19 Hans

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Le bureau de Vogt était semblable aux centaines d'autres possédés par le SD. Se trouvaient là le portrait réglementaire du Reichsführer Himmler, le presse-papier en forme d'aigle, le buvard aux rebords en cuir et une machine à écrire tout ce qu'il y avait de plus banal. Ayant retrouvé toute sa contenance, Vogt avait sorti la carafe de cristal remplie de gin rare pour l'occasion. Il lui proposa de s'asseoir et il s'installa dans un des deux sièges peu confortables situés en face de la table de travail, tout en se demandant combien de Max Bodmann s'étaient un jour retrouvés là, face à un double de Vogt en costume mal taillé. Au moins Todt et Siegler avaient-ils disparu, eux qui se trouvaient encore là il y a un quart d'heure à peine. Il n'avait que très moyennement apprécié de retrouver ce dernier dans la confidence ; ça lui avait donné l'impression que le contrôle était en train de lui échapper, ce qui était le cas.

— Je regrette de ne pas avoir pu enregistrer, annonça Vogt de but en blanc sans prendre place à son bureau, probablement trop nerveux encore pour rester en place plus de quelques minutes.

— La prochaine fois, dit von Falkenstein en essayant d'adopter une attitude conciliante. C'est pas que je n'apprécie pas votre compagnie, docteur, mais il se fait tard.

— Oui, oui, répondit Vogt avec un large geste de son verre bien rempli. Désolé pour ça, vraiment, mais je travaille nuit et jour, comme vous vous en doutez. Vous voulez une goutte pour vous réveiller ?

L'air qu'il prit à la mention du gin suffit à lui apporter une réponse muette et claire.

— Saleté d'hygiéniste, commenta Vogt sans ressentiment aucun, avant d'avaler une gorgée. Vous ratez quelque chose. Je voulais vous parler en privé.

— Je vous écoute, fit-il en priant pour que la discussion ne s'éternise pas.

— C'est un peu délicat, le prévint Vogt, les yeux plongés au fond de son verre comme pour évaluer la quantité restante. Votre rapport à cette fille, quel est-il exactement ?

Il s'était attendu à cette question. Pour qui avait le même sens aigu de l'observation que Vogt, elle était légitime. On ne mentait pas à ceux de son acabit. Il inspira profondément, à la recherche de la meilleure formulation. D'une formulation acceptable.

— Je suppose que je m'y suis attaché, dit-il enfin. Je ne souhaiterais pas la voir malmenée sans nécessité.

L'explication parut convenir. Vogt se relâcha imperceptiblement et il comprit qu'il l'avait eu.

— En a-t-elle besoin ? demanda-t-il en reposant son verre. D'être malmenée pour obéir, je veux dire ?

— Rarement. C'est arrivé. Ça va lui passer.

Vogt eut l'air sincèrement soulagé.

— Je ne suis pas complètement insensible, vous savez, dit-il ensuite en s'asseyant enfin. L'idée de... enfin, comme tout un chacun, j'ai mes limites. J'essaie d'esquiver quand il s'agit de femmes, ajouta-t-il sur le ton de la confidence. D'autres préfèrent. Pas moi. Ils utilisent les chiens... pour les...

— Je pense avoir saisi, coupa von Falkenstein sans parvenir à cacher son dégoût. Sans vouloir me montrer malpoli.

— Enfin, bon, dit Vogt en donnant soudain l'impression de porter un poids indicible sur ses épaules. Je suis content si vous m'assurez qu'on n'en arrivera pas là, vraiment. Vous lui avez fait des papiers allemands, de ce que j'ai vu. Adehlaïde, hein ? C'est très joli. C'est vous qui avez choisi ?

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant