Chapitre 18.1 - Et à la fin trouver une cause à rallier

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Le jour commence enfin à se lever, me permettant de prendre toute la mesure de ce qui nous attend. Au loin se dressent cinq corps de ferme dispatchés au milieu des champs. Autrement dit, plusieurs sites retranchés sur terrain découvert, du suicide en assaut frontal. Je ne partage donc pas l'enthousiasme de Chris.

Sur son plan dessiné à main levée, Holzer a donné un numéro à chacun des cinq groupes de bâtiments, reliés les uns aux autres par une unique route formant un carré. Ces sites sont individuellement entourés par des haies végétales hautes de plusieurs pieds, dissimulant d'éventuelles positions défensives. Leurs configurations sont similaires : une ou deux maisons, un hangar principal et quelques petits bâtiments annexes, le tout disposé autour d'une cour centrale. Seul le site du milieu, le n°3, diffère des quatre autres. Il ne s'agit que d'un énorme bâtiment de stockage en tôle. Notre objectif est de tous les prendre.

Selon les propres aveux du sergent Holzer, les hommes de New Town qui occupaient ces lieux avant de s'en faire déloger n'avaient pas pris le temps de renforcer leur position. Ce manque de préparation explique en partie leur cuisante défaite, et d'après les deux éclaireurs de cette nuit, le Gang en a tiré des leçons. S'attendant à une contre-attaque, ils ont préparé le terrain. Comme à Kell am See, toutes les fenêtres, portes et autres ouvertures donnant sur l'extérieur du périmètre ont été barricadées, tandis que dans chaque corps de ferme les maigres espaces entre les bâtiments ont été obstrués par tout ce qu'ils ont pu trouver : engins agricoles, cuves, parpaings... Mais ils ne se sont pas arrêtés à ces simples fortifications. Les cinq sites sont maintenant reliés les uns aux autres par une barricade, bouclant l'ensemble de la zone. Pour ériger au plus vite ce dispositif défensif primaire, ils ont démonté une partie des tôles qui couvraient les hangars et les ont disposées sur le flanc les unes à côté des autres. Dépassant par endroit cinq pieds de haut, cette installation précaire montée à la va-vite vise surtout à nous ralentir.

 Dépassant par endroit cinq pieds de haut, cette installation précaire montée à la va-vite vise surtout à nous ralentir

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Nous sommes tous regroupés au nord du Point d'eau, dissimulés par un petit bosquet. La route de graviers blancs qui nous mènera au combat se divise en deux un peu plus loin, à proximité du site n°1. Notre premier axe d'attaque, rebaptisé voie 1 par Holzer – weg 1 en allemand – continue droit devant et s'enfonce dans le camp ennemi. Le deuxième axe, la voie 2, contourne le périmètre par l'est pour atteindre le grand hangar à moitié désossé du site n°3. Nous devrons progresser à découvert le plus vite possible jusqu'à ces deux entrées où seront certainement retranchés des membres du Gang dont nous ne connaissons ni le nombre, ni l'armement. Nous savons qu'ils ont récupéré quelques fusils d'assaut laissés par les précédents résidents, mais ont-ils assez de munitions ? Et ont-ils reçu des renforts ?

Il y a une demi-heure encore, ce plan de bataille me paraissait bon. Je le trouve maintenant particulièrement risqué, voire suicidaire pour ceux du groupe 1 qui emprunteront la voie 1 au moment de lancer l'assaut sur le site 1. Un plan simple, je disais.

— Mais qu'est-ce qu'il attend bordel ? Le jour se lève !

À mes côtés, Chris s'impatiente et peste sur le sergent Holzer qui donne ses dernières instructions au caporal Baumann qui mènera le groupe 2 par la voie 2 pour attaquer le site 3. Allez comprendre. Accroupie derrière moi, Tanya n'en mène pas large. Tête baissée, elle fixe ses chaussures et tente de faire le vide en elle pour surmonter sa peur. Elle frissonne, le froid et la peur agissant de concert. En contemplant le reste de ma pitoyable unité, je mesure à quel point personne n'est préparé à l'affrontement qui s'annonce. Aucun n'a fait la guerre en-dehors de Chris et moi. Et quand je vois tous ces pauvres types équipés d'armes blanches coupantes, perforantes ou contondantes, se chiant dessus en attendant l'ordre tant redouté de passer à l'attaque, je me rends compte qu'on ressemble plus à un groupe de miliciens révoltés qu'à une véritable unité de combat.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant