Hinrich et moi tournons la tête dans tous les sens.
— Ah, bravo la discrétion.
— Mais qu'est-ce que vous racontez ? Je ne vois personne.
— Moi non plus.
— Ils sont trois. Le plus proche, à droite, se cache derrière les arbres morts, ceux couchés les uns sur les autres.
Tout en continuant à marcher en regardant droit devant lui, il fait un léger mouvement de tête pour nous montrer discrètement quelque chose devant nous.
— Là-bas, derrière ce camping-car abandonné, il y a deux autres types qui nous attendent. L'un des deux va sûrement le contourner quand nous approcherons pour nous prendre à revers et nous couper toute chance de retraite.
Mais comment fait-il ça ?
— Maintenant que je vous ai mâché le travail, une idée de comment nous en sortir ?
— Vous êtes sûr de vous ?
— Vous ne les voyez pas ?
Il me semble avoir aperçu une silhouette derrière les arbres, mais rien vers le fameux camping-car.
— À vrai dire...
— Okay, j'ai compris. Il faut vraiment tout faire soi-même.
Il s'arrête, fait un quart de tour vers l'homme le plus proche de nous, celui se cachant derrière les arbres morts, puis lève les mains en l'air.
— Nous sommes la délégation gueussantt par le major Klein, de New Town, pour mitt inneun tsou feurhandeull.
Mais qu'est-ce qu'il fout ?!
— Posez votre arme au sol, Billy, mission diplomatique oblige.
— Il n'en est pas question. Et s'il est armé ?
— Dans l'hypothèse qu'il le soit, armé, et hostile, et que vous ayez le temps de l'abattre en premier, je crains que les réflexes ne vous manquent pour éliminer le quatrième homme derrière nous. Homme que je n'avais pas vu il y a encore trente secondes.
Okay, j'abandonne.
Je lève une main en l'air et utilise l'autre pour faire lentement passer l'anse de mon fusil par-dessus la tête. Puis je me baisse, pose mon arme au sol et me relève en mettant mes mains bien en évidence. Hinrich ne discute pas et fait de même.
L'homme qui était embusqué dans la végétation se montre et s'avance vers nous, pistolet au poing, canon dirigé vers le sol. Malgré son treillis trop grand, son manteau foncé trop long, sa capuche et son foulard noué autour du cou dissimulant la moitié de son visage, sa posture et sa silhouette ne laissent aucun doute quant à son sexe. « Il » s'avère être une femme.
Je jette un rapide regard derrière nous.
Bouffée de chaleur !
Le quatrième homme dont me parlait Joost s'approche également de nous, un fusil de chasse entre les mains.
Mon rythme cardiaque s'accélère, j'ai de plus en plus chaud.
Arrivée à notre hauteur, la femme nous dévisage, moi en particulier. J'imagine que mes hématomes et mes points de suture doivent l'interpeller.
Hinrich entame une sorte de négociation sur un ton incroyablement détendu, presque désinvolte. C'est ça la diplomatie pour lui ? La femme baisse son foulard pour lui répondre. Malgré un teint légèrement jaunâtre, des plaques rouges sur la peau et quelques boutons, dont un particulièrement moche sous son œil, elle dégage un certain charme. Pendant qu'ils discutent, je surveille les alentours. Au loin, deux silhouettes sortent de derrière le camping-car et s'avancent lentement vers nous d'un pas nonchalant, presque décontracté. Nous voilà encerclés et désarmés, volontairement. J'espère que Joost et Hinrich savent ce qu'ils font. Dans ces conditions, il m'est impossible d'assurer notre protection.
L'échange avec la femme se termine sèchement. Elle lance de grands signes à ses deux camarades au loin qui acquiescent et font demi-tour.
— Vous pouvez votre arme aufnehmen.
En roulant des yeux, elle désigne mon AK12 posé au sol. Je comprends qu'elle m'autorise à le ramasser. Je m'exécute sans tarder. Puis elle fait un mouvement de tête nous indiquant de les suivre, tout en prenant bien soin de mettre son pistolet en évidence, comme un avertissement.
— On y va.
Tendue, la voix.
Joost et Hinrich baissent enfin leurs mains et se mettent en marche. Je leur emboîte le pas et fais quelques grandes foulées énergiques pour les rattraper et arriver au niveau du Hollandais.
— On va où ?
Il me regarde, étonné par ma question.
— Comment ça où ? À Peterstal voyons.
— Mais comment saviez-vous que c'était eux et non pas des pillards ?
— Nous sommes sur leur territoire, je parle du Gang, et comme vous le savez ce ne sont pas des tendres. J'ai donc beaucoup de mal à imaginer qu'ils puissent tolérer des pillards sur leurs terres. Et comme nous sommes attendus, il y avait de grandes chances qu'il s'agisse de notre comité d'accueil.
— Vous auriez quand même pu nous informer.
— Vous informer de quoi ?
En jetant un œil derrière moi, je me rends compte que notre escorte écoute attentivement notre conversation.
Je baisse le volume sonore.
— Vous auriez pu nous faire part de vos théories et observations, ça aurait été plus prudent. Nous sommes une équipe je vous rappelle.
— Je ne voyais pas les choses sous cet angle.
— Essayez de prendre ça en compte à l'avenir.
J'entends derrière moi s'accélérer les pas de la femme. Elle arrive à ma hauteur et ralentit pour rester à mon niveau.
— Qu'avez-vous guésaggt, et en anglais ?
Devançant ma réponse qui tarde à venir, Hinrich, en bon diplomate, désamorce la situation en donnant des explications. Je ne comprends pas tout, mais la femme semble très surprise. Tout en continuant à marcher à mes côtés, elle réfléchit, avant de se lancer.
— Qu'est-ce que un américain fait ici ?
Le ton est suspicieux, mais j'ai au moins le droit à un anglais pas trop mauvais, quelle veine.
— La guerre.
— La guerre est finie. Tu es resté pour amour de l'Allemagne ?
— Je suis resté bloqué chez vous, voilà tout. Mais ici ou ailleurs, c'est la même chose, pas vrai ?
Pas de réponse.
Hinrich me lance un regard furtif. Il cherche à me rappeler la nature de notre mission : diplomatique.
— Moi c'est Billy.
Ma main reste un instant en l'air sans qu'elle ne daigne l'attraper.
— Je sais déjà ton nom, ton ami vous a présentés.
Je n'avais pas fait attention à ce détail dans tout leur charabia germanique.
Joost regarde à nouveau si son GPS fonctionne. Vu son soulagement, je suppose que oui. Il est interpellé par la grosse voix de notre deuxième escorte qui semble s'intéresser à son appareil. Le Hollandais s'empresse de lui donner quelques explications, joyeusement, comme si ces types n'étaient déjà plus nos ennemis.
— kirsten.
Aucune idée de ce qu'elle vient de me dire.
— Mon nom. Je m'appelle Kirsten.
Ah ! Mais quel con.
Comprenant ma confusion, elle esquisse un léger sourire, involontaire, qu'elle s'empresse de réfréner.
— Et lui c'est Greg.
Le grand type au fusil de chasse nous salue d'unhochement de tête. Premier contact cordial. Finalement, la route ne devrait pasêtre si ennuyeuse.
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Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1
Science FictionAlors que la Troisième Guerre mondiale fait rage, le monde bascule dans l'escalade nucléaire le 21 septembre 2037, « The Enola Day ». Le conflit dure quelques mois, suffisamment longtemps pour défigurer la planète. En Europe, un immense territoire s...