12 Nina

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Elle avait réussi à se relever et à trébucher jusqu'aux toilettes pour y rendre un mélange de mélasse rougeâtre et des restes de son petit-déjeuner. Trop prise par ses sanglots et ses crampes d'estomac, elle mit plusieurs minutes à comprendre qu'on était en train de tambouriner à la porte close des sanitaires. C'était peut-être Gebbert. Il possédait un passe pour toutes les portes de l'Institut.

— Je vais bien, parvint-t-elle à articuler entre deux hauts le cœur.

— Vous ne bernez personne, répliqua une voix traînante qui n'était pas celle de Gebbert. Vous gerbez littéralement du sang.

Von Falkenstein. Nina avait besoin d'une aide médicale en urgence, mais elle préférait expectorer un deuxième globe oculaire visqueux plutôt que d'avoir affaire à lui. Sa nausée reflua, la laissant pantelante sur la cuvette. Dans un réflexe, ses doigts partirent à la recherche de la chasse d'eau afin d'évacuer les immondices.

— Ouvrez, exigea-t-il.

Toussant encore un peu, Nina se recroquevilla contre le mur, froissant le tapis. Un goût atroce de viande macérée lui imprégnait la bouche. Elle avait soif. Mais elle refusait de se lever et de sortir, car elle n'avait pas les forces d'affronter le regard inquisiteur de cet ignoble SS.

— Nina, s'il vous plaît, supplia alors Gebbert. Si vous n'ouvrez pas, on va défoncer la porte.

— Allez vous-en, répondit-elle.

Elle n'était pas dans son état normal. C'est à peine si le premier coup de pied assené dans le fragile panneau de bois la fit tressaillir. Il en fallut quatre autres pour fracturer la serrure, qui céda dans un claquement de ferraille. Le bois malmené, déchiqueté en lambeaux au niveau de la poignée, bascula pour livrer passage à un Gebbert au bord de l'apoplexie. Posté en retrait, von Falkenstein, quant à lui, arborait son perpétuel air blasé.

— Ne me touchez pas, grogna Nina d'une voix étouffée.

Mais sourd à ses protestations, Gebbert était déjà en train de la relever en lui tirant les bras. Il était bien plus fort qu'elle, alors elle se laissa conduire jusqu'au lit, oubliant par moments comment mettre un pied devant l'autre. Entre les vomissures ensanglantées et son pantalon encore mouillé d'urine gisant au sol, sa chambre était un vrai désastre. Le chemisier maculé de rouge, elle-même n'était guère en meilleur état. Ayant enfilé ses gants en daim noir, von Falkenstein se pencha pour ramasser l'œil orphelin, l'extrayant de sa flaque de suc avec une grimace dégoûtée. Voyant ce qu'il tenait entre deux doigts, Gebbert pâlit et s'empressa de détourner la tête.

— Va falloir que je vous examine, dit von Falkenstein en posant la chose dans l'assiette en porcelaine qui soutenait le pot de fleurs le plus proche. Parce que ça ne ressemble pas vraiment à une grippe intestinale.

Nina eut un ricanement proche de la démence. Il posa ses gants sur la commode avec un soin exagéré. Elle l'envia pour sa maîtrise. Dans cette pièce, il était bien le seul à ne pas céder à la panique, contrairement à Gebbert qui paraissait monté sur un ressort.

— Vous avez mal à l'estomac ? demanda von Falkenstein.

Pour seule réponse, Nina ramena ses genoux contre le torse, se nouant en une pelote aussi rêche que du papier verre.

— Ne me touchez pas, répéta-t-elle.

Elle ne supporterait pas une palpation, aussi rapide soit-elle. Rien que l'idée de ses mains se posant sur son ventre mis à nu, même dépourvues de toute intention salace, lui était insupportable. Plutôt mourir, pensa-t-elle. Insensible à son mal-être, von Falkenstein claqua de la langue sous l'agacement.

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