Chapitre 44. Roxanne

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2 septembre 2015

— J'abandonne ! Continuez sans moi. Annoncé-je à bout de souffle, avant de trouver refuge sur le bord d'un trottoir pour soulager mes orteils torturés par mes escarpins.

J'ai les pieds en compote, je ne peux plus marcher. Il m'est impossible de parcourir un mètre de plus, c'est tout juste si j'arrive à traîner les semelles de mes chaussures sur le bitume. Mary et Carla me font faire la tournée des grands-ducs pour dénicher une tenue pour la future maman, qui arbore depuis peu un petit ventre rondouillard.

— À qui la faute. Réplique Mary agacée par les jérémiades incessantes que j'occulte depuis plus de trois quarts d'heures à travers les rues de Manhattan. Tu aurais dû mettre une paire de tennis comme Carla et moi, cela aurait évité à tes petits petons de se couvrir d'ampoules et surtout de devoir supporter ta mauvaise humeur.

— Gna, Gna, Gna ! Tu as fini de faire ta donneuse de leçons. J'ai accepté de vous suivre pour décompresser, pas pour me faire engueuler. Entre mon boulot et l'ouverture prochaine de la salle de sport, tu peux comprendre que je suis épuisée. Alors s'il te plaît, n'en rajoute pas une seconde couche.

— Très bien. Si tu veux faire une pause, allons boire un thé. Concède ma sœur en baissant les bras devant mes arguments.

Carla n'émet aucune objection, au contraire, elle semble ravie de pouvoir faire une halte afin d'aller boire un verre. Affalée sur un fauteuil Chesterfield, je sirote à petites lampées la tasse de thé que le cafetier a préparé sous mes yeux ébahis, pourtant cela n'avait rien de sorcier.
Faire bouillir de l'eau et y plonger quelques feuilles de menthe fraîche n'était pas la tâche la plus ardue que j'ai vue dans ma vie, mais il faut croire que la fatigue grandissante m'a fait divaguer. Depuis dix bonnes minutes, mes deux comparses me dévisagent avec insistance, sans que je ne sache pourquoi. Que se passe-t-il ? Aurai-je un bouton pustuleux au milieu du front ou pire encore, une crotte qui pendouille au bout de mon nez ?

— Pourquoi, me reluquez-vous comme ça ? Votre silence est pesant et en devient presque gênant.  Dites-moi ce qui se passe à la fin !

Ma sœur se redresse de son assise, me scrute avec persévérance tout en plissant ses grands yeux bleus. Tapotant l'index sur son menton, elle reste songeuse. La connaissant, quelque chose la turlupine, et j'aimerai en connaître la raison puisqu'apparemment j'en suis la cause.

— Tu as un truc de changer Roxy. Je ne sais pas quoi, mais je te trouve... différente.

— Tu as remarqué, toi aussi ! Surenchérit Carla, qui sautille sur sa chaise en m'inspectant de plus près. Elle semble plus sereine, heureuse, rayonnante, que cela en paraît presque trop beau pour être vrai.

— N'importe quoi ! Vous divaguez les filles.

— Menteuse ! Je ne te crois pas Roxy. Crache le morceau.

— Elle nous prend pour des quiches. Regarde son nez s'allonge comme celui de Pinocchio. Jubile ma belle-sœur, fière de sa tirade que même un gamin de cinq ans pourrait débiter.

Comme une idiote, je récupère mon miroir de poche dans ma besace et vérifie mon visage. Mon nez est tout à fait normal, il n'a ni grandi ni rapetissé.

— Ah tu vois ! Elle nous baratine.

— Non !

— Je te connais par cœur Roxy. N'oublie pas que j'ai changé tes couches et mouché ton nez quand tu as eu ton premier chagrin d'amour. Tu ne veux rien dire, tant pis pour toi. Attends-toi à être harcelé jour et nuit. J'appellerai, je viendrais te déranger au beau milieu de tes parties de galipettes pour qu'enfin tu avoues tes cachotteries.

Tu peux toujours essayer. Pensé-je en riant silencieusement.
Personne ne sait que j'ai emménagé chez Léo la semaine dernière. J'ai voulu garder cela secret, hélas, je ne vais avoir d'autres choix que de révéler la supercherie. J'ai envie de jouer avec elles, c'est le fruit de ma vengeance pour avoir martyrisé mes pieds. Je vais semer un indice par-ci par-là afin de les faire languir un peu plus longtemps. Je récupère mon nouveau trousseau de clés et le dépose sur la table.

— Débrouillez-vous avec ça.

— Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse avec tes clés de maison ? Peste Mary.

— Peut-être venir visiter mon nouveau chez moi.

— Hein ! C'est quoi encore ces conneries. Tu as vendu ta maison.  Mais pourquoi ? Elle ne te plaisait plus.
— Elle est encore sur le marché de l'immobilier si elle vous intéresse. Je cherche autre chose, besoin de changement, donc j'ai pris une colocation et c'est l'éclate totale.

— C'est du grand n'importe quoi. Où et avec qui ? On la connaît ta coloc.

Les faire tourner en bourrique me procure une satisfaction sans merci. Je vais les taquiner encore un peu, puis leur dirais l'entière vérité puisqu'elles vont frôler la crise de nerfs.

— Je vis dans une grande baraque avec un mec ultra sexy. Il est tellement beau que j'en bave littéralement quand mes yeux se posent sur lui. De plus, il traine souvent torse nu, et, je vous avoue que je ne vais pas m'en plaindre. Je l'ai même surpris en train de me mater à la dérobée.

— À quoi tu joues ? Et Léo n'est pas jaloux dans tout ça ? Permets-moi d'en douter. S'énerve Mary.

— Pas du tout. Il est même heureux que je partage ma vie avec un Dieu grec.

— Il n'est pas bien dans sa tête. Jamais, je ne laisserai ma nana cohabitée avec un homme au charme démesuré. Vous êtes un couple vraiment atypique tous les deux.

— Il est gay ton colocataire. Je ne vois que cette possibilité pour que ton copain accepte que tu partages ta vie avec un autre que lui. Argumente Carla, un peu trop sûre d'elle.

J'éclate de rire en regardant les deux détectives qui d'ailleurs je n'engagerai jamais, aux vues de leurs déductions à la con.

— Vous êtes à côté de la plaque les filles. Je vis avec un hétéro, ça, je peux vous le confirmer. Confié-je en haussant les sourcils sournoisement.

— Attends Roxy. Ne me dis pas que tu as couché avec ce mec. Et Léo ? Tu as pensé à lui.  C'est un gars bien, je ne te comprends pas. Tu préfères tout foutre en l'air, une fois de plus. Je suis dépitée par ton comportement.

Oulà ! Les choses se corsent, je ferai mieux de tout remettre dans leurs contextes avant que ma sœur me file une gifle.

— Vous vous m'éprenez. Le type hyper beau et sexy n'est autre que Léo. J'ai emménagé chez lui le week-end dernier.

— Tu te fous de nous ! Tu ne pouvais pas le dire avant ! S'écrie ma sœur qui se décontracte tout d'un coup.

— C'était jouissif de vous embobiner et de vous voir sauter à pied joint dans mon mensonge !

— Mouais ! Tu es une garce. Je te déteste, mais, je suis contente pour toi... pour vous.

— C'est super Roxanne ! Ton frère va se faire une joie de l'apprendre, par contre ta mère, ça va être une toute autre histoire.

À vrai dire, je me moque de ce que peux penser ou dire le dragon. C'est mon choix, ma vie, mon bonheur et non le sien. Du moment que Léo et moi sommes heureux, le reste n'est que futilité.

— Elle s'y fera à la longue.

— Pour sûr. Elle apprécie Léo, seulement elle est en colère d'avoir découvert son passé un peu tardivement, ce qui peut se comprendre. Bref, on ne va pas revenir sur cet épisode. J'ai quelque chose d'important à vous dire et à vous demander.

Mary nous apprend que Paul est enfin décidé à concevoir un second enfant. Cependant, elle a pris la décision de mettre sa carrière artistique entre parenthèses pour s'occuper pleinement de sa famille.

— C'est génial ! C'est la journée des bonnes nouvelles ! S'exclame ma belle-sœur.

— Vous me gâtez toutes les deux. Je suis une tata comblée. J'ai hâte de pouponner mes nouveaux neveux ou nièces.

— Ton tour viendra Roxy.

— Peut-être, oui.

Léo et moi n'avons jamais abordé le sujet, le mariage non plus d'ailleurs, et je préfère ne pas m'y risquer afin de ne pas le braquer. Si le moment se présente, pourquoi pas. Avoir un petit Ortega serait l'aboutissement de notre couple.

— J'ai quand même une dernière expo à faire pour la galerie. Un truc qui me tient à cœur. D'ailleurs, j'aimerai vous avoir toutes les deux comme modèles.

— Avec plaisir ! Répondons-nous en chœur, Carla et moi.
— Vous allez peut-être déchanter les filles. J'ai dans l'idée de proposer une exposition de nu artistique.

— Quoi ? Tu es tombée sur la tête. Moi, à poil... jamais de la vie !

— Pour ma part, je reste ! s'exclame Carla.  J'aurai un souvenir de ma grossesse.

— Ces toiles ne seront pas à vendre. Elles vous appartiendront après.

— C'est chaud tout de même.

— Dis oui Roxy, tu ne le regretteras pas. Et tu pourrais l'offrir à Léo. Imagine ton homme travaillant dans son bureau avec mon œuvre sous ses yeux qui le titille à longueur de temps.

Je suis certaine que dès qu'il t'aura en visu, tu ne pourras échapper à ses mains baladeuses. Effectivement, vu sous cet angle, c'est tentant... le sujet mérite réflexion. Si je peux profiter de plus de sexe avec mon homme, grâce à ces clichés, la question ne se pose même plus.

— Ok, tu m'as convaincu. On commence quand ?

— Laisse-moi régler un ou deux détails avant. J'ai besoin de plusieurs candidats, d'ailleurs si Léo est dispo, je veux bien le peindre sous toutes les coutures.

— Même pas en rêve ! Assez de femmes ont vu sa fusée, et je compte bien rester la dernière. Moi vivante, jamais de la vie.

Impossible qu'elle reluque la bête de mon Léo.

— Demande à ton mari. Je serai curieuse de mesurer la taille de sa zigounette le jour de l'expo.

— C'est une idée... à oublier.

— Ah ! Madame n'est pas partageuse.

— Aucun risque !  D'ailleurs, je vais devoir partir. Paul est à la maison et Andrew à l'école.
Je ne vous fais pas de dessin sur ce qui va se passer en rentrant.

— Veinarde ! Mick n'ose plus me toucher depuis que je suis enceinte. Il a peur de percuter la tête du bébé avec sa queue. Vous vous rendez compte, il ne me saute plus depuis un mois et demi.

Pauvre Carla, les hormones la travaillent et mon frangin n'en profite pas. J'espère que Léo ne sera pas comme ça, le jour où je serai enceinte. Frustration assurée durant neuf mois, j'en crèverai ! Mais connaissant mon homme, il ne me fera pas cela. Léo aime bien trop le sexe pour s'en priver. Redescend sur terre Roxanne, ce projet n'est pas à l'ordre du jour. Je dois encore préserver ma santé mentale et y réfléchir. Des mini Léo partout... quelle horreur ! Par contre, des petites Roxy, ça, ça serait le top du top.
Mary étant partie, il ne reste plus que ma belle-sœur et moi. Nous discutons de son travail d'institutrice qui lui plaît toujours autant. Des nombreuses nausées matinales qu'elle aimerait voir disparaître, de ces envies de champignons alors qu'elle déteste cela. Du choix de coloris pour la chambre du bébé.

— Demande à Barbara, elle pourra t'aider. N'oublie pas qu'elle est décoratrice d'intérieur. D'ailleurs, nous l'avons embauché pour qu'elle retape la salle de sport.

— J'y songerai. Il faudrait peut-être que l'on se remue, il est treize heures quinze et je n'ai toujours pas de robe.

— Oh non ! C'est de la torture. Tu t'acharnes sur moi, méchante.

— Lève-toi ! On va aller dans la boutique d'en face t'acheter des chaussures un peu plus confortables.

— C'est toi qui offres ?

— Si tu prends une paire en solde, sinon c'est toi qui régleras la note.

— Excusez-moi. Entendis-je derrière moi. Vous vous souvenez de moi ?

À vrai dire, pas vraiment. J'ai déjà vu cette femme quelque part, mais où et quand, cela reste une énigme.

— Je vous ai aperçu à l'hôpital. Vous étiez avec un homme.

— Oui, et ?

— Il s'agit de mon fils Léo, et j'aimerai que vous lui donniez ceci de ma part. Me dit-elle, en déposant un morceau de papier dans ma main. Voici notre nouvelle adresse. S'il décide un jour de nous pardonner, il en aura besoin pour nous retrouver.

Je reste bouche bée devant cette femme, la mère de mon homme... la maman adoptive de Léo. Celle qui l'a élevé, aimé, mais surtout celle qui l'a trahi. Je ne sais que faire de ce gribouillis qui pourrait changer nos vies.
Dois-je le jeter à la poubelle et faire comme si de rien n'était ? Non, c'est impossible.
Le donner à Léo ? Le moment est mal choisi pour l'envisager. Le mieux est de le conserver précieusement et de le ressortir au moment opportun.

— Je le ferai. Annoncé-je bien déterminée à aider cette femme en détresse. Léo aura vos coordonnées, je lui donnerai en temps voulu madame Ortega. Mais sachez que je suis convaincue qu'il fera cette démarche tôt ou tard. Soyez-en sûre.

— Merci mademoiselle. Je suis heureuse de savoir que mon fils à une femme comme vous dans sa vie. Me confie-t-elle avant de s'éloigner, le sourire aux lèvres par le semblant d'espoir que je viens de lui donner.

— Roxy, que comptes-tu faire ?

La question ne se pose même pas, je sais exactement comment procéder. Je suis sûre de réussir cette mission qui s'annonce certes compliquée et ardue. Cependant, je n'ai jamais baissé les bras devant un défi et ce n'est pas demain la veille que je le ferai.

— Je vais réconcilier Léo et ses parents. Voilà ce que je vais faire Carla. Je vais essayer de les réunir de nouveau, même si cela annonce des moments compliqués, j'y parviendrai. Parce que j'aime et que je tiens à lui.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant