Partie 64

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Point de vue de Maëva

-Comment vous sentez-vous aujourdhui ? me demande d'une voix douce la psychologue.

-Fatiguée, je réponds faiblement en me forçant à sourire. Merci d'être venue.

Même si j'ai passé la majeure partie de mon temps à l'hôpital ces derniers mois, cest moi qui d'habitude me déplace pour me rendre chez ma thérapeute. Cette fois-ci toutefois cela n'a pas été possible.

Comme me l'avait prédit le médecin, j'ai été victime de nombreux incidents plus ou moins graves au cours de ma grossesse : évanouissements soudains, paralysies momentanées, douleurs internes très fortes et j'en passe...C'est d'ailleurs ce qui s'est passé ce matin alors que j'étais chez Lucas. La souffrance a été si vive que j'ai failli perdre connaissance sur-le-coup. Je suis tombée à la renverse et ai à peine eu le temps de protéger mon ventre devenu proéminant. Mon frère a immédiatement appelé les urgences et j'ai été rapatriée à l'hôpital en catastrophe pour subir des examens afin de vérifier que le bébé allait bien.

Incroyable mais vrai, je m'entends désormais bien avec le personnel soignant. A force de me côtoyer presque quotidiennement, les infirmières se sont prises d'affection pour moi et même l'attitude du docteur à mon égard a changé. Son jugement face à ma décision de garder l'enfant s'est progressivement mué en respect en voyant ma détermination et j'ai limpression qu'il a fait de ma santé sa priorité personnelle. Il est plus proche de moi et plus transparent qu'avec ses autres patients, même si ces derniers temps je le sens préoccupé. L'amitié que j'ai nouée avec Ayana s'est aussi révélé être un soutien sans failles dans cette période compliquée.

-Mais encore ? mencourage la psychologue.

Cette rencontre également a été un vrai miracle. J'avais promis à Lucas de recevoir de l'aide d'un professionnel, mais me tourner vers un psychiatre m'effrayait profondément si bien que je ne cessais de repousser les rendez-vous. Jusqu'au jour où je suis tombée par le plus grand des hasards sur un cabinet alors que je m'étais perdue en rentrant. Dès la première rencontre j'ai su que j'étais tombée sur la personne susceptible de m'aider. Une dame douce, patiente et bienveillante - exactement ce dont j'avais besoin.

-J'ai un peu peur, je finis par confesser.

-De quoi avez-vous peur ?

-Le médecin ne me dit pas tout. J'ai limpression qu'il y a un problème.

-Peut-être qu'il ne vous dit rien pour ne pas vous affoler ?

-C'est vrai, je soupire. C'est juste...pas maintenant. J'y suis presque, il ne peut pas y avoir de problèmes maintenant, je ne tiendrais pas le coup.

Ma thérapeute sourit légèrement.

-Dans combien de temps est prévu l'accouchement ?

-Un mois plus ou moins.

-Et vous ne connaissez toujours pas le sexe de votre enfant ?

-Non, je veux avoir la surprise, je lui réponds en me détendant à mon tour. Mais je pense que c'est un garçon.

Mon sourire s'évanouit cependant tandis que mon esprit se met à divaguer. Ces derniers mois ont été durs. Terriblement durs. J'ai vraiment essayé de tourner la page mais le fantôme de Damien me hante encore. Il est constamment dans ma tête, les cauchemars dans lesquels il me supplie de rentrer presque quotidiens. Je ne sais pas si mon cerveau me joue des tours parce que je suis enceinte mais je rejoue constamment les quelques bons souvenirs que j'ai de lui. Son odeur m'entoure et j'ai même l'impression d'être surveillée. J'essaye de passer outre ces signaux mais je suis consciente que je ne parviendrai jamais à l'oublier totalement. Pire, au fond de moi je sais pertinemment qu'une des raisons pour lesquelles j'attends avec autant d'impatience l'arrivée de mon enfant est qu'il est tout ce qui me reste de Damien.

-Il y a quelque chose que vous ne me dites pas ? m'interroge doucement la thérapeute, mais sa voix sonne davantage comme une affirmation.

Je prends quelques secondes pour répondre.

-J'aurais aimé que Damien soit là, je confesse.

Elle n'ajoute rien pendant un moment, prenant la mesure de ce que je viens de dire. Elle connait tout de mon histoire avec lui et sait mieux que quiconque à quel point ma situation est complexe.

-Est-ce que je suis folle ? je demande en me tournant vers elle pour la regarder dans les yeux.

-Je ne pense pas, me rassure-t-elle. Au contraire, votre réaction me paraît plutôt cohérente.

Je m'apprête à répondre mas me fige en sentant une longue aiguille froide s'enfoncer dans mon ventre. Ou du moins c'est limpression que j'ai tant la douleur est atroce. Je me replie sur moi-même et mon souffle se coupe avant que j'ai pu crier.

-Maëva ?

D'une main tremblante, je soulève les couvertures qui recouvrent mes jambes.

-Maëva ? insiste la psychologue. Oh mon Dieu !

Une tâche rouge se forme sur les draps au niveau de mon entre-jambe.

-Je vais chercher le médecin, surtout ne bougez pas !

Elle quitte la chambre au pas de course. A partir de là, tout se déroule très vite. Mes dents se mettent claquer de plus en plus fort et tout mon corps commence à trembler. Des points noirs dansent devant mes yeux. Ma tête se met à tourner.

J'entends à peine le docteur entrer accompagné d'autres personnes et donner ses directives d'une voix assurée. On me met un masque à oxygène et le monde commence à devenir flou.

Un brancard. Flash. Du mouvement. Flash. Des gens penchés sur moi. Flash. Une aiguille dans mon bras. Flash. Des écrans qui bipent. Flash. Mes jambes qu'on écarte. Flash. Des tissus imbibés de sang. Flash. Le noir.

***

Lorsque je reviens à peu près à moi je suis de nouveau dans ma chambre. Je sens des tuyaux dans mon nez et j'aperçois une perfusion qui vient s'enfoncer dans mon bras. Je dois probablement être sous anti-douleurs mais j'ai terriblement mal, au point de ne pas pouvoir parler. Je dois rassembler toute mon énergie pour me concentrer sur les voix que j'entends dans le couloir.

-...ce que je craignais...falloir opérer.

-...bébé survivra ?

-Probablement pas, mais c'est son état à elle qui m'inquiète.

-Elle ne voudra pas, dit celui que j'identifie comme étant Lucas.

-Et que faudrait-il faire ? s'emporte la première voix. Les laisser mourir tous les deux !?

-Elle ne voudra pas, répète mon frère.

Un silence.

-Si dans deux jours son état ne s'est pas stabilisé il n'y aura plus le choix.

Je ferme les yeux. Pas si près du but, je vous en supplie.

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant