9 Hans

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Quatre heures et demie du matin n'avaient pas encore sonné qu'il quittait déjà ses quartiers en tenue de sport, ses chaussures de sport à la main pour traverser le couloir en chaussettes en s'appliquant à faire le moins de bruit possible et éviter ainsi de réveiller qui que ce soit. Les cinq heures de sommeil agité qu'il avait réussi à prendre lui avaient laissé un sale goût sur la langue que même le bicarbonate n'avait pas chassé. En parvenant à la hauteur de la chambre voisine, il s'arrêta sans vraiment s'en rendre compte, avant d'y coller l'oreille. Silence. Elle devait dormir. Il se demanda quoi faire. Devrait-il frapper pour la prévenir ou simplement entrer pour la réveiller ? Les journées à l'Institut ne commençaient pas avant huit heures pour la plupart de ses occupants. Cela lui laissait quelques précieux instants avec elle sans qu'il n'y ait personne autour. Il pourrait l'amener prendre son petit déjeuner. Lui n'avalait jamais rien avant l'exercice, mais il pourrait la regarder manger, ce n'était pas grave. Frapper à la porte pour l'inciter à se lever risquerait d'être trop bruyant et il y renonça. Sa main abaissa la poignée, qui battit dans le vide, le frustrant aussitôt. La petite conne avait fermé à clé. Il s'acharna quelques secondes, se retenant d'attaquer la maudite porte à coups de pieds, finit par y mettre un et le regretta aussitôt car il n'avait pas de chaussures. La vive douleur qui se propagea dans l'ensemble de ses doigts de pied le ramena à la réalité et il renonça. Son gros orteil mortifié se rappela à lui tout le long de la coursive et il se promit de s'arranger pour confisquer les clés à la gamine dès qu'une occasion se présenterait. Il n'y avait absolument aucune raison qui justifiait qu'elle s'enfermât ainsi dans son bâtiment. À vrai dire, il souhaitait pouvoir rentrer chez elle quand ça lui chantait, qu'elle dorme, qu'elle soit éveillée ou même... dans sa baignoire, d'ailleurs, il l'avait entendu prendre un bain hier dans la nuit, la tuyauterie était plutôt sonore dans cette partie-là de l'infirmerie, et tout bien considéré, c'était probablement l'idée de son corps nu dans la flotte chaude derrière un mur, à seulement quelques mètres, qui l'avait empêché de bien dormir. Il n'aurait jamais dû accepter qu'elle vienne vivre si près de lui.

S'asseyant en plein milieu des escaliers, il enfila enfin ses chaussures et traversa la grande salle d'infirmerie à pas discrets, car Hoffmann dormait en général dans l'officine attenante. Lorsqu'il passa près de la minuscule cuisine, la lumière y était allumée et il constata avec surprise qu'il n'était pas le premier debout aux aurores.

— Courte nuit ? demanda-t-il en entrant.

Lui tournant le dos, Dahlke en renversa son pot de lait, au bord de la syncope.

— Bon sang ! Ne refaites jamais ça ! râla-t-il après l'avoir reconnu. Vous m'avez foutu une de ces trouilles !

— Vraiment désolé, dit von Falkenstein alors qu'il se mettait à éponger les dégâts et à ramasser les morceaux de porcelaine. C'est que d'habitude, il n'y a que moi qui me lève aussi tôt, pour aller courir.

— Oui, je suis au courant que vous êtes un phénomène de cirque, répondit Dahlke en se rasseyant, l'air toujours un peu secoué.

Sa veste était jetée sur le dossier de sa chaise, il n'était pas coiffé et sa chemise aux manches retroussées était mal rentrée dans son pantalon, à se demander si le bougre n'avait pas dormi tout habillé. Il étouffa un bâillement et se plongea dans la contemplation de sa chicorée sans y toucher. L'odeur capiteuse qui s'en dégageait avait de quoi donner la nausée.

— Dites, Herr SS-Hauptsturmführer, dit-il sans le regarder. Par hasard, vous n'auriez pas un canapé, dans votre piaule ? Ou même un lit de camp.

— J'ai les deux. Pourquoi ?

Dahlke garda le silence, continuant à fixer son ersatz comme s'il souhaitait se noyer dedans.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant