Chapitre 37. Roxanne

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Dimanche 8 Juin 2015

Comme d'habitude, je presse le pas pour ne pas arriver en retard chez mes parents. Ma mère me sermonnerait durant des jours, des mois, voire des années si j'ai le malheur de ne pas être à l'heure à ce repas dominical. De plus, aujourd'hui est un jour très particulier, Charles l'associé de mon père fête ses cinquante ans et mes parents n'ont pas trouvé mieux que de convier toute la famille pour onze heures tapantes, alors que nous savons tous pertinemment que nous ne passerons pas à table avant treize heures. Encore un dimanche sans grasse matinée, cela fait des années, que je n'ai pas traînée au lit et cela me manque. Je rêverai de squatter le canapé en me gavant de sucreries et de rester dans mon pyjama polaire, tout en oubliant volontairement d'aller à la salle de bain pour faire une toilette. À regret, j'enfile une robe sophistiquée, dress code obligé, comme toujours. Et dire qu'il fait une chaleur insoutenable en ce début Juin, malheureusement, je n'ai pas la liberté de venir vêtue d'un débardeur, d'un short et de sandalettes afin de ne pas scandaliser la sérénissime Rosa Harper. Mes cheveux sont impeccablement relevés en chignon, ma mise en beauté se veut légère, juste un trait d'eyeliner sur les paupières de quoi plaire à ma mère. Le stress monte et je n'arrive pas à mettre la main sur mes escarpins. Je peste à tout bout de champ et fais valser toutes les chaussures du meuble, afin d'y dénicher mon bien.

— Bon sang, elles sont où !? Hurlé-je comme une aliénée en regardant mes innombrables paires de pompes qui jonchent le sol.

Impossible de retrouver les talons qui s'accordent avec ma robe et, malheureusement cela a de quoi me rendre irritable. Mes braillements finissent par alerter Léo, sa silhouette ne tarde pas à apparaître à l'entrée du dressing. S'appuyant sur le chambranle de la porte, il observe impuissant la scène d'horreur qui se passe entre mes chaussures et moi.

— Mais qu'est-ce que tu fabriques ?

— Ça ne se voit pas ! Je joue à cache-cache.

— Tu penses que c'est le moment de faire du tri ? Je te rappelle que nous sommes attendus chez tes parents.

— Eh bien, nous serons en retard, n'en déplaise au dragon. Aide-moi à chercher mes escarpins rouges ou lieu de me regarder bêtement.

Je continue les fouilles, alors qu'il me tend une paire de bottines couleur grenat.

— Ça ne serait pas ça que tu cherches.

Décidément, il ne sait pas faire la différence entre des escarpins et des bottines. Heureusement qu'il est doué pour le sexe et la cuisine, cela compense sa nullité en matière de mode.

— Tu trouves que ça ressemble à des chaussures à talons ? Sérieusement Léo, tu le fais exprès pour m'énerver un peu plus que je ne le suis déjà.

— Roxanne, tu n'exagères pas un peu à tout hasard. Tu es certaine que c'est cette histoire de chaussures qui te chagrine tant.

— Oui ! Quoi d'autre. Fulminé-je en le fusillant de mes yeux revolver.

— Hé, du calme ma jolie. Tu es tendue parce que je t'accompagne à ce repas, n'est-ce pas !?

— Tu dis n'importe quoi. Sors d'ici et fous-moi la paix !

— Arrête et regarde-moi. Me dit-il en me prenant les mains. Tout va bien se passer. Tu perds ton sang-froid pour rien, et je te signale que je connais déjà ta famille. Alors où est le problème ?

Il a raison, j'angoisse à l'idée de le présenter officiellement à mes parents comme étant mon petit copain. Avant cela, ils pensaient que nous étions amis, or Léo n'était qu'un Escort et moi sa cliente, rien de plus. Je me payais ses services afin de faire taire le dragon pour ne plus encaisser ses moqueries sur mon éternel célibat. Et aujourd'hui, la supercherie n'est plus, puisque tout est devenu concret entre Léo et moi. Cependant, mes parents ne connaissent toujours pas la vérité sur notre rencontre et cela est mieux ainsi puisque son passé serait un véritable cataclysme pour mon père. Le pire serait à craindre si cela venait aux oreilles de ma mère. J'imagine déjà les remontrances qu'elle me ferait, elle s'indignerait de savoir que sa fille chérie a rémunéré un homme pour qu'il joue son chevalier servant. Le scandale s'étalerait dans les journaux dès le lendemain, et je n'aurais vraisemblablement, plus que mes yeux pour pleurer.

— Il n'y a aucun problème Léo, je t'assure. C'est juste cette histoire d'escarpins qui me fait péter un plomb.

— Ok. Si je peux te donner mon avis Roxanne, je pense que tu devrais porter celles que tu avais aux pieds hier soir, lorsque... enfin tu vois de quoi je parle. Elles sublimaient tes jambes.

Mes joues s'empourprent lorsque je me remémore la soirée de la veille. Finalement Léo n'a pas si mauvais goût, mes talons noirs s'accorderont à merveille avec ma robe. Alors que j'inspecte une toute dernière fois ma tenue dans le miroir, Léo s'approche à pas de loup puis dépose ses lèvres sur ma nuque. Une source de chaleur traverse mon corps de la tête aux pieds. Je lui annonce enfin que je suis prête à partir.
— Tu as pensé aux fleurs, aux cigares et au...

— Oui, Roxanne, le cadeau de Charles est dans le coffre de la voiture tout comme ceux de tes parents. Tu ne vas pas me demander la même chose durant tout le trajet tout de même.

Et pourquoi pas. Songé-je alors que je regarde la route défilée. Si cela peut me permettre de calmer mon angoisse, je n'hésiterai pas à le questionner, le harceler encore et encore sur le sujet.

— C'est quoi ta recette miracle pour être si détendu. Tu te drogues ?

— Mieux que ça.

— J'aimerais bien savoir.

— Tu devras attendre pour ça, mais je te promets que tu auras la tête dans les nuages quand je te confirai mon secret.

J'ai bien ma petite idée, mais je n'en dis rien. Au lieu de ça, je le regarde amoureusement. Je l'aime tellement que s'il me demande de me jeter du haut d'une falaise, je le ferai sans aucune hésitation. En fait, cela n'est pas tout à fait vrai. D'une, parce que j'ai peur du vide et de deux, je suis amoureuse, pas suicidaire.

Avec dix minutes d'avance, nous arrivons chez mes parents. Léo stationne sa voiture à côté de celle de mon frère Mick. Nous restons encore un peu à l'intérieur et en profitons pour nous embrasser langoureusement avant de faire notre entrée.

—  Ah ! Vous voilà enfin les enfants ! S'exclame mon père que nous n'avions pas vu arriver.

Il se tient près de la portière en affichant un rictus complice sur le visage.

— Père, vous vous amusez bien ?

Mais qu'est-ce que je raconte, voyons Roxanne ressaisis-toi ma vieille. Tu ne pouvais pas lui poser une autre question. C'est sa faute après tout, il nous épiait et cela m'a déstabilisé. Léo est fautif lui aussi quand j'y réfléchis bien, avait-il besoin de garder sa vitre baissée ?

— Je ne m'amuse pas aussi bien que vous apparemment. Dépêchez-vous de finir votre petite affaire, ta mère risque de s'impatienter. Et ça serait malheureux qu'elle vienne vous débusquer de la voiture en pleine séance de batifolage.

— Nous arrivons monsieur. L'informe Léo totalement détendu, alors que moi, je suis mortifiée par les propos tenus par mon paternel.

— La poisse, il ne manquait plus que ça ! Il va penser quoi de moi à présent.

— Remets-toi Rox, ton père nous a juste surpris en train de nous embrasser.

— C'est déjà trop. Grouille-toi de sortir !

Nous pénétrons dans l'immense demeure main dans la main. Je me demande pourquoi mes parents continuent de vivre dans ce lieu austère. Ce n'est pas étonnant quand j'y songe, la maîtresse des lieux est la froideur incarnée.
Et qui de mieux qu'un glaçon pour habiter dans un igloo. Je ne comprendrai jamais mon père, pourquoi s'entête-t-il à continuer de partager sa vie avec un iceberg ? Il doit aimer le grand froid.
Je retrouve toute ma famille attablée dans la salle à manger, Charles est également présent, cependant sa femme Marjorie n'est pas dans les parages, ce qui n'est pas étonnant. Elle doit encore retoucher son maquillage pour ne pas ressembler à Cruella. Je crois, non je suis même certaine que cette femme est encore plus glaciale et calculatrice que ma mère. Je n'ai jamais supporté sa présence, trop hautaine et fausse à mon goût.

— Bonjour Roxanne. Léo ravit de vous avoir par mis nous ! S'exclame joyeusement ma mère.

Une fois de plus, le charme de Léo opère sur Rosa Harper. Décidément, je vais finir par croire que mon homme lui a tapé dans l'œil. Elle minaude un peu plus lorsqu'il lui tend l'énorme bouquet de fleurs que nous avons acheté à la hâte hier soir.

— Il ne fallait pas. Merci, elles sont magnifiques.

— Pas aussi belle que vous. La charme-t-il en lui baisant la main.

Tais-toi Léo ! Lui fais-je comprendre en émettant un raclement de gorge.
As-tu fini de séduire ma mère ? Pitié, ne me dites pas que le connard qui sommeille en lui est de retour.

—  Nous avons aussi pensé à vous monsieur Harper, des cigares cubains que vous apprécierez, j'en suis certain.

Achevez-moi de suite. Mais qu'est-ce qu'il lui prend à la fin. Il va faire de la lèche à toute ma famille ou il compte s'arrêter là ?

— Joyeux anniversaire Charles. Marjorie n'est pas là ?

Il m'explique qu'elle aura un peu de retard, puisqu'elle devait tout d'abord rendre visite à sa mère, qui suite à une mauvaise chute s'est cassée la jambe. L'apéritif nous est servi, Léo est comme un poisson dans l'eau. Il converse avec les garçons de son nouveau projet professionnel. Mary m'informe qu'Arthur jouera un match important le week-end prochain et qu'elle aimerait que je l'accompagne pour faire plaisir à mon neveu préféré.  Quant à Carla, la pauvre est à deux doigts de se cogner la tête contre le mur. Elle se coltine ma mère depuis plus d'une heure et celle-ci ne cesse de lui rabâcher qu'elle devrait changer de métier, qu'elle mérite mieux que d'être enseignante dans une école publique.
L'élégance même de l'aristocratie débarque comme une reine en plein milieu du repas. Son allure quelque peu débraillée me laisse perplexe sur sa soi-disant visite à sa génitrice. Je parie avec quiconque le voudrait, que Marjorie était plutôt en train de s'envoyer en l'air avec son amant. Sa robe est bien trop courte et son décolleté bien trop profond pour qu'il puisse en être autrement. Et à bien y regarder, ses cheveux ne sont pas correctement coiffés, au contraire quelques mèches s'échappent de sa queue haute et son rouge à lèvres a bavé.

— Veuillez m'excuser pour ce petit désagrément. Roxanne chérie, cette robe est ravissante. Me complimente-t-elle en s'asseyant près de moi.

— Je vous retourne le compliment. Votre robe est très... légère.

Je tapote sur l'épaule de Léo pour lui présenter Marjorie. Quand celui-ci se tourne en notre direction, son sourire se perd instantanément.

— Léo, voici Marjorie la femme de Charles. Marjorie, je vous présente Léo, mon petit ami.
— Ravie de rencontrer l'homme qui fait battre le cœur de notre chère Roxy.

Depuis quand m'appelle-t-elle comme ça ? C'est quoi ce regard aguicheur qu'elle lui lance sous mes yeux ? Du calme la quadra, cet homme-là est le mien, alors bat les pattes !

Nous déjeunons dans une ambiance conviviale, ce qui est agréable pour une fois, puisque ma mère semble détendue. Léo m'informe qu'il sort fumer une cigarette avant que le gâteau ne soit servi. Je hoche la tête pour lui signifier que je l'ai bien entendu étant donné que je suis en pleine discussion avec ma sœur et Carla.

Marjorie s'absente à son tour prétextant un appel urgent à passer. Je n'y prête pas attention et continue de papoter. Le gâteau arrive et je m'aperçois que Léo n'est toujours pas revenu. Je m'excuse et sors de table pour aller le retrouver. Des voix à peine audibles m'attirent vers le balcon. Je m'avance le cœur battant en prenant soin de me faire le plus discrète possible. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme un mauvais pressentiment et je ne m'y trompe pas lorsque je découvre Léo et Marjorie en pleine conversation. Je tends l'oreille en m'approchant un peu plus. Léo est énervé, son visage est crispé et je constate que ses poings se serrent et se desserrent avec force à chaque mot que prononce Marjorie. Stupéfaite par ce qui se passe sous mes yeux, je ne peux plus bouger, j'assiste spectatrice, impuissante à la scène qui se joue à quelques mètres de moi.

— C'est pour cette fille que tu as arrêté ta carrière d'Escort ? Qu'a-t-elle de plus que tes anciennes clientes ?

— Tu veux sûrement dire, qu'a-t-elle de plus que toi.

— Non, mon chou. Je sais ce que je vaux et je suis certaine que ta chère Roxanne ne m'égale pas au lit.

— N'en sois pas si sûre Marjorie.

— Elle t'a déjà laissé la posséder entièrement comme moi je t'ai autorisé à le faire. Cela m'étonnerait, elle est bien trop frigide et coincée comme sa pimbêche de mère. Ne dit-on pas telle mère telle fille.

— Tu vas trop loin ! Laisse Rosa et Roxanne en dehors de toute cette histoire. Oui je t'ai baisé et j'ai aimé ça, mais aujourd'hui c'est du passé. Mon avenir, c'est Roxanne.

— On pourrait peut-être se revoir un de ces jours. Je rêverais de rejouer certaines de nos expériences, comme celle que nous avons eue avec ton ami West. Enonce-t-elle en posant sa main sur le sexe de Léo.

— Stop ! Fous-moi la paix ! Crie-t-il en rejetant la main de Marjorie.

— Ne me dis pas que tu n'as pas envie de me prendre sauvagement comme tu aimais si bien le faire. Je pourrai peut-être te sucer, comme au bon vieux temps. Qu'en dis-tu ?

Je n'arrive pas à réaliser ce que je viens d'entendre. Je suis complètement amorphe. Marjorie et Léo ont baisé ensemble. Mon Dieu, cela me file la nausée, et ces maudites larmes qui ne cessent de tarir sur mes joues sont celles que j'ai toujours redoutées. Léo vient de me briser le cœur. Je savais que tôt ou tard une de ses ex-clientes serait une femme de mon entourage et, malheureusement, je ne peux pas y faire face comme je lui avais promis au début de notre relation.

— Roxanne qu'est-ce... oh merde ! S'écrit Mary choquée en découvrant Marjorie, embrassant Léo.

Les deux coupables se tournent en notre direction et nous aperçoivent. La tête déconfite pour l'un et le sourire aux lèvres pour l'autre. C'en est trop pour moi.

— Rox ! Tente-t-il en me jetant un regard désolé.

J'en ai trop vue, je dois fuir d'ici... je ne veux pas entendre ne serait-ce un traitre mot de ce qu'il a à me dire. Quelle idiote j'ai été ! C'est terminé ! Aucune de ses explications ne me fera changer d'avis. Rien ne sera jamais comme avant et je préfère mettre un terme à notre histoire dès maintenant.

The soul of desireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant