Chapitre 29.1 - Sous le joug du soupçon nous tenant pour coupable

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Nous avons beau être au milieu de l'hiver, et deux ans après l'apocalypse, là franchement ce n'est plus possible. Cette espèce de bouillie verdâtre et visqueuse que l'on nous sert depuis hier est peut-être la pire chose que j'aie pu ingurgiter de toute ma vie. Je n'ai aucune idée de ce qu'il peut bien y avoir là-dedans. Vu la couleur, je dirais des végétaux.

— Tu ne manges pas ?

Billy et son cynisme.

— Si je n'avale pas ça, on me donnera autre chose ?

Il sourit.

— Je crains que non.

— Alors je n'ai pas le choix...

— Dépêche-toi avant que ce ne soit froid, ce sera pire.

— C'est déjà froid.

— Alors mange en retenant ton souffle. C'est un coup à prendre. Tu sais, pendant que tu étais encore au chaud dans ton bunker, j'avalais des trucs pires que ça à l'extérieur.

— Je commence à regretter d'en être sorti de ce bunker.

Je plonge ma cuillère. Elle s'enfonce difficilement. C'est consistant. Je la porte au nez. C'est indéfinissable. Ça pue, une horreur.

— Pourquoi tu t'infliges ça ? Ne réfléchis pas et avale. Il n'y a même pas besoin de mâcher.

C'est pas possible, les radiations lui ont rongé le système olfactif.

J'ouvre la bouche, prends une grande inspiration, bloque, puis fait entrer la « nourriture » que j'avale toute ronde. Le prix de la survie a décidemment très mauvais goût.

— Tu vois, ce n'est pas si terrible, pas de quoi souhaiter la mort.

— Tu ne devrais pas plaisanter avec ça.

Pouah ! Il ne faut vraiment pas que je respire en mâchant.

— Plaisanter avec quoi ? La mort ?

— Oui, ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère. On ne rigole pas avec, c'est tout.

— Attends, depuis quand tu es superstitieux ?

— Ce n'est pas de la superstition, je suis croyant, voilà tout.

J'inspire, je bloque, et une nouvelle cuillérée. Quel calvaire.

Billy reste muet. Alors que je mange avec dégoût, j'en profite pour jeter un œil autour de nous. Il doit y avoir une quinzaine de personne dans cette salle à manger reconvertie en réfectoire de fortune, presque autant de civils que de soldats, tous de New Town. Tout le monde prend son petit déjeuner dans le calme, sans faire attention aux autres.

Ne voulant pas rester sur ces dernières paroles un peu sèches envers Billy, je poursuis la conversation.

— L'Islam est le seul héritage qu'il me reste de mes parents. Après avoir fui la Syrie durant la guerre il ne leur restait plus rien à leur arrivée en Allemagne en 2016, seulement leur amour l'un pour l'autre et leurs deux jeunes enfants. Ils ont d'abord dû s'intégrer, ce qui était déjà difficile à l'époque, puis ils ont travaillé dur les années qui ont suivi pour faire vivre leur famille.

— Tu ne m'as jamais dit que tu avais un frère.

— J'avais une grande sœur et un petit frère, nés ici, en Allemagne, je suis le cadet. Je n'ai pas eu de nouvelles d'eux depuis que je me suis retrouvé enfermé dans ce maudit bunker. Mais je ne me fais pas d'illusions.

— Et tu continues toujours à croire en Dieu après tout ça ?

— J'avoue ne pas être un fervent pratiquant. Je prie très rarement, et il m'est arrivé de boire de l'alcool. Quant au porc, je serais pas regardant si on m'en servait aujourd'hui. Mais oui, je continue d'y croire, on a tous besoin de se raccrocher à quelque chose. L'Islam est le dernier lien qui me reste avec mon passé, ça me rappelle mon enfance heureuse, ma famille et mes traditions, ça m'apaise.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant