Après avoir essayé en vain de ne plus penser à ce qu'elle lui avait dit dans le couloir, elle parvint tout de même à s'endormir, assommée à force de se repasser le hurlement suraigu de Nina en boucle dans son esprit. Ce cri déchirant s'était planté en elle et avait refusé de la lâcher. Il était descendu de ses oreilles jusqu'à son bas ventre, lui tordant l'entrecuisse dans un sursaut venimeux qui lui avait salopé l'intégralité de la culotte. L'envie avait été si intense qu'elle l'avait poussée à quitter le lit pour descendre et elle avait franchi les marches dans un rêve fuligineux.
Elle savait pourquoi Nina vociférait ainsi. Elle brâmait à s'en lacérer la glotte parce qu'on s'apprêtait à la torturer et elle avait trouvé son hurlement particulièrement sensuel. Elle s'était demandée quel degré de terreur était nécessaire pour qu'un être qui lui avait paru aussi fort se mette soudain à piailler ainsi ; et elle s'était demandée si un jour, ça lui arriverait aussi. Cette question lui avait comprimé les entrailles au point de les faire couler entre ses cuisses et elle avait voulu connaître la réponse avec une intensité inédite. Là, dans le couloir, elle avait souhaité qu'il lui fasse mal au point de l'étouffer dans sa propre morve en la jetant contre les murs. Elle aurait voulu qu'il se force entre ses jambes en la tenant par les cheveux. Ses propres doigts se seraient agrippés à lui, à ses épaules, pour le lacérer et ne plus le laisser repartir. Au moins, ça l'aurait peut-être découragé de retourner en bas pour y malmener Nina jusqu'à ce qu'elle en perde la raison en plus de lui donner ce qu'il voulait depuis si longtemps. Elle était sûre qu'en s'enroulant enfin autour de lui, elle lui ferait perdre toute envie de détruire ce qui l'entourait. Elle était prête à lui laisser ce qui lui restait de dignité et l'autoriser ensuite à dormir tranquillement dans son giron toutes les nuits de sa vie durant, tant qu'elle était la seule à en souffrir. Bien que prête à le supplier, elle n'avait pas osé. C'était de sa faute s'il avait fini par redescendre, elle n'avait pas réussi à se montrer assez convaincante.
C'était une illusion stupide, bien entendu. Elle l'avait compris depuis longtemps mais s'y accrochait quand même. Rien ni personne ne pourrait jamais le changer. Si elle avait une chance immense, il se montrerait juste plus délicat et attentionné avec elle qu'avec les autres. Au lieu de l'attacher à un lit, ou l'envoyer dans un camp, ou dans l'usine de von Lindstradt, il se contenterait de se l'approprier tout à fait, de la tordre suffisamment fort et suffisamment longtemps pour qu'elle devienne l'incarnation parfaite de l'idée qu'il se faisait de l'amour. Ce n'était pas grave. Elle était convaincue que ça lui plairait quand même, comme ça lui avait plu d'entendre Nina hurler. Se le répéter sans discontinuer l'aida à trouver le sommeil.
*
Le dimanche matin, elle traîna au lit jusqu'à ce que la faim ne la remette debout. Levée après tout le monde, elle prit un petit déjeuner conséquent avec pour seule compagnie Gustav et le docteur Hoffmann. Celui-ci ne se montra guère plus bavard que le chat, se contentant de l'informer que l'Obersturmbannführer Vogt avait désormais besoin de ses services en continu et qu'il n'irait donc pas en France.
— Je m'en fiche, répondit-elle sans le regarder. J'aurais bien voulu que cette prostituée lui tire dans la tête et qu'il crève. Mais tant mieux pour vous, je suppose.
Hoffmann la regarda d'un air interdit et pendant un instant, il parut sur le point d'ajouter quelque chose sous le coup de l'émotion. Ania ne lui en laissa pas l'occasion, s'emparant de son assiette avec l'intention de la terminer dans sa chambre en toute quiétude.
— Krauss a relâché ton petit copain polonais, ce matin, dit Hoffmann dans son dos. Tu pourras aller lui dire bonjour, si tu veux. Je lui ais demandé de semer des carottes. Depuis Gebbert, on n'en a plus.
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S U A H N I E B
Historical Fiction1938. Un obscur Institut nazi ouvre ses portes en pleine Forêt Noire. Pour Viktor, accusé d'infraction au paragraphe 175 du code pénal, se retrouver à la tête de ce qui ressemble plus à une ferme qu'à un centre de recherches universitaires constitu...