Je suis ton ombre

Partie 36

Point de vue de Maëva

Inspire...1...2...3...Expire...1...

-Qu'est-ce que tu fais ? Tu viens ?

Je pousse un long soupir en ouvrant les yeux. Le plafond me semble fascinant tout à coup. Tout me semble plus intéressant plutôt que de rencontrer la famille de Damien. Trois copies de Damien à devoir supporter toute la soirée...Je pose mes mains sur mes yeux en gémissant.

-Maëva ?

-Je suis vraiment obligée de venir ? je geins.

Un poids s'ajoute à côté de moi sur le lit. Je soulève les paupières. La tête de Damien n'est qu'à quelques centimètres de la mienne et il me fixe d'un air mi-attendri mi-sérieux.

-Oui, répond-il fermement.

-Mais pourquoi ? De toute façon je les verrai lors de ce fichu mariage, ça ne sert à rien, je proteste.

-C'est important pour moi. Et je ne te demande pas ton avis. Allez, debout, poursuit-il en me tirant par les poignets pour me forcer à me lever. Ils vont arriver d'une minute à l'autre.

Je me laisse entraîner mollement en grognant à demie-voix. Nous sommes presqu'au rez-de-chaussée lorsque la sonnette retentit. Damien me tire plus rapidement vers la porte avant de l'ouvrir. Un charmant couple se trouve dans l'embrasure. La fille est brune, très jolie et souriante. Elle respire la bonne humeur. Elle doit effectivement avoir quelques années de plus que moi. Elle tient une bouteille de champagne à la main.

-Damien ! Comment vas-tu ? s'exclame-t-elle en se jetant dans ses bras.

Il lui rend son étreinte en riant. Un peu en retrait se tient Thomas, son frère aîné. A quelques détails près, c'est le portrait craché de Damien. Il a l'air plus sévère, mais ils partagent la même beauté cruelle. Je reste légèrement en retrait pendant que les deux hommes échangent une poignée de main fraternelle. La fille s'approche de moi et m'adresse un sourire gentil. Une lueur qui ressemble étrangement à de la pitié traverse ses yeux bleus mais s'en va si rapidement que je crois l'avoir rêvée.

-Tu dois être Maëva. Je m'appelle Charlotte.

Elle me fait délicatement la bise avant de se retourner vers les deux frères.

-Bon, je sers un verre à qui ?

                                        ***
Point de vue de Damien

-...mais ça c'était il y a bien longtemps ! s'esclaffe Charlotte en lançant un regard langoureux à son mari.

Je ris aussi. J'aime beaucoup cette fille, c'est un véritable brin de fraîcheur. Mon frère a de la chance d'avoir trouvé une épouse si charmante...et si aimante. Il suffit de voir comme elle le regarde pour comprendre qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Voilà où j'aimerais en arriver avec Maëva. A ces pensées, je tourne la tête vers elle et saisit sa main sous la table.

Elle n'a pas ouvert la bouche depuis l'arrivée des invités et reste froide. Je ne sais pas ce qu'elle a. Après la discussion que nous avons eu hier soir, je penserais qu'elle ferait plus d'efforts pour que notre relation fonctionne, mais cela n'a pas l'air d'être le cas. Elle semble mal à l'aise et évite mon regard. Elle sursaute lorsque la sonnette annonce l'arrivée de mon frère cadet.

Je me lève pour l'accueillir. Après une étreinte énergique, Victor vient saluer Thomas et Charlotte qui se sont levés. Seule Maëva est restée assise, comme pétrifiée de terreur. Il faut dire que Victor a toujours provoqué la frayeur. Ses yeux malicieux, son sourire carnassier y contribuent largement et lui rendent honneur. De nous trois, il a toujours été le plus cruel, raison pour laquelle il s'occupe surtout de tout ce qui a trait à l'obtention d'informations de façon plus ou moins...morale.

-Alors c'est toi, dit-il en s'avançant lentement vers ma fiancée avec un rictus aux lèvres. La fameuse Maëva dont on entend tant parler.

Elle ne lui répond pas et se contente de le fixer d'un air inquiet. Il ricane et se retourne vers moi.

-Son ami a fait bon voyage ? Tu vois que je sais me retenir, je te l'ai donné en un seul morceau !

-Victor, on parlera de ça plus tard si tu veux bien, je m'empresse de lui répondre en voyant que Maëva est sur le point d'exploser.

-Et si on ouvrait le champagne ? propose Charlotte avec une gaité forcée. Thomas et moi avons quelque chose à vous annoncer.

Je profite de cette distraction pour me lever et aller rapidement chercher des coupes. J'ouvre ensuite la bouteille et sers à boire à tout le monde mais Charlotte m'arrête avant que j'aie pu remplir son verre.

-Non merci, me dit-elle en souriant.

Elle pose une main sur le bras de son époux et le regarde amoureusement. Il lui rend son regard avec un sourire pour l'encourager à parler.

-Voilà, dit-elle en se retournant vers nous. Je suis enceinte.

Cette nouvelle me laisse sans voix, et il me faut quelques secondes pour la digérer.

-Tu...tu es enceinte ? je répète bêtement. Ca veut dire que tu vas être père ? je demande en me retournant vers mon frère.

Celui-ci acquiesce, tout sourire. Je me lève et les félicite chaleureusement, suivi par Victor. Je suis plus qu'heureux pour eux mais je ne peux m'empêcher de les envier. Rien qu'imaginer fonder une famille avec Maëva me remplit de bonheur, mais nous sommes si loin d'en être là... Je me tourne vers elle en m'attendant à ce que cette nouvelle l'ait fait sortir de sa léthargie, mais c'est tout le contraire. Elle a la tête baissée, et semble triste.

-Enfin bref, reprend Charlotte en s'apercevant de l'air de ma fiancée, nous ne sommes pas là pour parler de ça. Maëva, étant donné que je serai ta demoiselle d'honneur, cela te dirait de m'accompagner acheter ma tenue demain ?

L'intéressée relève la tête et s'apprête à répondre, mais Thomas ne lui en laisse pas le temps.

-Ma chérie, je pense que ce serait mieux si tu y allais seule.

Elle se retourne vers lui avec un air mécontent.

-Ah non ! Tu m'as fait attendre jusqu'à deux jours avant le mariage pour acheter ma robe, je peux au moins avoir l'avis de la future mariée !

Je ferme les yeux et me pince les lèvres en maudissant intérieurement son franc parler. Lorsque je les rouvre, le regard accusateur de Maëva me transperce.

-Deux jours...murmure-t-elle. Je n'aurai jamais le temps d'envoyer les invitations à ma famille...

Un silence de mort envahit la pièce, troublé simplement par les ricanements de Victor. Je lui lance un regard d'avertissement pour le faire taire avant de répondre.

-Mon ange, ta famille ne viendra pas.

-Quoi ? Pourquoi ? bafouille-t-elle sur un ton paniqué.

-Je suis désolé.

La panique se transforme en haine dans ses yeux. La frustration qu'elle semble contenir depuis le début du repas explose d'un seul coup.

-Ca aussi il faut que tu me le prennes ? siffle-t-elle d'un air mauvais. M'enlever, me battre, me violer, ce n'est pas assez ? Il faut aussi que tu m'interdises d'inviter ma famille à un mariage que tu m'as forcé à accepter à force de chantage !? achève-t-elle en criant.

-Maëva, calme-toi immédiatement.

-Sinon quoi ? dit-elle en se levant, hystérique. Tu vas encore me frapper ? Va te faire foutre !

Elle jette sa serviette sur la table et quitte la pièce à grandes enjambées.

-Maëva, reviens ici tout de suite ! je crie, franchement hors de moi désormais.

Mais elle fait la sourde oreille et se soustrait au regard des invités qui regardent avec intérêt la pièce de théâtre qui se joue sous leurs yeux.