Chapitre 10.3 - Car l'esprit trop étroit n'atteint pas les hauteurs

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Avec son feutre rouge, je perpétue son travail en reportant sur sa carte les informations que nous venons d'obtenir.

Et voilà les rafraîchissements qui arrivent, jus d'eau croupie, sans élément rayonnant ajouté.

Tanya me tend ma gourde.

— Tiens. Alors ? On va où cette fois ?

— Je ne sais pas encore...

Elle jette un coup d'œil à la carte. C'est la première fois qu'elle s'y intéresse.

— C'est toi qui as fait toutes ces marques ?

— Non, un ami.

Je n'avais jamais évoqué Walter comme tel, un ami, ça fait bizarre.

— C'était sa carte ?

— Oui.

Avant cette foutue attaque en pleine nuit.

Elle pose sa main sur mon épaule, comme si elle avait senti tout le poids de mon passé resurgir douloureusement. La mort de mes anciens camarades de survie me pèse plus que je ne l'aurais imaginée, en particulier celle de Mark qui me hante de plus en plus. Mon état de santé qui se dégrade de jour en jour me préoccupe également, tout comme la faim, la soif, le froid. Et maintenant ces changements incessants de trajets qui à chaque fois amenuisent un peu plus mes chances de retourner dans mon pays.

— Billy, on n'est pas obligés de s'infliger toutes ces épreuves.

— Quelles épreuves ?

— Billy, quel est ton but ?

Mon but ?

En y réfléchissant, la réponse est bien plus compliquée que sa simple question. Mon but ? Je ne sais pas vraiment en fait. Lorsque j'ai déserté l'armée, le jour d'Enola, il était clair : rentrer chez moi au plus vite et par n'importe quel moyen. Mais tout était si compliqué. Les mouvements de population fuyant la guerre, la guerre elle-même, les bombes qui tombaient, les émeutes. Les routes étaient totalement embouteillées, sur des miles, partout. Les avions ne décollaient plus et les ports étaient si loin...

Une larme coule le long de ma joue, je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite. Je m'empresse de l'essuyer du dos de la main.

Je suis à bout, et Tanya l'a compris. Elle s'assied face à moi tout en continuant à respecter mon silence. Attend-elle une réponse à sa question, quel est mon but ? Aujourd'hui, je dois l'admettre, je ne sais plus vraiment. Retrouver ma famille ? Il faut être réaliste, si elles ont survécu aux deux bombes de Los Angeles, comment auraient-elles pu survivre au chaos qui a suivi ? Je ne sais même pas dans quel état se trouve mon pays.

— C'est dur, j'en suis consciente, tente-t-elle de me réconforter, et je comprends que tu veuilles garder ça pour toi. Mais il faut aller de l'avant. Nous sommes en vie et en plutôt bonne santé, ne gaspillons pas cette chance que bien d'autres n'ont pas eue.

Alors que faire ? La suivre ? Je suis de toute façon trop lâche pour me suicider et je ne vais quand même pas me laisser mourir.

— Qu'est-ce que tu proposes ?

— Eh bien, à propos de ce pari, ce n'est pas si important mais, d'après les termes, ce serait maintenant à moi de décider où aller.

La garce ! Elle attendait juste le bon moment pour me le mettre dans les dents.

— D'accord, (Je pousse la carte vers elle.) trouve-nous un itinéraire sûr. Et je te propose un nouveau pari, puisque tu aimes ça, je mise sur un nouvel échec. Si je gagne j'me barre, définitivement. Tu m'entends ? Je te laisse au milieu de rien et tu te débrouilles.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant