Chapitre 24.2 - Clairvoyance est requise pour éviter la chute

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— ... Billy, un ancien soldat américain qui nous accompagne dans toutes nos missions extérieures.

En prononçant mon prénom, Hinrich me sort de ma torpeur.

— Le major s'excuse de ne pas être venu en personne, mais il vous remercie d'avoir accepté cette entrevue.

— Hinrich, c'est bien ça ?

Le diplomate confirme.

— Ne tournons pas autour du pot. Nous ne sommes pas réunis pour négocier un contrat commercial, mais pour une trêve, parce qu'il y a eu des morts et qu'il y en aura encore dès demain si nous nous quittons sans avoir trouvé un terrain d'entente.

Tentative d'intimidation. Mais Hinrich laisse couler et commence à exposer les faits qui ont mené les deux communautés à s'entretuer. Il parle des origines du Talium, dans les grandes lignes, des débuts difficiles de New Town, dans un bref résumé, et des premières attaques du Gang, dans le détail, de façon exhaustive. C'est long, maladroit même. Agacée, Annah lui coupe la parole et commence elle aussi à exposer les faits, mais de son point de vue. La misère, la famine, les violences, les maladies, les radiations... l'éventail complet des fléaux de notre temps. Comme n'importe où ailleurs, les habitants de Peterstal se sont retrouvés livrés à eux-mêmes. Les premières semaines de flottement ont ensuite fait place aux tensions, puis aux conflits internes. Alors que le village était au bord de l'implosion, des groupes de pillards venus de l'ouest en profitèrent pour mener des raids. C'est à partir de là que leur histoire diffère de la norme pour suivre son propre chemin. Au lieu de définitivement sombrer dans le chaos, les habitants réussirent à trouver la force de s'unir et repousser les attaques. Cette première épreuve douloureuse leur démontra qu'ensemble ils pouvaient espérer survivre, et ils s'organisèrent autour de cette chère Annah Fraudren. Sa version de l'histoire ne dit pas comment elle s'est retrouvée à la tête de sa communauté, seulement qu'elle a accepté d'assumer cette lourde responsabilité, selon ses propres mots.

— Ça vous ennuie ce que je raconte, Billy ?

Aïe. Mon scepticisme affiché risque de faire capoter toutes les négociations.

— Non, pas du tout, continuez.

— J'en ai rien à foutre de ce que vous pouvez penser.

— Billy, tout comme nous, n'est pas ici pour vous juger, mais pour trouver un terrain d'entente. Nous cherchons juste à comprendre.

— Comprendre ? Comment pouvez-vous prétendre vouloir comprendre alors que vous érigez des murs pour vous isoler du reste du monde ? Et de quoi parle-t-on vraiment ? Que voulez-vous comprendre au juste ? Comment nous mourons à petit feu en vous regardant vous gaver de Talium ?

— Justement, nous sommes disposés à partager avec vous.

— Et les autres ?

— Vous voulez dire en dehors de Peterstal ? Il est clair que vous ne connaissez pas les difficultés liées à la production du Talium.

— Non, en effet, mais connaissez-vous les nôtres, de difficultés ? Avez-vous une idée des problèmes des communautés qui vous entourent ? Connaissez-vous les histoires tragiques de désespérés qui viennent frapper à vos portes ?

— N'exagérez pas, nous avons accueilli plus de mille-deux-cents personnes en seulement dix mois.

— Et combien vous avoir laissés mourir ?

L'homme qui était resté calme et silencieux jusqu'à présent, Berrak il me semble, se décide à prendre la parole, poussé par la colère.

— N'essayez pas de faire croire que vous être héros. Vous faites sélection des gens pour entrer chez vous, les autres restent dehors comme juste animaux malades pour vous.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant