— Attention !
— Attention !
L'avertissement se répète derrière nous comme un écho.
Je me plaque contre le mur, à l'abri, et relève mon foulard pour masquer ma bouche et mon nez. Les derniers râles d'efforts de nos collègues nous parviennent depuis la rue de l'autre côté du bâtiment derrière lequel nous nous abritons. Ça force sévère.
— C'est bon, il vient !
Puis le silence. Tout le monde retient son souffle. Nous n'avons aucun visuel mais savons que c'est imminent. Vient enfin le choc, terrible, rauque, faisant tout vibrer, jusqu'à l'intérieur du ventre, accompagné par une avalanche de crépitements et de tintements plus légers, comme une fine pluie de verre et de gravillons. Un épais nuage gris beige nous envahit. Il engloutit tout sur son passage, s'immisce dans les moindres recoins, se glisse dans chaque interstice. Je détourne la tête, ferme les yeux et pose ma main par-dessus mon foulard pour m'assurer de ne pas respirer la poussière. Les secondes passent. Je sens les fines particules de brique et de béton pulvérisés se déposer sur les parties non couvertes de mon visage, jusqu'à former une mince pellicule. Désagréable. Malgré mes précautions pour protéger mes voies respiratoires, je suis pris d'une quinte de toux.
Quelqu'un tape sur mon épaule.
— Ça va, Billy ?
J'ouvre les yeux. C'est Ercan. Je réponds de la tête, tout va bien.
— Alors il ne faut pas traîner.
Sans attendre que le nuage ne retombe, nous retournons dans la rue où nous venons tous ensemble de faire s'effondrer la façade d'un immeuble de trois étages déjà bien amoché par la guerre. Eventré en son centre, ce qui demeurait encore debout depuis le conflit ne demandait qu'à s'écrouler. Il nous a suffi de marteler les points déjà fragilisés à sa base et de tirer ou pousser sur son sommet pour que des pans entiers s'effondrent dans la rue.
Alors que nous ne voyons pas à plus de six pieds devant nous, nous commençons à déblayer les gravats et à les rassembler en tas au centre du croisement où nous devons monter notre barricade, la troisième de la journée. Depuis hier, nous soulevons des blocs de briques ou de béton. Nous mettons en œuvre le plan de défense de Klein en préparant le terrain selon une tactique déjà éprouvée depuis des siècles. Elle vise à bloquer certaines rues et croisements afin d'endiguer les troupes ennemies et les mener vers des zones que nous aurons fortifiées au préalable. En concentrant toutes nos forces en des points précis peut-être pourrons-nous repousser l'armée de la République.
— Hey ! Billy ! Viens m'aider à déplacer ceux-là ! Les plus lourds en priorité. Ne joue pas au druquoebèrgeur avec moi.
Toujours aussi grande gueule, Ercan, mon collègue de l'année dernière au Point d'eau, lorsque j'aidais à ériger les fortifications là-bas. Même si j'étais content de le revoir, je dois dire qu'il me tape sur les nerfs à cette heure. Avec la fatigue qui commence à peser, je perds patience. Il ne fait pourtant que me rappeler les consignes établies. Mais il pourrait se montrer plus indulgent, j'ai dû soulever en cumulé une tonne depuis ce matin. J'ai mal partout. Mes bras ne sont que des crampes et mon dos craque à chaque fois que je me baisse. À coup sûr je ne pourrai plus bouger quand viendra le moment de la bataille, je suis mort d'avance.
Nous entamons l'après-midi. Mais la journée risque d'être encore longue pour nous, « les ouvriers de la défense », comme aime à nous appeler Ercan. Lui et son contingent affecté au Point d'eau nous ont rejoints avant-hier. En plus d'être un coup de main salutaire, ça nous a fait plaisir de voir arriver des têtes connues, d'autant que l'appel du major à toute l'Union Communautaire du Talium n'a jusqu'à présent pas suscité l'affluence espérée. On ne s'attendait pas à ce que toutes les forces disponibles de notre jeune faction convergent enthousiastes et revanchardes vers Walldorf, la fleur au fusil, mais personne n'imaginait un tel flop.
![](https://img.wattpad.com/cover/244495621-288-k975634.jpg)
VOUS LISEZ
Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1
Ciencia FicciónAlors que la Troisième Guerre mondiale fait rage, le monde bascule dans l'escalade nucléaire le 21 septembre 2037, « The Enola Day ». Le conflit dure quelques mois, suffisamment longtemps pour défigurer la planète. En Europe, un immense territoire s...