Partie 9

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Point de vue de Maëva

      Je mange rapidement puis fonce vers la salle de bains chercher ma future arme. Je me mets alors à tailler le manche de ma brosse à dents avec le couteau. Cela me prendra énormément de temps, mais ce n'est pas ce qui me manque. Je poursuis la tâche plusieurs heures. Lorsque je décide d'aller me coucher, je suis satisfaite du travail que j'ai fourni. Le manche est déjà plus effilé que le couteau. C'est loin d'être parfait, mais c'est un bon début. Je prends bien garde à remettre le couvert sur le plateau pour qu'Alice ne se doute pas de ce que je trafique et vais me glisser sous la couette.

Pour la première fois depuis mon arrivée ici, je ne suis pas abattue lorsque je me réveille. Je me lève vite, mange, me douche et m'habille vite avant de me remettre à l'ouvrage.

J'arrête tout à 11h30 par mesure de prudence, et je m'installe devant la télé. Quand Alice arrive quelques dizaines de minutes plus tard, je suis sage comme une image. Elle me salue avec un sourire forcé. Je lui demande poliment si je pourrais avoir des vêtements plus chauds - et surtout plus longs. Même si c'est l'été, je préfère largement souffrir de la chaleur qu'être habillée avec ce que j'ai à ma disposition. « Je demanderai à Monsieur » sont les seuls mots que j'arrive à lui tirer.

Je reprends ma tâche toute l'après-midi. C'est une activité répétitive et ennuyante que celle d'aiguiser, mais je suis plus que motivée, cela ne me dérange donc pas. Je m'arrête à la fin de l'après-midi. Je ne sais pas quand Damien rentrera, et je ne veux pas risquer de me faire prendre. Il ne reste que quelques finitions à faire de toutes façons, et j'aurai sûrement fini demain. Il ne me reste que cette soirée à tenir. Je remets la brosse à dents dans son gobelet. J'ai pensé à la cacher, mais sa disparition serait suspecte. Je croise les doigts pour que mon ravisseur ne s'aperçoive de rien.

J'attrape ensuite le livre que j'ai commencé la veille et me plonge dedans en espérant faire taire l'appréhension qui monte lentement en moi. Ce subterfuge se révèle efficace, et je ne l'entends même pas entrer. Je ne me rends compte de sa présence que lorsqu'il s'assoit à côté de moi et qu'il enlève le bouquin de mes mains.

-Qu'est-ce que tu lis ?

Je ne réponds pas.

-L'Etrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde...Très bon choix.

Il le pose sur la table devant nous. Il revient ensuite vers moi et prend mon menton dans sa main. Il regarde ma joue et passe doucement son doigt sur la cicatrice qu'il m'a faite, une lueur de satisfaction dans les yeux. Quel tordu... Puis il me tourne vers lui et m'embrasse. Moins intensément qu'hier, mais tout de même. Je ne lui réponds pas. Je ne me dégage pas non plus. Une soirée, ne gâche pas tout...

-Alice m'a dit que tu avais été plutôt curieuse...

-Je veux des vêtements plus chauds, je l'interromps.

-Pourquoi donc ? Tu es tellement plus belle habillée comme ça...

Il caresse doucement ma jambe qui n'est pas couverte par la combishort que je porte en me fixant intensément. Je déglutis.

-Parce que j'ai froid.

Sa bouche s'étire en un sourire moqueur.

-Je ferai monter le chauffage.

Je n'ai rien à répondre à ça. Il se fiche de ce dont j'ai envie. Il s'avance dangereusement vers moi mais je l'interroge avant qu'il n'ait le temps de m'embrasser de nouveau.

-A qui est cette maison ?

-A moi.

-Comment...?

-Mon père me l'a léguée. Disons que l'entreprise familiale lui a permis d'amasser une certaine fortune...

-Entreprise que tu as reprise, j'imagine ?

-Moi et mes frères, oui.

-Quel genre d'entreprise ?

Il sourit d'un air carnassier.

-Tu veux tout savoir, trésor. Pourtant, les réponses ne te plairaient pas.

Mon cœur s'accélère. Nous ne sommes qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, mais je me force à ne pas reculer.

-Tu as dit que tu me connaissais par cœur, c'est normal que je veuille te connaitre aussi.

Il rigole.

-Tu as entièrement raison.

Il me regarde droit dans les yeux.

-A vrai dire, il s'agit plus d'un réseau que d'une réelle entreprise. Le réseau le plus important de France dans le genre...

-Un réseau de quoi ? je demande sans détourner le regard.

-Drogue et prostitution.

Il guette ma réaction. Je ne bronche pas.

-C'est impossible, dis-je doucement. Vous vous seriez fait prendre...

-Oh, mais je n'ai jamais dit que c'était un secret, ma belle. Mais, vois-tu, l'innocence s'achète facilement dans ce pays. Tu ne sais pas ce qu'un policier ou un juge est prêt à faire pour quelques grammes gratuits ou une nuit avec une adolescente...Et la plupart d'entre eux travaillent déjà plus ou moins directement pour moi, achève-t-il avec un rictus.

Sa main a repris sa place sur ma cuisse. Je suis complètement tétanisée. Il est bien plus dangereux que ce que je pensais. Et puis il y a cette aura qui l'entoure, cette lueur dans ses yeux qui me donnent envie de prendre mes jambes à mon cou.

-Tu vois, mon ange, tu es plutôt chanceuse, poursuit-il d'une voix doucereuse. Si tu ne m'avais pas plu autant, je t'aurais déjà vendue à je ne sais quel milliardaire qui aurait voulu passer un peu de bon temps avec toi. Tu m'aurais même rapporté un certain montant...une mineure aussi belle que toi, et encore vierge...Alors sois reconnaissante.

Il se penche de nouveau pour m'embrasser. Je le laisse faire. Je suis trop choquée pour bouger. Il se détache et reprend la parole comme si de rien n'était.

-Je vais chercher le dîner.

Il s'en va effectivement. Je profite de ces quelques minutes de répit pour reprendre mes esprits. Qu'il sache que je suis encore vierge ne me surprend pas, mais qu'il l'évoque me fait craindre pour la suite. J'essaye de me rassurer. Après tout, s'il avait voulu me violer il l'aurait déjà fait, non ?

       Il revient finalement avec le repas. Nous mangeons en silence. Je pensais qu'il tiendrait à ce que je sois plus loquace, mais il a l'air fatigué et n'engage pas la conversation.

Je m'attends à ce qu'il s'en aille après, mais il retourne s'installer dans le canapé, allume la télé et étend son bras pour me laisser une place.

-Viens.

Mon esprit de survie me pousse à m'éloigner de lui, mais ma raison me supplie de ne pas l'énerver ce soir. Alors, lentement, je vais m'installer sous son bras. Je suis tendue, mais cela n'a pas l'air de le déranger. Je ne suis rien du film. Chaque minute près de lui est un supplice, et c'est avec angoisse que je le vois éteindre l'appareil. Heureusement, il ne tente rien de plus. Il se contente de m'embrasser - pour la dernière fois de la soirée.

-A demain soir, mon ange.

Je suis ton ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant