Partie 26

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Point de vue de Maëva

           Je change radicalement de plan. Maintenant que j'ai retrouvé des forces, la venue de ce jeune homme ne me semble plus un fardeau mais une opportunité unique pour sortir d'ici. Tout ce que j'ai à faire est le convaincre de m'aider. Ma seule inquiétude est de savoir s'il reviendra étant donné ma crise de tout à l'heure... Le cas contraire constituerait un retour à la case départ. Mes inquiétudes sont cependant vaines et c'est avec soulagement que je le vois entrer dans l'appartement quelques heures plus tard. Il pose le plateau et fait demi-tour en me lançant d'une voix neutre :

-Je reviens dans une heure.

Je me précipite vers lui avant qu'il n'ait atteint la porte et le tire par le bras pour le forcer à se retourner.

-Attendez !

Il s'arrête et regarde son bras que je tiens avant de lever les yeux vers moi d'un air interrogatif. Gênée, je le lâche et baisse la tête alors que le rouge me monte aux joues.

-Je...je voulais juste m'excuser pour tout à l'heure. Je ne sais pas ce qui m'a pris, je suis désolée. C'est cet endroit...l'enfermement, la peur, la fatigue...Je n'aurais pas dû...vous n'y étiez pour rien...J'ai pété un câble, je vous demande pardon, je bredouille.

Lorsque je lève timidement les yeux, je vois qu'il s'est détendu, son regard s'est adouci et je sais qu'il ne m'en veut pas.

-Ne vous en faites pas, je vous comprends. Je suis désolé moi aussi.

-Pour ? je demande, sincèrement étonnée de cette réponse.

-Pour tout.

           Il me fait un petit sourire, avant de tourner les talons. Non, non, non, je ne peux pas le laisser filer maintenant !

-Vous...vous ne m'avez pas dit votre prénom.

           Il se retourne, et me répond d'un ton taquin, une lueur d'amusement dans les yeux.

-Vous non plus.

Je sens un sourire poindre sur mes lèvres. C'est le genre de personne avec laquelle le courant passe immédiatement, ce qui est un avantage considérable dans mon cas.

-Je vous le dirai si vous restez avec moi.

En voyant son sourire rétrécir, je poursuis rapidement :

-S'il-vous-plait, je voudrais juste avoir quelqu'un avec qui parler, je me sens tellement seule...

          Il hésite quelques instants puis pousse un petit soupir et répond :

-Seulement pour vérifier que vous ne faites pas n'importe quoi.

Je lui fais un grand sourire. Nous nous rendons dans le salon. Il me laisse engloutir mon déjeuner sans dire un mot. Je l'observe du coin de l'œil en mangeant. Effectivement il est très beau, mais c'est une beauté triste. Même lorsqu'il est neutre, il y a un voile de tristesse et de mélancolie sur son visage. A mon avis, il a traversé des épreuves douloureuses, et je suis prête à parier qu'il se sent aussi seul que moi.

-Alors, ce prénom ? me demande-t-il lorsque j'ai fini.

-Maëva, je lui réponds en souriant. Et vous ?

-Alex.

-Quel âge avez-vous ?

-19 ans.

-Oh...Je peux vous tutoyer ?

Il rigole.

-Si tu veux.

-Pourquoi tu ris ? je demande en fronçant les sourcils exagérément et en prenant un air faussement vexé. Tu te moques de moi ?

          Il redouble d'hilarité, ce qui me fait rire à mon tour. Il finit par retrouver son sérieux et me répond :

-Non, je ne moque pas de toi. Ça me fait juste du bien à moi aussi de parler à quelqu'un...

Nous discutons de tout et de rien pendant un peu plus d'une heure. Je lui raconte ma vie, mes passions, lui parle de Lucas... J'avais raison, le courant passe bien, très bien même entre nous. J'ai toujours réussi à me faire apprécier des garçons plus âgés, et Alex n'échappe pas à la règle. Avec lui je me sens bien, je ris beaucoup et je m'échappe de cet endroit pendant quelques instants. Je ne me suis jamais sentie aussi joyeuse depuis longtemps. Par une sorte de commun accord invisible, nous évitons d'évoquer tous sujets sensibles comme ce qui m'est arrivé ou encore la raison de sa présence ici.

Nous sommes interrompus par l'arrivée de Chloé qui vient nettoyer le bazar que j'ai mis ce matin. Elle nous regarde d'un air soupçonneux, et Alex s'éclipse discrètement en me faisant un clin d'œil. Un sourire toujours flottant aux lèvres, je m'accroupis à côté de Chloé et l'aide du mieux que je peux. Elle semble distante, presqu'énervée, mais rien en ce moment ne peut briser ma bonne humeur. Rien sauf ça.

-Une lettre de Monsieur, me dit-elle d'un ton sec en me tendant un morceau de papier.

                                         ***

Mon sourire disparait aussitôt. Je l'attrape d'une main tremblante et vais dans ma chambre. Je meurs d'envie de la déchirer sans la lire, mais l'appréhension de sa réaction et une certaine curiosité m'en empêchent. Je déplie le papier.

Mon ange,
Je pense énormément à toi. J'ai hâte (tout comme toi j'en suis sûr) de te retrouver. Crois-moi, je fais mon maximum pour accélérer ce voyage afin de revenir et rattraper le temps perdu avec toi. Tu n'as pas idée de tout ce que je rêve de te faire...J'espère que tu n'as pas profité de mon absence pour faire n'importe quoi, autrement tu me la paieras chèrement. Tu es à moi, ne l'oublie pas.
Porte-toi bien.

J'ai envie de vomir. Je le vois en train de rédiger son message, un sourire sadique aux lèvres en anticipant la réaction que j'aurais en la lisant. Il a parfaitement réussi son coup, je suis terrifiée. La boule d'angoisse qui m'avait quittée retrouve sa place dans mon estomac. Je me roule en boule sur mon lit et essaye en vain de me calmer. J'alterne pendant plusieurs heures les phases de fébrilité extrême et d'appréhension raisonnée.

Aussi, quand Alex entre dans ma chambre et vient s'accroupir à côté du lit, sa tête brune m'apparait comme un phare au milieu de la tempête. J'essaye d'ouvrir la bouche mais un élan de tristesse s'abat sur moi et je suis incapable d'articuler un mot. Alex essuie doucement les larmes qui dévalent mes joues.

-Détends-toi...murmure-t-il en me caressant les cheveux. Ca va aller, je suis là...

           Lorsque je tourne la tête pour voir le dîner qui m'attend, je sens mon estomac se soulever et je redouble de pleurs. Il comprend immédiatement et s'empresse de me rassurer :

-Ne t'inquiète pas pour ça, tu n'es pas obligée d'y toucher, je m'occupe de tout. Tu veux que je t'apporte un somnifère ?

Je hoche doucement la tête. Il s'en va en emmenant la lettre loin de ma vue et revient quelques minutes plus tard avec un verre d'eau dans lequel il a dilué le médicament. Il m'aide à me relever pour que je puisse boire, puis il me couche correctement et rabats la couette sur mon corps. Il m'embrasse délicatement sur le front et à mon grand malheur je le vois se relever pour s'en aller.

-Non...s'il-te-plait ne pars pas...je parviens à murmurer.

Alors il vient s'assoir sur le bord du lit et caresse mes cheveux d'un geste lent et régulier, jusqu'à ce que je m'endorme...

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant