Chapitre 12.3 - Grandir à travers eux et se forger des liens

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Tanya est sur le point de lui poser une question, certainement pas celle que j'ai sur le bout de la langue depuis tout à l'heure. Vite...

— Pour qui travaillez-vous ? Qui vous envoie ?

Tanya me regarde, vexée, elle a compris les raisons de ma précipitation à poser cette question.

Joost sourit tout en commençant à ranger ses affaires.

— Si je vous le dis vous ne me lâcherez plus.

Silence. Rangement lent et minutieux. Nous attendons, suspendus à ses lèvres, et il aime ça.

— Tel que vous me voyez, je viens de New Town.

Quoi ? C'est ça l'info exceptionnelle ?

— D'où ? demande Tanya, cette fois en me devançant.

— New Town. Vous ne connaissez pas ?

Croisement de regards déconcertés entre Tanya et moi.

— Un quartier au sud/est de Mannheim. Attendez, vous n'en avez jamais entendu parler ? Mais d'où vous sortez ?

— De Kell am See, s'empresse de répondre Tanya.

— Comment vous dites ?

Tanya répète, en insistant cette fois sur les syllabes.

Moue négative de la part de Joost.

— Non, désolé, je ne connais pas. C'est loin d'ici ?

Elle lui explique approximativement.

— D'accord, je comprends. Je ne suis pas encore allé aussi loin. Effectivement. Il y avait peu de chance que vous en ayez entendu parler. Vous êtes combien à Kell am See ?

— Quatre-cents, environ.

Elle a sorti ce nombre comme si c'était toujours le cas.

— Ce qui vous place dans la catégorie blanche : communauté mineure.

Classification clairement vexante pour Tanya.

— Ne le prenez pas mal, ma chère, ce classement prend uniquement en compte la taille de la population. Même mineure, vous pouvez très bien vous en sortir, et parfois même mieux qu'une communauté majeure de quelques milliers d'habitants, croyez-moi.

Je préfère ne rien dire.

— Mais votre chauvinisme fait plaisir à voir. Ce sont des gens impliqués comme vous qui permettront à la civilisation de renaître de ses cendres. Vous devez être des personnes centrales chez vous.

Joost ne perçoit pas le malaise s'installer. Je ferais mieux de reprendre la main.

— Vous êtes combien à New Town ? C'est l'armée qui dirige ?

— En effet, la communauté est administrée par un petit groupe de militaires. Ils étaient initialement une trentaine, tous chargés de la défense d'un bunker antinucléaire civil et sous les ordres du major Klein, toujours en activité. Il n'a plus aucun contact avec sa hiérarchie, et ce depuis plus d'un an maintenant. Donc oui, c'est en quelque sorte l'armée qui dirige. Nous sommes environ neuf-cent-cinquante à New Town, mais les chiffres évoluent très vite. Mes données doivent être erronées à l'heure où je vous parle.

— Catégorie blanche pour vous également, ironise Tanya.

— Non, verte. Mais je vous l'accorde, nous n'avons qu'une catégorie d'écart.

Alors que Tanya lâche un sourire, bonne joueuse, je reste sceptique. Ils ne sont pas beaucoup plus nombreux qu'à Kell am See, alors comment une petite communauté peut-elle avoir autant de moyens ? Même dirigée par des militaires, elle n'en reste pas moins coupée du monde, comme partout. Si je prends les douaniers de Schweist... weich... en comparaison, pourtant une communauté de deux-mille habitants, leur équipement semblait dater d'un autre âge. Et pourquoi les croise-t-on si loin de chez eux, à plus d'une semaine de marche, alors que nous n'avons toujours pas croisé un seul groupe venant de Birkenfeld, trois fois plus peuplée et toute proche d'ici en comparaison ? Je veux bien croire qu'avec de l'ordre et de l'organisation on puisse arriver à quelque chose, mais tout de même, aussi loin ? Ils doivent envoyer un sacré paquet de prospecteurs comme lui pour que nous tombions dessus par hasard, ça expliquerait pourquoi il était si surpris que nous n'ayons jamais entendu parler de New Town. Admettons que je voie juste, il ne peut pas y avoir que ça. Il parlait d'accords commerciaux. Qu'est-ce que cette communauté peut bien marchander ?

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant