Partie 50

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Point de vue de Maëva

    Je ne sais pas depuis combien de temps nous attendons. Je ne sais pas quand la décision sera rendue. Une chose est sûre, je ne peux pas quitter cet endroit avant d'avoir une réponse claire. C'est pour cela que j'ai insisté pour que nous restions ici en attendant la délibération.

    Nous devons faire peine à voir, Lucas, l'avocat et moi, à patienter ainsi depuis des heures devant la salle de jugement. La lumière extérieure a décru progressivement, et tous les gens travaillant ici sont peu à peu rentrés chez eux après avoir fini leur journée de travail. Il ne reste que nous dans ce grand bâtiment vide.

    A la sortie du procès en début d'après-midi, mon frère a bien tenté de m'emmener manger dehors, mais je ne pouvais pas m'éloigner de cette salle. C'est là-dedans que se joue en ce moment-même mon avenir, et même si je suis impuissante, rester ici me donne l'impression de garder un semblant de contrôle sur la situation. Il est donc sorti pour acheter de quoi déjeuner, puis plus tard de quoi dîner -mais je n'ai rien été capable d'avaler.

    Mon avocat a essayé de me rassurer en me faisant une analyse du procès et de nos probabilités de gagner, mais en réalité j'ai l'impression que c'est lui-même qu'il cherchait à réconforter. Devant mon manque de réaction, il a fini par arrêter de parler et s'est contenté de marcher en rond en marmonnant dans sa barbe. Il m'a rapidement donné mal au cœur à tourner ainsi, mais je lui suis reconnaissante d'être resté.

    La nuit est tombée complètement. L'immobilité et la fatigue ont fini par me donner froid, alors Lucas s'est rapproché de moi. Il m'a passé sa veste sur les épaules et a frictionné mon bras pour me réchauffer. Alors que le sang revenait dans mes membres alourdis, mes paupières ont commencé à se faire lourdes. Malgré mon angoisse, j'ai fini par m'endormir sur l'épaule de mon frère.

***

    La porte s'ouvre lourdement, me réveillant en sursaut. La silhouette de l'avocat de Damien passe dans l'entrebâillement. Décidément, cet homme me fait froid dans le dos. Sa carrure imposante et son ombre qui s'étend à l'infini devant lui me donnent l'impression d'être minuscule. Je resserre ma veste sur mes épaules en réprimant un frissonnement.

    L'homme émet un raclement de gorge à l'attention de mon propre avocat qui se tient un peu plus loin dans le couloir. Ce dernier se retourne et s'engage d'un pas décidé vers la porte en comprenant qu'il est attendu.

    Je ramène mes yeux sur l'avocat de Damien, persuadée qu'il ne me prête pas la moindre attention, mais je me trompe. Ses yeux noirs d'encre sont braqués sur moi. J'y lis de l'amusement, de la cruauté et un air victorieux qui me donne la chair de poule. Il ne faut que quelques secondes pour que mon avocat rejoigne l'entrée de la salle, quelques secondes durant lesquelles je ne peux rien faire d'autre que me noyer dans ce regard de mauvais augure, mais j'ai l'impression qu'elles durent des heures.

    Ce n'est que lorsque les deux hommes rentrent dans la salle et referment la porte derrière eux que je me rends compte que je retenais ma respiration.

***

    La porte s'ouvre de nouveau, et seul mon avocat sort de la salle. J'arrête immédiatement mes aller-retour et me précipite vers lui. Heureusement que l'attente n'a pas été trop longue -seulement une dizaine de minutes-, autrement je serais devenue folle.

    Son visage est fermé, et ses lèvres pincées dans un mouvement de dégoût. Lucas vient se placer derrière moi et pose sa main sur mon épaule en geste de soutien, mais je ne la sens même pas. J'ai beau attendre depuis des heures la sentence, je n'arrive pas à la demander. Alors je reste plantée devant mon défenseur, mes mots coincés dans la gorge, jusqu'à ce qu'il finisse par lâcher :

-Un an sans sursis.

-Un an ? je répète lentement.

    Il hoche la tête gravement. La tête commence à me tourner. Le procès était truqué, je ne vois pas d'autre option. Tout était là ! Toutes les preuves étaient là pour que Damien passe sa vie derrière les barreaux ! Au lieu de ça, je n'ai réussi à glaner qu'un an de repos...

-Excusez-moi, je chuchote.

    Je me défais de la poigne de mon frère et me dirige vers les toilettes d'un pas normal, puis en courant dès que je ne suis plus à portée de vue. Je m'enferme dans une des cabines et rend le contenu de mon estomac avant de m'effondrer en larmes.

    J'ai l'impression que je ne m'en sortirai jamais. Je ne sais même pas ce que je veux, ce qu'il faudrait faire pour que je me sente bien. Je ne veux rien que la paix intérieure, mais elle me semble refusée. Il me faut un long moment avant que je parvienne à me calmer. Lorsque je sors enfin et me dirige vers le lavabo, je ne reconnais même pas la fille qui me regarde dans la glace.

    Elle est si pâle qu'on dirait un fantôme. Ses yeux sont cernés, et chaque parcelle de son visage reflète l'angoisse et la peur. Comment ai-je pu en arriver là ? Où est passé la jeune fille pleine de vie, forte et sûre d'elle-même ? Je ne suis plus qu'une ombre apeurée.

    Une lueur de rébellion passe dans mes yeux au moment où cette pensée me traverse. Il n'est pas question que je reste à jamais ce spectre, ou Damien aura gagné. Il faut que je trouve le moyen de ressortir plus forte de cette épreuve. De me reconstruire. Et c'est ce que je vais faire. Un an est suffisant pour changer de vie et me débarrasser de ces souvenirs qui sont autant de chaînes à mes pieds. Ces pensées me rendent un semblant d'assurance et me donnent la force de me diriger vers la sortie.

    Je m'apprête à aller rejoindre mon avocat et Lucas, mais je me heurte en sortant des toilettes à une figure baraquée. Celle de l'avocat de Damien. Je recule précipitamment alors qu'un rictus moqueur apparait sur ses lèvres. Moi qui espérais ne jamais le revoir, c'est raté...

-Mon client veut que je vous remette ceci, me dit-il d'une voix grave en me tendant un morceau de papier plié en deux.

    Je regarde autour de moi dans l'espoir de voir quelqu'un susceptible de me venir en aide mais il n'y a personne. Je décide donc d'en finir le plus vite possible et attrape rapidement la feuille pour ne pas qu'il voie que mes mains tremblent. Je la déplie, et reconnais immédiatement l'écriture de Damien. Bien entendu. Je la lis avec appréhension.

    Je suis très déçu Maëva. Je pensais avoir été clair quant au fait que je te voulais de mon côté -et certainement pas contre moi. J'imagine que je vais devoir ajouter des choses à la liste des raisons pour lesquelles je te punirai une fois sorti de prison. Car je reviendrai, tu le sais n'est-ce pas ? Mais rassure-toi, nous n'allons pas nous quitter durant ce laps de temps. Je serai transféré demain, j'attends ta visite d'ici deux jours. Ne t'avise pas de me décevoir cette fois-ci, ou bien ce sont tes parents qui paieront pour toi.
PS : ne songe pas non plus à faire appel, ni à demander le divorce. Les conséquences seraient les mêmes.

-Il m'a également demandé de vous montrer ceci, ajoute l'avocat lorsqu'il voit que j'ai fini de lire.

    Il sort un téléphone de sa poche et le déverrouille avant de me le tendre. Sur l'écran, je peux voir un salon -le salon de chez moi. Mon père est assis sur le canapé devant la télé, à moitié endormi, tandis que ma mère s'affaire un peu plus loin. Un sanglot m'échappe. Le message est clair : Damien mettra ses menaces à exécution. Je m'appuie contre le mur alors que les larmes recommencent à couler sur mes joues.

-Puis-je dire à votre mari que vous avez compris ?

    Je ferme les yeux, puis hoche lentement la tête. Je n'ai pas le choix de toute façon.

-Bien. Au revoir Mademoiselle.

    Mon repos va être de plus courte durée que prévu.

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant