La communauté de Peterstal ressemble à toutes les autres, en-dehors de New Town, évidemment. Le village est coincé dans une petite vallée, entre deux collines recouvertes de forêts brunes et jaunâtres. L'unique route qui y mène se dédouble à l'entrée pour donner naissance à deux rues parallèles le long desquelles se sont installées de grandes maisons à l'architecture typiquement allemande. Il n'y a pas de barricades à proprement parler, seulement quelques épaves de véhicules pour entraver l'accès à certaines rues. La guerre n'est pas passée par ici. Les habitants, nombreux, ont la chance de vivre dans des logements en bon état, avec des fenêtres intactes, des portes qui ferment et des toits étanches. La rue que nous traversons, la principale, baigne dans une ambiance dynamique qui mélange conversations, circulation, manutentions et bricolage. Parfois, la pétarade régulière et bruyante d'un groupe électrogène vient se mêler aux autres sonorités de la vie locale. Certains s'improvisent commerçants, proposant ce qu'ils ont pu trouver dans la nature environnante.
À première vue, on pourrait se dire qu'ils ne sont pas malheureux, qu'ils n'ont aucune raison de nous envier, mais ce serait passer à côté de l'essentiel, leur santé. Quand on marche dans New Town, on repère tout de suite ceux encore empoisonnés par les radiations tellement leur apparence maladive tranche avec le reste de la population. C'est d'ailleurs comme ça qu'on identifie les derniers arrivants. Depuis que nous avons pénétré dans cette communauté, je ne vois que ça, des gens aux teints parfois pâles, parfois jaunes, des gens affaiblis, et dont les regards injectés de sang sont scotchés sur nous. Leur temps est compté, à plus ou moins long terme. Et pourtant, après vérification, Joost m'a assuré qu'ici les niveaux de radioactivité sont les mêmes que chez nous. Je côtoie le Talium depuis trop longtemps déjà. Cette impression de mouroir géant m'avait déjà marqué à Kell am See, mais à l'époque c'était pour moi la norme.
À l'abri derrière nos remparts, nous les appelons « le Gang », parce que ceux qui se réunissent en groupe pour nous attaquer dans l'intention de nous dérober le peu que nous avons ne peuvent être vus que de la sorte, comme un vulgaire gang sans foi ni loi et aux intentions forcément mauvaises. Aujourd'hui, en marchant parmi eux, en voyant ces gens malades qui luttent chaque jour pour leur survie dans des conditions pires que les nôtres, je commence à comprendre leur combat.
Nous arrivons devant un grand bâtiment. Il s'agit de l'ancienne mairie du village. Amusant. Même après avoir fait table rase du passé, les anciens bâtiments de pouvoir et de prestige, pour peu qu'ils aient survécu au carnage, gardent toujours cette même aura.
Trois hommes en arme – de vieux fusils d'assaut rafistolés – assis sur des chaises gardent l'entrée. En nous voyant arriver, ils stoppent net leur conversation pour nous dévisager.
— Hir varteun.
Hinrich s'immobilisant, je comprends que nous devons attendre ici, juste devant l'entrée. Seulement, avec tous ces regards inquisiteurs braqués sur nous, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
Kirsten ne nous prête aucune attention et rentre dans le bâtiment. Pas terrible comme accueil, surtout pour une rencontre diplomatique.
Les minutes s'écoulent lentement lorsque l'on attend pour une durée indéterminée, qui plus est au milieu de vos ennemis qui surveillent vos moindre faits et gestes dans l'espoir de trouver un prétexte pour vous descendre.
Hinrich me tourne le dos. Alors j'essaie de capter le regard de Joost, ne serait-ce que pour me rassurer, mais celui-ci est trop occupé à admirer l'architecture locale ainsi que son...
— Je vèrdeu dich' teuteun !
Volte-face !
Sortie de nulle part, couteau de cuisine en main, une vieille femme au regard de folle court comme une cinglée droit sur Joost. Autour de moi, la sidération, personne ne bouge. Je bascule mon fusil, mais pas le temps d'ajuster le tir. Je me précipite et lui donne un violent coup de crosse en plein visage. Stoppée net, à seulement deux foulées du Hollandais, la furie s'écroule au sol. Je pointe mon arme sur elle, bascule le cran de sureté...
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Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1
Bilim KurguAlors que la Troisième Guerre mondiale fait rage, le monde bascule dans l'escalade nucléaire le 21 septembre 2037, « The Enola Day ». Le conflit dure quelques mois, suffisamment longtemps pour défigurer la planète. En Europe, un immense territoire s...