Partie 65

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Point de vue de Damien

         Le samedi après-midi est le moment de la semaine que je préfère. Enfin, celui que je déteste le moins plutôt. Cest le seul laps de temps durant lequel la salle commune est calme. Et pour cause, c'est le moment des visites. Comme je n'en reçois pas, la question est vite réglée pour moi. Je me contente alors de m'installer tranquillement pour dessiner à l'abri des voix et des regards.

          Je ne dirais pas que je me sens bien dans ces moments-là. Ni mal d'ailleurs. Et c'est bien ça le problème. Depuis que je suis sorti d'isolement après l'annonce du décès de mon frère, je suis incapable de ressentir quoi que ce soit. La vie n'est qu'une succession de moments aussi fades et gris les uns que les autres. Sans soutien extérieur ni médical, j'ai bien rapidement cessé de lutter pour m'enfoncer toujours plus dans cette apathie libératrice qui m'empêche de ressasser mon malheur. Je ne sais pas ce que je deviendrai lorsque je sortirai d'ici mais cela m'est égal. Plus rien n'a d'importance.

          Je n'ai toujours pas eu de nouvelles de mon autre frère Victor. Le seul visage familier dans mon entourage est celui de David. Après avoir reçu quelques appels de Jérémy j'ai même demandé à ce que l'on bloque son numéro. Je ne veux pas prendre le risque d'entendre de nouveau parler de Maëva, cela me rendrait fou. Non, elle appartient au passé désormais, je dois l'accepter. La seule chose que je m'autorise est de prier pour que notre enfant aille bien.

           Je jette un coup d'oeil à l'horloge murale. 14h03. Parfait, j'ai deux heures devant moi. Je m'installe à une table excentrée et prend le siège collé contre le mur. Il s'agit d'une habitude pour échapper aux jugements inquisiteurs, mais en réalité je ne risque pas d'essuyer beaucoup de critiques à l'instant présent. J'attrape un crayon à papier et me perds dans mon croquis.

           Je suis tiré de ma concentration par une ombre qui vient s'étirer sur ma feuille. Je relève la tête et croise le regard de David.

-Tu as de la visite, me prévient-il doucement.

            Un rictus ironique vient déformer mon visage. Que vient-on m'annoncer cette fois-ci ? La mort de mon autre frère ?

-Tu devrais venir, poursuit mon geôlier en percevant ma méfiance, tu ne le regretteras pas.

            Intrigué par ses paroles, je repousse ma chaise et me met à le suivre comme un zombie. Les souvenirs s'emparent de moi tandis que nous avançons vers la salle des visites. La dernière fois que j'ai vu Maëva, la tristesse dans ses yeux, ma peau contre la sienne, l'euphorie, la colère...Je les repousse d'un mouvement brusque de la tête. Lorsque je rouvre les yeux, nous sommes arrivés à destination.

           J'ouvre la porte et me trouve nez-à-nez avec un visage connu et nouveau à la fois. Ses cheveux ont bien poussé. J'ai l'impression qu'il a grandi, mais peut-être est-ce parce qu'il a pris des épaules. Même ses joues pouponnes ont disparu pour laisser la place à une barbe naissante. Décidément, voilà bien la dernière personne que je m'attendais à voir...Je m'installe face à lui.

-Que fais-tu ici ?

          Jérémy plonge son regard dans le mien. Là encore je constate qu'il a pris en maturité. J'y lis de la détermination, de la peine et une certaine urgence. Même si je pressens ce qu'il va m'annoncer, je ne peux empêcher mon cur de manquer un battement quand il prend la parole.

-J'ai fait ce que vous m'aviez demandé. J'ai surveillé Maëva. Je l'ai même suivie à New York pour continuer à veiller sur elle. J'ai essayé de vous contacter mais vous ne répondiez pas. C'est important alors...je suis venu.

           Je l'entends à peine. Le sang cogne dans mes oreilles. Il a veillé sur Maëva, il l'a vue, il sait comment elle va, comment ma famille va. Mais je dois garder la tête froide. Oui...garder la tête froide. Ne pas me laisser emporter par les sentiments. Prendre la bonne décision. Les paroles qui sortent de ma bouche me font l'effet d'autant de coups de poignards que je m'infligerais à moi-même.

-Tu dois t'en aller, je lâche d'une voix blanche. Je ne veux plus entendre parler de Maëva. Arrête de la surveiller et vis ta vie, tu en as assez fait. Je te libère de ta promesse.

           Je me lève maladroitement et titube vers la sortie.

-Non, écoutez-moi ! s'écrie Jérémy en envoyant valser son siège. Si ce nest pas pour Maëva, au moins pour votre enfant !

          Je me fige.

-La grossesse de Maëva a été...compliquée, et encore c'est un euphémisme, continue-t-il. Elle est courageuse vous savez. Elle s'est battue contre tout le monde, les médecins, son frère pour garder cet enfant alors qu'il est en train de la tuer. Elle doit être opérée demain. Elle...elle a besoin d'aide

            Je me retourne et constate avec stupeur que Jérémy a les larmes aux yeux.

-Elle a besoin d'aide, répète-t-il d'une voix chevrotante. Je suis pas docteur, mais je pense que c'est ça qui la sauvera. Parce qu'en ce moment elle est seule et qu'elle n'a rien d'autre à quoi se raccrocher que cet enfant. Votre enfant. S'il lui arrive malheur elle en mourra, je le sais. Et vous en serez responsable.

-Tais-toi, je chuchote.

-Non ! Non, je ne me tairai pas, 'est trop facile de fuir vos responsabilités comme ça !

            Je reste tétanisé face à ce gamin qui ose me dicter ma conduite avec une transparence absolue. Il comprend qu'il sest emporté et se râcle la gorge pour retrouver son calme et son assurance. Une fois redevenu maître de ses émotions, cest bel et bien un homme accompli qui me fait face.

-Faites ce que vous voulez, reprend-il dune voix grave. Moi j'y retourne. Maëva ne me connait pas, c'est vrai. Je ne pourrai certainement pas faire grand-chose, mais je veux lui assurer mon soutien. Le soutien que vous ne lui avez pas donné jusquà présent. Elle le mérite.

          Puis il se lève et s'en va.

          Je reste planté comme un idiot au seuil de la porte. Je n'arrive pas à réfléchir correctement. Je reconnecte avec mes émotions pour la première fois depuis des mois et de la manière la plus horrible qui soit. Toutes mes certitudes sont en train de vaciller.

          Que dois-je faire ? Je ne veux plus causer de mal. Je veux prendre la bonne décision. Je dois prendre le temps de peser le pour et le contre mais je n'ai pas de temps !

-Damien ?

          Je relève la tête vers David. Les larmes se mettent à couler le long de mes joues sans que je sois capable de les retenir. Et merde.

-Fais-moi sortir d'ici, je t'en supplie.

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Encore désolée pour le retard :/

Bonne lecture !

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant