6 von Falkenstein

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Il ressortit du bloc douche en grelotant si fort qu'il eut des difficultés à s'habiller. Il détestait cet endroit et celui-ci le lui rendait bien. L'eau, en plus d'être glaciale, puait le calcaire et la rouille. Les sanitaires carrelés de blanc cassé étaient la définition même de l'enfer tétanique. Une humidité mousseuse y régnait, collant à sa peau même après qu'il se soit tant bien que mal séché à la serviette. Il allait devoir renoncer à la course dès le matin. Une douche de plus, et il allait se retrouver avec une solide bronchite. Son uniforme était froissé et il supposait qu'aucune blanchisserie digne de ce nom ne se trouvait à moins de cent kilomètres d'ici. Il allait faire avec.

Il avait froid. Il n'avait pas dormi de la nuit. Il allait devoir procéder à de la charcuterie sur des cadavres bien pourris en ayant l'estomac vide. Son humeur, déjà guère brillante au demeurant, venait de virer au massacre. Ce docteur Krauss allait regretter de l'avoir convoqué, il s'en fit la promesse. Il s'enroula dans sa gabardine et marcha d'un pas rapide dans le couloir, tentant de se réchauffer par le mouvement. Peine perdue. L'étreinte brumeuse de ce matin imprégnait son épiderme, tout comme le savon de qualité industrielle qu'il avait utilisé.

Des éclats de voix dans la cuisine lui indiquèrent qu'il avait pris la bonne direction. Ici, le poêle perpétuellement en marche dissipait une grande partie de l'atmosphère gelée. Le crétin de lieutenant et son larbin s'y étaient réfugiés en compagnie du première classe Gebbert, de Zallmann et de celle qui s'appelait Nina. Sous le regard goguenard de cette dernière, il s'empressa de tirer une chaise près du poêle pour s'y installer.

— Alors, comment étaient nos douches, Hauptsturmführer ? s'enquit Zallmann avec une prévenance hypocrite. Pas très bien isolées, n'est-ce pas ?

— Je ne referais pas deux fois la même erreur, répondit-il avec un sourire forcé. Merci, fit-il ensuite à l'adresse de Gebbert qui lui tendait un gobelet rempli à ras-bord de caféine.

Son sale chien blanc n'était plus là.

— Nous avons remisé les cercueils dans la cave de ce bâtiment, poursuivit Zallmann tandis que Jensen glissait sa grande carcasse en bout de table pour s'emparer du pain et du beurre. Il y en a onze. Le douzième est dans l'infirmerie.

— Merveilleux, dit von Falkenstein avant de pêcher son étui à cigarettes à l'intérieur de son manteau.

— Je vais sortir des batteries pour qu'on puisse brancher les lampes, ajouta Gebbert. Je sais pas où elles sont, par contre.

— À la cave, dit Nina. Pas loin des cadavres.

Elle avait dit cela avec une grimace répugnée. De tous ceux présents ici, c'était elle qui l'insupportait le plus. À se promener ainsi la tête haute parmi les hommes sans en appartenir à aucun. Des pantalons, pas d'enfants, des diplômes, et puis quoi encore ? Si ça ne tenait qu'à lui, elle aurait fini dans un Lebensborn dès demain, à faire la seule chose à laquelle elle était apte de par sa nature : se reproduire. Elle se savait illégitime, bien sûr, elle n'était pas aussi bête ; détournant le regard à chaque fois qu'elle croisait le sien. Elle avait tout intérêt à se faire petite, sinon elle non plus, il n'allait pas la rater.

Le petit-déjeuner se déroula dans le silence. Gebbert et le sergent Lutz mangèrent debout faute de place dans l'étroite cuisine. Puis, sur ordre de Zallmann, ils partirent nettoyer le camion à l'eau pressurisée.

— Douze corps, soupira ce dernier en balançant sa tasse dans l'évier déjà plein. Je me demande à quoi pensait Viktor en nous envoyant autant de macchabées. Y a personne qui lave jamais rien ici ou bien ?

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant