Une retenue d'esclavagiste

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Je devais me rendre à ma colle. En fait je n'avais pas le choix, mais je n'avais vraiment pas envie. Sophie n'était pas avec moi et franchement, aller gonfler des ballons pendant deux heures me gonflait justement. J'y allai donc en trainant des pieds comme toujours. J'avais rendez vous dans la vieille remise du lycée, c'était l'endroit où on stockait les vieux trucs minables qui servaient pour les kermesses ou ce genre de chose. Je devais passer devant le gymnase pour ça. J'avais un peu d'avance alors je regardai à travers la porte entrouverte. Je pouvais voir les joueurs de basket d'ici. Il y avait Brian notamment. Il venait de faire un dunk. Je n'étais pas très bonne en basket mais j'aimais ça. Avec mon père on y jouait parfois quand j'étais petite. J'étais son seul enfant et il voulait me montrer toute sorte de choses. Et lui adorait le basket parce qu'il en avait fait au lycée et à l'université. 

C'était l'un des grands paradoxes de ma vie. Mes parents étaient hyper populaires au lycée. En gros, ils étaient les Alexandra et Brian, les performers, ceux qui influençaient les autres et que les autres admiraient. Bien sûr ma mère était adorable. Mon père était tombé amoureux d'elle à la fac alors qu'ils se connaissaient depuis le lycée. Il m'avait toujours dit qu'elle était un cliché. Une fille au grand cœur. Et c'est vrai que les souvenirs que j'avais d'elle étaient comme ça. Elle mettait en œuvre certains des grands principes du genre humain tel que : Tu aideras ton prochain comme toi-même. Elle avait voué sa vie entière à la médecine et aux autres. Ma mère était une sainte je pense, du moins, j'avais toujours pensé qu'elle l'était. 

Je ne l'avais jamais raconté à personne et je pense que personne ne le savait mais il m'arrivait de pleurer le soir, en pensant à elle. Aurait-elle aimé la personne que j'étais devenue ? Parfois j'en doutais. Je n'étais pas comme mes parents. J'étais plus une littéraire moi. Ce que j'aimais, c'était lire, écrire. J'avais une âme d'écrivain. Je n'étais pas très sportive ou très scientifique. Ce n'était pas mon truc. Et je n'étais pas populaire.La plupart du temps, je me disais que la fille d'une ancienne reine de promo ne pouvait pas être seulement invisible et anonyme. Mes parents avaient 2 ans d'écart. Et tous les deux avaient atteint les sommets de la hiérarchie sociale lycéenne. Pas moi. Je m'étais demandée si j'étais vraiment leur fille, si je n'avais pas été adoptée. Mais il me suffisait de regarder une photo de famille pour savoir que ce n'était pas le cas. Je ressemblais à mes deux parents.

-Qu'est-ce que tu fais là Sarah ?
Je me retournai vivement. C'était Paul McDust. Il semblait gêné de me voir.
-Tu ferais mieux de ne pas me parler, on ne sait jamais, il ne faudrait pas que tu attrapes je ne sais pas.. la Peste ou Ébola.
-Écoute, je voulais que tu me pardonnes. J'aurais dû prendre ta défense face à Alexandra et aux autres filles. Je peux comprendre pour Brian parce que c'est presque ton frère et vous avez une vie commune en dehors du lycée, je serais mal avisé de m'immiscer dans une quasi fratrie si je puis dire. Mais avec Alex, ce n'est juste pas normal. Alors excuse-moi.
-Paul. Ce n'est pas à moi que tu dois des excuses. C'est à Sophie, elle a été très énervée contre toi. Moi, je sais que si tu n'as rien fait c'est parce que tu ne veux pas attraper une maladie en parlant à une paria, à une Troll Snot mais..
-J'étais contre cette idée de Troll Snot.
-Mais ce que tu ne comprends pas c'est que maintenant je suis fière d'être une Troll Snot et que d'ici peu, tout le monde au lycée essayera d'être un Troll Snot. Crois-moi. Je ne veux pas compromettre tes chances d'être un jour élu au bal de promo. Alors.. À plus Paul.
Je marchai vers la remise et je me retournai.
-En fait Paul ! Sophie et moi, on n'a jamais cessé d'être tes amies. Et si un jour tu as besoin d'aide, tu pourras compter sur moi, ou sur elle. Tu n'auras qu'à nous envoyer un SMS et on le fera dans l'ombre.

Je lui avais fait mal. Je le savais. Je l'avais lu dans ses yeux.Mais c'était un mal nécessaire en réalité. Il devait comprendre que je ne lui en voulais pas d'avoir sacrifié mon honneur au lieu du sien mais qu'il avait blessé Sophie. On avait certes cessé de se parler depuis quelques années, ou alors on se saluait par un signe de tête. Mais, dans le fond, on n'avait jamais vraiment rompu notre amitié. Il le savait et nous, on le savait. Il y avait une sorte de pacte de non-agression entre nous. C'est en partie pour ça que nous étions invisibles. Parce qu'il n'avait pas laissé les autres nous approcher. Mais désormais, c'était terminé.
-Je suis quand même désolé et tu n'es pas une paria, tu es un être humain, me lança-t-il alors que je tournais les talons.
Oui. J'étais un être humain. Et il avait fallu que je me fasse humilier dans la cafétéria pour que Paul remarque que j'étais de la même espèce que lui. J'avais envie de lui dire ça mais j'allais être en retard à ma colle. La surveillante générale était déjà là. Elle cocha mon nom après m'avoir vu. Il y avait pas mal de monde, je trouvai ça bizarre. Il y avait autant de monde collé ?
-Bon, tout le monde venez là.

Welcome to my lifeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant