Nous arrivons enfin. Trois heures que nous marchons vers le sud pour rattraper ce foutu croisement, je commençais à me demander si j'avais pris la bonne direction. Les panneaux routiers sont toujours là et encore lisibles : « Oberhambach ». Me voilà rassuré.
— C'est la bonne direction.
Tanya, quelques pas derrière moi, accuse elle aussi les derniers jours de marche.
— Tu es sûr de toi ?
— Notre itinéraire initial passait plus au nord. Nous avons beaucoup dévié en marchant à travers ces bois. On a perdu pas mal de temps mais nous sommes enfin sur la bonne voie.
Elle fait une moue d'approbation, pas vraiment convaincue, tout en continuant à marcher pour rattraper son retard sur moi.
Elle semble aller mieux. Notre petit atelier « entretien d'arme à feu pour les nuls » d'hier soir lui a redonné un peu confiance en elle, et en moi je l'espère. Après lui avoir montré deux fois, elle a réussi à démonter et remonter toute seule le HK G36 au bout de la troisième tentative. Elle apprend vite. La deuxième bonne nouvelle c'est que le G36 fonctionne à nouveau. J'ai tiré deux balles tout à l'heure avant de partir, fallait bien vérifier, même si ça fait toujours mal de gaspiller des munitions.
La météo n'est pas menaçante, mais ça peut vite changer, en mieux comme en pire, comme nous l'avons douloureusement expérimenté hier.
— Pourquoi marche-t-on toujours à droite sur les routes ?
La subite question de Tanya m'extirpe de mes pensées.
— Comment ça ? Tu préférerais que nous marchions à gauche, comme chez toi ?
— Mais non, je m'en fous. C'est juste que je me posais la question. On sait pertinemment qu'il n'y a plus de circulation, et pourtant on continue de respecter les règles du code de la route. C'est comme si inconsciemment nous nous efforcions de sauvegarder tous ces réflexes qui nous raccrochent au passé.
Pensée philosophique du jour.
— C'est comme les heures de repas. Tu as remarqué ?
Non, et je m'en fiche, ce qui ne semble pas la déranger.
— Qu'est ce qui nous empêche de manger plus tôt ou plus tard ? On n'a pas de travail où arriver en retard, pas de rendez-vous à rater, pas de courses à faire, pas de film ou d'émission à regarder à la télé.
Je fais mine de l'écouter. Je donne des réponses, aussi courtes qu'évasives, suffisamment pour qu'elle ne s'offusque pas et continue sa dissertation sur les liens cachés entre nos vies d'aujourd'hui et celles d'hier.
Ce qui me préoccupe, là maintenant, c'est mon mal de ventre qui a repris de plus belle. Après mon tour de garde, j'ai passé la nuit à me tordre dans mon sac de couchage pour trouver la position la moins désagréable, mais rien à faire. J'ai même dû me relever plusieurs fois, pensant que j'allais enfin pouvoir me vider de mon mal, mais non, il est resté, le mal. Même complètement purgés, mes intestins ont continué à danser sur du verre pilé. Je me suis habitué aux migraines chroniques et aux nausées après chaque repas, mais le ventre reste le plus douloureux.
— Et pourquoi garde-t-on nos téléphones ? C'est quand même pathétique.
Elle parle encore elle ?
— Il n'y a plus de réseau.
— Le mien nous a bien servi à Kell am See.
— Vu le résultat, je ne dirais pas ça.
— Ils nous permettent de lire nos dernières photos, vidéos et musiques, et comme tu le disais tout à l'heure nous restons attachés à notre passé.
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Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1
Science FictionAlors que la Troisième Guerre mondiale fait rage, le monde bascule dans l'escalade nucléaire le 21 septembre 2037, « The Enola Day ». Le conflit dure quelques mois, suffisamment longtemps pour défigurer la planète. En Europe, un immense territoire s...