Je ne me souviens pas l'avoir entendu évoquer sa vie privée, au cours des shootings et rien n'est mentionné sur sa fiche personnelle. Je vérifierai cela un peu plus tard.

— Ça passe pour cette fois mademoiselle Bell. Mais je vous préviens que si vous n'êtes pas sérieuse ou faites le moindre faux pas, je me passerai de vos services. Est-ce bien clair ?

— Comme de l'eau de roche. Cela n'arrivera plus. Je vous en fais la promesse.

— Je n'en espérais pas moins de vous. Maintenant, filez au maquillage et à la coiffure, la séance photo débute dans vingt minutes. Adriano a un autre shooting à honorer dans une heure, et me concernant, j'ai un rendez-vous à l'autre bout de la ville en fin de matinée.

Mademoiselle Bell file à toute allure se préparer, alors que Adriano se rapproche de moi en ricanant sans aucune discrétion.

— Mia Bella, tu ne l'as pas épargné ton mannequin. Tu es une vraie tigresse quand tu veux. Moi qui pensais que tu étais un petit chaton docile, je me suis lourdement trompé.

— Ne jamais se fier aux apparences, cela peut être trompeur mon cher ami.

La séance photo se déroule sans accroche. Mademoiselle Bell est vraiment très professionnelle. Elle se plie aux ordres que lui dicte le photographe. On boucle la séance en très peu de temps, les clichés sont de très bonne qualité, Adriano est très doué pour capter le petit plus qui fera toute la différence sans quoi cela aurait été catastrophique pour notre société, il aurait fallu tout recommencer. Je suis très satisfaite du résultat, reste plus qu'à tout mettre en œuvre et lancer la promotion pour présenter le produit.

                                                          ***
Je quitte le studio vers onze heures vingt, je presse le pas puisque j'ai promis à ma mère de la retrouver pour le déjeuner. Cela ne m'enchante guère, j'ai dû me faire violence pour accepter sa soudaine invitation. Il faut dire que Rosa Harper programme toujours le moindre événement, que ce soit gala de charité ou déjeuner. Alors, autant dire que j'ai été prise de court quand elle m'a appelé en début de matinée pour organiser une rencontre mère/fille. J'appréhende ce rendez-vous comme toujours. Pour mon bien-être psychologique, j'ai décidé de lui accorder une heure de mon temps, et pas une de plus.  Qui plus est, j'ai encore beaucoup à faire cet après-midi, mon agenda est surchargé.
Je franchis les portes du restaurant qu'elle a choisi en espérant réussir à dompter cette maudite mèche rebelle qui me nargue depuis toujours et qui refuse de rester bien gentiment à sa place. Mère va encore m'en faire la remarque. La rebelle comme je la surnomme, ne cède pas et s'échappe à nouveau de ma queue de cheval haute. Tant pis pour les remontrances, après tout je suis rodée. Alors pourquoi m'entêter à vouloir être parfaite tandis que rien ne la satisfait me concernant, même quand je suis au top du top ! Mon regard croise le sien et étonnamment il n'est pas dur comme d'habitude, bien au contraire il est rempli de douceur. Cela est perturbant, voire très inquiétant. Et si elle voulait m'annoncer quelque chose de grave. Non ! Impossible. Elle garderait son masque de tortionnaire pour cacher sa tristesse. Mais que me vaut ces yeux remplis d'amour. D'amour ? Ai-je déjà vu cela chez elle ? Je n'en garde aucun souvenir précis ou peut-être le jour où elle est devenue grand-mère pour la première fois. Ses prunelles maléfiques n'étaient plus qu'océan tant ses larmes se déversaient sur ses joues. Je me rappelle aussi du sourire qui obstruait son visage, il était radieux comme celui qu'elle affiche maintenant alors que je me positionne face à elle pour prendre place à table.

— Bonjour ma chérie. Tu es resplendissante dans cette robe bleue. Elle te va à ravir. De quel créateur est-elle ? C'est ton amie la styliste qui l'a créée ?

HELP !!! PLEASE. Qu'arrive-t-il au dragon ? Trop de gentillesse tue la gentillesse. Cela me perturbe et je ne sais que répliquer.

— Je me suis permis de commander pour toi une salade de pommes de terre. Si cela ne te convient pas, on retournera le plat en cuisine.

— Oh... euh... merci beaucoup. C'est un excellent choix mère.

En toute honnêteté, j'avais envie de dévorer un gros burger et un cornet de frites, mais je n'en dis rien pour ne pas la vexer.

— Comment s'est passée ta matinée Roxanne ?

— Très mouvementé. Notre mannequin avait du retard. J'ai pensé le temps d'un instant qu'il faudrait tout annuler. Par chance, elle est venue et a fait un excellent travail.

— C'est bien, très bien. Écoute Roxanne, je ne vais pas tergiverser, je ne suis pas là pour discuter de ton travail. J'ai besoin de parler d'autre chose. Que fais-tu dimanche ?

Quel retournement de situation, cela ne pouvait pas durer plus de cinq minutes, à regret Rosa Harper est redevenue un monstre d'égoïsme.

— Je végéterai sûrement sur mon canapé à me gaver de pop-corn devant un film dramatique. Pourquoi voulez-vous savoir ?

— Charles fêtera ses cinquante ans ce jour et ne veut pas faire de fête. Donc, ton père voudrait qu'on lui organise un déjeuner convivial avec tous les membres de la famille. J'en ai parlé avec sa femme Marjorie, elle est d'accord pour garder le secret. Qu'en dis-tu ? Tu pourras être là ?

Charles compte beaucoup à mes yeux, il n'est pas que le bras droit de mon père, il est aussi et avant tout un ami de la famille, le confident que tout le monde voudrait avoir dans son entourage. C'est un homme merveilleux qui est marié à une mégère qui lui pompe tout son fric sans aucun scrupule. Mais que voulez-vous, Charles l'aime éperdument, alors que je suis certaine que Marjorie saute sur tout ce qui a un gourdin entre les cuisses quand il est en déplacement professionnel.

— Je viendrai mère. Vous pouvez me compter parmi les invités.

— Léo est le bienvenu.

Qu'a-t-elle dit ? Ai-je bien compris ? Mon compagnon est convié à cette petite sauterie.
Non, c'est impossible. J'ai dû rêver, elle ne sait pas pour Léo et moi.

— Pardon !? Vous avez dit mère.

Qui a bien pu balancer à ma mère que je fréquente toujours Léo ? Je ne lui avais rien dit jusqu'à maintenant pour qu'elle ne se mêle de rien nous concernant.

— Tu pensais me le cacher combien de temps encore ? Les langues se délient rapidement ma chérie, et tu devrais savoir que tout se sait tôt ou tard. J'aurai préféré l'entendre de ta bouche.

Pour quoi faire ? Organiser mon mariage express, le baptême de mes futurs enfants et pour finir les funérailles de mon défunt époux. Hors de question !
Se taire était la meilleure solution, seulement aujourd'hui, je suis démasquée à cause d'une taupe qui n'a pas tenue sa langue. Si je trouve celui qui a balancé l'info, je me ferai une joie de lui coudre les lèvres.
— C'est encore récent entre nous. Je préférais être sûre de la tournure de cette histoire avant de vous en parler et vous bercer d'illusions.

— Je pense que c'est le bon Roxanne. Au mariage de ton frère, j'ai su qu'il était fait pour toi. Instinct maternel ma chérie.

Bouchez-moi les oreilles ! Ma mère se pense dotée d'une science infuse, c'est inconcevable, c'est carrément du foutage de gueule. Elle n'a toujours pensé qu'à sa petite personne.
D'ailleurs, son instinct est tellement merdique, qu'elle n'a toujours pas flairé que Léo vendait ses services autrefois. Son opinion changerait du tout au tout si elle venait à le découvrir, et croyez-moi que je passerai un mauvais quart d'heure.

— Je vais l'avertir de votre invitation. Pouvons-nous manger mère, je dois retourner au bureau avant d'aller à mon prochain rendez-vous.

Le reste de la journée n'a pas été de tout repos, entre rendez-vous interminable et conférence téléphonique ennuyeuse, je ne me suis pas attardée au travail.
J'ai conduit jusque chez moi en rêvant du bain moussant que je me ferai couler à mon arrivée. Malheureusement, mon rêve a été de courte durée, puisque Léo patientait devant la porte d'entrée avec... une brosse à dents à la main ? Original comme cadeau, pensé-je, en regardant ce morceau de plastique emballé. Cela change des fleurs, je vous l'accorde. Mais pourquoi diable a-t-il prit cette chose avec lui ?

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant