Partie 59

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Point de vue de Damien

4 x 24 = 96 heures. Elle dort huit heures par nuit...nonsix à cause des émotions. 6 x 4 = 24. Allez, disons 25. 96-25=71...Combien de kilomètres peut-elle parcourir en une heure ? Mais cela dépend de comment elle se déplace ! Quel est le plus probable ? En voiture ? Oui, en voiture. Alors disons une moyenne de 90 km/h, cela ferait...

Un gardien à la démarche rapide passe devant la porte. Le cliquettement de ses clés me fait perdre le fil de mon calcul.

-Putain !

Je frappe dans la porte, rouvrant mes phalanges à peine cicatrisées à cause des coups que je n'ai cessé de donner dans les murs ces derniers jours. Mais je m'en fiche, je ne sens pas la douleur. Je ne suis même pas énervé.

Jai peur. Chaque minute passée loin de Maëva augmente potentiellement la distance entre nous. Elle n'est pas surveillée. Je pourrais la perdre. Elle pourrait être blessée. Mon enfant pourrait l'être. Et je ne peux pas intervenir.

Cela fait quatre jours que des gardiens inconnus viennent sans un mot m'apporter des plateaux repas. J'ai essayé de leur parler, mais ils n'ont même pas daigné m'accorder un regard. J'aurais voulu les secouer, mais on m'a prévenu que si je le faisais on me remettrait immédiatement sous sédatifs. Et ce nest pas en étant drogué que je pourrai aider Maëva.

La porte s'ouvre en grinçant et une silhouette connue se glisse dans lembrasure.

-David, je balbutie en me levant précipitamment. Dieu merci c'est enfin toi, ils ne voulaient pas me laisser te voir.

-Peut-être parce qu'ils ont trouvé ça louche que tu insistes tant pour que ce soit moi qui vienne m'occuper de toi, dit-il en évitant mon regard.

Je ne prête pas attention à sa réponse et fonce sur lui pour m'agripper à sa manche.

-Il faut que tu m'aides. Il faut que tu dises à Jérémy qu'il doit retrouver Maëva...

-Il est déjà sorti, me coupe David, les lèvres pincées.

-Alors il faut que je m'en aille d'ici le plus vite possible. J'ai menti à Maëva, elle n'est pas surveillée, je dois la retrouver...

-Je ne peux pas t'aider.

-Tu écoutes ce que je te dis !? je continue en secouant un peu plus le tissu. Maëva et mon enfant sont en danger ! Je dois y aller !

-Ca suffit maintenant ! rugit David en se dégageant brusquement. A force d'avoir demandé à me voir l'administration me trouve louche, je ne peux rien faire pour toi pour le moment.

-Mais elle est en danger...je répète comme un fou.

-Bon sang Damien ! Elle n'est pas en danger, c'était toi le danger qui la guettait ! Si elle est partie c'est uniquement à cause de toi !

-MENTEUR ! je crie en me laissant glisser contre le mur, les mains sur les oreilles.

Plusieurs secondes s'écoulent.

-Tu me fais de la peine, reprend David dune voix grave. Sérieusement mon vieux, reprends-toi. Je te pensais plus fort que ça.

Puis il s'en va, me laissant seul avec les inepties qu'il vient de m'asséner comme autant de poignards.

Point de vue de Maëva

Si l'on m'avait dit qu'un jour j'irais à New York, je ne me serais certainement pas imaginée ce que je suis en train de vivre. Je serais partie avec des amis en vacances là-bas. J'aurais été morte d'impatience à l'idée de prendre l'avion pour la première fois, surexcitée à l'idée de visiter cette ville américaine qui m'a toujours fait rêver. J'aurais pris des centaines de photos pour les accrocher dans ma chambre et j'aurais acheté des souvenirs à ma famille. Bref, tout mais pas ça.

Je n'ai même pas pu profiter de l'avion. Les émotions des derniers jours sont toutes retombées d'un coup, si bien que j'ai passé la majorité du vol à dormir. A mon réveil, pas le temps pour faire du tourisme. Lucas était si stressé qu'il a immédiatement commandé un taxi et nous nous sommes rendus à la clinique. Cela fait deux jours que jai retrouvé les draps blancs et lodeur de médicaments qui commencent à m'être familiers. D'après le médecin, il faudra encore trois jours avant que je puisse repartir - jusqu'au prochain bilan moins dune semaine plus tard.

Allongée dans mon lit, je soupire en pensant au train de vie qui m'attend. Je ne vois pas la lumière au bout du tunnel. Etre en présence de Lucas est épuisant car je dois mobiliser toutes mes forces pour prétendre que je vais bien, je pensais donc que cela me soulagerait de bénéficier d'un peu d'intimité cette semaine étant donné que les horaires de visite sont très limités.

Mais ce n'est même pas le cas. Dès que je ferme les yeux, des images du visage paniqué de Damien me reviennent. Sa voix puissante me suppliant de ne pas partir me tire hors de mes cauchemars, et cest alors la culpabilité qui ne me laisse aucun répit. J'ai l'impression qu'elle prend la forme dun serpent qui se glisse dans mon oesophage jusque dans mon ventre et qui vient encore augmenter la douleur présente en continu.

J'expire profondément et me concentre pour faire le vide dans mon esprit. Je souffle...j'inspire...Je te connais, tu n'es pas comme ça. Les larmes s'accumulent dans ma gorge...

Ca suffit. Il faut que je trouve un moyen de me changer les idées avant de retomber dans une spirale dépressive. Je rabats les couvertures et enfile des chaussons pour sortir de ma chambre. Je passe la tête dans lembrasure de la porte. Personne. Je ne sais pas dans quel service je suis mais j'ai l'impression d'en être la seule patiente. Je ne suis pas censée me balader comme ça, j'avance donc à pas de loup. Plus loin, le couloir forme un angle droit que l'on devine derrière des portes à battants. Je les franchis et continue à raser les murs mais le bruit de personnes sortant d'une chambre m'oblige à faire demi-tour précipitamment.

Je m'apprête à regagner ma chambre à contre-cur, mais la discussion que je surprends me pousse à tendre l'oreille.

-...crois pas une seule seconde qu'elle ait fait une mauvaise chute, commence un homme.

-C'est ce que son fiancé dit, répond une femme.

-Celui qui n'a pas le droit de la voir ? Je suis désolé, je trouve ça super louche.

-Tu penses que c'est lui qui l'a noyée ?

-J'imagine que nous devrons attendre son réveil pour en savoir plus, il n'y a pas grand-chose d'autre à faire...

Les voix s'éloignent. Je relâche ma respiration. Il faudrait que je retourne dans ma chambre car l'infirmière va bientôt passer, mais je suis intriguée. Je passe de nouveau les portes et me dirige sur la pointe des pieds jusque devant l'entrée de la chambre. Après avoir vérifié que la voie est libre, je me glisse à l'intérieur.

Une fille est allongée dans son lit. Elle parait endormie, mais les nombreuses machines auxquelles elle est reliée me laissent plutôt penser qu'elle est dans le coma. Je m'approche davantage. Elle me semble jeune, quelques années de plus que moi. Et elle est magnifique...ses traits sont fins et réguliers, sa peau si pâle qu'elle se confond presque avec ses courts cheveux blancs. Pourtant il y a comme un air de souffrance qui plane sur son visage.

-Une noyade...je murmure.

Mes doigts se sont inconsciemment portés autour de ma gorge, à l'endroit où Damien serrait lorsqu'il a lui-même enfoncé ma tête sous leau il y a maintenant plusieurs mois de ça. La pitié me saisit alors que je repense à la solitude et à la douleur que j'avais ressenties à cet instant.

-Je suis vraiment désolée.

Un bruit au loin me fait sursauter. Je me retourne vers la belle inconsciente.

-Je reviendrai, je lui promets.

Puis je me glisse hors de la chambre et rejoint la mienne avant que l'on remarque ma disparition.

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant