Il s'attendait à tout, sauf à cette petite traînée maigrelette. Elle ressemblait davantage à une sauvageonne qu'à une fille de ferme ordinaire.
— Est-ce que tu comprends quand je te parle ? lui demanda-t-il en russe. C'est Ania, c'est ça ?
Silence. Elle souleva l'écureuil à la fourrure froissée et y planta les dents. Fasciné, il vit le sang gicler doucement et lui couler sur le menton. Elle engloutit un bout de chair filandreuse avec un bruit qui lui rappela une épaisse éponge qu'on essorait. Il ne savait pas très bien pourquoi, mais il avait soudain envie qu'elle vienne lui bouffer la main de la même manière. Quelque chose d'indistinct se mit à cabrioler au niveau de son estomac tandis qu'il observait les minces fils des tendons rosés et les muscles, plus rouges et épais, qu'elle tirait du bout des canines pour mieux les détacher.
— C'est quoi son problème, à celle-là ? s'exaspéra Jensen.
Il s'avança vers la fille, dans l'intention manifeste de lui arracher la chose morte des mains. L'instant d'après, il se retrouvait catapulté. Le souffle coupé, il s'affala de tout son poids contre la paroi aveugle de la maison, dans un craquement d'os nauséeux, son képi voltigeant dans les airs.
Quand la gamine se retourna vers lui, von Falkenstein eut l'impression de rater une marche, comprenant que c'était elle qui avait fait ça. Elle tenait toujours le cadavre de l'écureuil dans une main et le suc lui coulait sur le poignet, fumant dans l'air glacial. Écarlate, une écume malsaine maculait sa bouche alors qu'elle le gratifiait de son plus bel air de complète idiote.
Il sentit un contact troublant au niveau de ses épaules, comme si quelqu'un essayait de le tirer en arrière, très fermement. Il vacilla, mais cette impression de déséquilibre s'effaça aussi soudainement qu'elle était venue et il se redressa juste à temps pour voir le visage mince de la gamine exprimer l'incompréhension à l'état pur. L'écureuil lui échappa des mains, s'écrasant au sol dans un bruit spongieux. Se déplaçant à reculons, elle le fixait avec un mélange de stupeur et d'effroi. Le contact sur son épaule revint, aussi faible qu'une tape, et von Falkenstein sourit. Quoiqu'elle essayât de lui infliger, cela ne fonctionnait pas.
— Anioucha, ne reste pas là ! hurla une voix d'homme enrouée en provenance de l'entrée de la maison. Va-t'en !
— C'est ça, dit von Falkenstein. Reste ici, plutôt.
Elle continuait à reculer. Puis, trébuchant à cause de ses grolles, elle se mit à courir le long de la berge.
Sans réfléchir et sans s'assurer de l'état du crétin de lieutenant toujours prostré contre le mur de la masure, von Falkenstein s'élança à sa poursuite. Malgré ses chausses de paysanne, elle restait beaucoup plus légère que lui. Volant d'un pas leste, elle n'eut aucun mal à le distancer dès le début. S'empêtrant dans son manteau qui gênait l'amplitude de ses mouvements, jurant entre les dents, il essayait de la suivre tant bien que mal. Taillées pour marcher au pas de l'oie et non pas pour les pistes olympiques, ses semelles cloutées dérapaient dangereusement sur le verglas. Si seulement il n'avait pas tout ce barda sur lui, il l'aurait rattrapée pour de bon. Tout ce qu'il parvint à faire, c'est de la talonner pendant quelques secondes, dans un effort douloureux, l'air glacial lui sciant les poumons, avant qu'elle ne bondisse en avant, piquée par la terreur. L'uniforme le ralentissait plus que de raison.
Elle pila net devant la rive glacée de l'étang droit devant elle.
— Viens ici, répéta-t-il, le souffle court, comme il parlerait à un chien désobéissant.
C'est ce qu'elle était, après tout. Un point de souffrance aiguë lui cognait les côtes. Il avait perdu son képi en route, ses pieds lui faisaient vivre le martyre à cause des bottes de cavalerie, mais il triompha. Il abaissa son rythme jusqu'à la marche, soufflant un peu. Elle n'avait nulle part où aller, désormais. Plus que dix mètres et il l'attraperait. La gamine lui jeta un regard inquiet par-dessus son épaule, puis à l'étang. Elle tergiversait.
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S U A H N I E B
Ficción histórica1938. Un obscur Institut nazi ouvre ses portes en pleine Forêt Noire. Pour Viktor, accusé d'infraction au paragraphe 175 du code pénal, se retrouver à la tête de ce qui ressemble plus à une ferme qu'à un centre de recherches universitaires constitu...