Partie 67

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Point de vue de Maëva

J'entends quelqu'un approcher de mon lit et poser un plateau près de ma tête. Je fais un effort pour rendre ma respiration régulière et paraître endormie. La présence s'éloigne de moi, ouvre la porte et la referme.

Cela fait des heures maintenant que je joue à ce petit jeu. Dès que je suis revenue à moi, je l'ai su. Je l'ai senti. A partir de là peu importaient les explication scientifiques, la fausse compassion ou la pitié. Plus rien n'avait dimportance. Pourquoi ouvrir les yeux ? Je savais ce que j'aurais vu. Une cicatrice rouge le long de mon ventre comme seul souvenir d'une grossesse qui ne s'est pas concrétisée par une naissance. Et puis un vide immense qui risquait d'aspirer mon âme si j'y pensais ou essayais de mettre des mots dessus. Non, croyez-moi, il ne servait à rien de revenir à la vie.

J'ai songé à la mort, bien sûr. Puisque plus rien n'avait dimportance, pourquoi la repousser ? Même la tristesse ne parvenait pas jusqu'à mon cerveau, coincée dans l'étau de glace qui enserrait mon cur. Je me sentais si vide que me tailler les veines n'aurait été quune concrétisation de mon état intérieur. Plus rien ne me rattachait à cette Terre.

Plus rien, tu en es sûre ? A bien y réfléchir, il y avait quelque chose. Une dernière chose...Une énergie brûlante qui faisait battre mon cur la chamade et crépiter des flashs sous mes paupières closes.

De la haine, envers lui. Tu veux vraiment partir avec ça ? J'ai esquissé un rictus dans mon faux sommeil. Je me suis souvenue des films d'horreur qui me terrifiaient petite dans lesquels des fantômes ne parvenaient pas à trouver la paix à cause d'une dernière tâche inaccomplie et tourmentaient sans relâche les vivants. Je me suis jurée que ce ne serait pas mon cas. Alors j'ai réfléchi à une manière d'en finir avec lui, de le faire payer. Et ce nest qu'une fois mon plan prêt que j'ai rouvert les yeux.

***

Cela fait un moment que la nuit est tombée. Je le sais car il n'y a plus de bruit dans les couloirs et que je n'entends plus les infirmières papoter depuis longtemps.

Je me redresse doucement et me débarrasse des draps qui me recouvrent. J'ignore la douleur de l'opération et des courbatures qui circule dans mes membres engourdis et me dirige vers la porte pieds nus, pour ne pas me faire remarquer. Je sors de ma chambre et, après une rapide vérification à gauche et à droite, je file vers les escaliers de service. Je descends deux étages, en ressors, tourne deux fois à gauche, passe une autre porte et me retrouve enfin dans les cuisines. Je fouille rapidement les tiroirs jusquà trouver un couteau correspondant à mes attentes. Je passe la lame sur mon pouce. La peau s'ouvre comme un fruit mûr. Satisfaite, je cache la lame dans la manche de ma blouse et remonte jusqu'à mon couloir. J'arrive devant ma porte, la passe en vérifiant bien que je ne suis pas suivie et me détends en la refermant.

-Je savais que tu étais réveillée, souffle une voix derrière moi.

Je me retourne en moins de temps quil n'en faut pour le dire et me retrouve face à Ayana.

-Relax, dit-elle doucement en levant les mains en signe de paix, ce n'est que moi.

Mes épaules tendues par la surprise s'affaissent et je dessers mes doigts qui s'étaient crispés automatiquement sur la lame.

-Comment te s...

-Ca tombe bien que tu sois là, je la coupe sans ménagement. J'ai un service à te demander.

Sa bouche forme un « o » de surprise.

-Oh..euh, je...d'accord, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

-Je veux que tu fasses venir Damien ici, ce soir. Je dois lui parler.

Ayana semble peser ses mots avant de me répondre.

-Tu es sûre que c'est une bonne idée ? m'interroge-t-elle délicatement. Je sais que ce que tu vis est très difficile, peut-être que tu devrais prendre le temps de digérer ce qui s'est passé avant de faire quelque chose d'aussi engageant...

-Je sais très bien ce que je dois faire, je te remercie, je rétorque sèchement.

Cette fois-ci cest la pitié qui vient recouvrir les traits de mon amie, pitié qui me fait voir rouge.

-Maëva, je sais ce que tu fais. Tu refoules tes émotions parce que ça te fait du bien dans l'immédiat mais crois-moi ce n'est pas la man...

Sans que je me contrôle je fais sortir la lame de ma manche et la pointe vers Ayana.

-Je t'ai dit de contacter Damien maintenant, qu'est-ce que tu n'as pas compris ?

Ses yeux se baissent vers le couteau. Elle lève ses mains en signe de capitulation.

-Cest bon, tu as gagné. Je lui envoie un message tout de suite.

Je ricane et retourne me coucher. Mon cerveau me dit que ce que je fais est mal, que ce n'est pas moi. Mais je m'en fiche.

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Point de vue de Damien

02:47 De Ayana à moi : Maëva s'est réveillée, elle a besoin de te voir.

02:49 De moi à Ayana : Je lui ai fait suffisamment de mal comme ça. Peut-être qu'elle doit faire son deuil sans moi.

02:50 De Ayana à moi : Viens lui dire toi-même.

02:50 De Ayana à moi : Maintenant.

Je me lève rapidement, enfile mes chaussures et claque la porte sans même passer de veste.

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant