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morte morte morte elle était morte foutue gazée dans un camion oh par le tuyau relié au pot d'échappement et ils avaient marqué que c'était un infarctus il avait marqué que c'était un infarctus il le lui avait dit pourtant il savait il savait il savait depuis le début et maintenant elle était morte morte morte pourquoi avait-il ouvert cette foutue lettre

Pire. Il n'avait plus envie de boire.

Du tout.

Depuis deux mois.

La consigne avait été claire. Arrête de boire. Il l'avait perçue, aussi nettement qu'un tatouage à l'acide qu'on lui aurait gribouillé sur le front. Dans la tambouille souffreteuse et geignarde qui remplaçait désormais sa conscience, cet ordre le renvoyait encore à l'ancien lui. On lui avait dit d'arrêter et il s'était exécuté.

Arrête de chialer et de culpabiliser et juste

Arrête de boire

ah ce qu'il était bon pour obéir quand même y avait pas à dire il pouvait en être fier de suivre les ordres jusqu'au bout même jusque dans

la

fosse

dans la fosse morte morte morte comme SA PUTAIN DE SŒUR

N'y pensons plus, lui dit l'ombre. Marchons. Que chantez-vous, vous autres, quand vous marchez ? Des Geyers Schwarzer Haufen ?

AH NON PAS ÇA, ÇA C'ÉTAIT LUI QUI

À L'HOPITAL ET JE NE VEUX PLUS

Y REPENSER

D'accord, d'accord, répondit l'ombre. Mieux, alors. Les SS vont à l'ennemi et chantent un chant d'enfer. Ce qui est bien, avec vous autres, c'est que vous n'avez vraiment pas peur de la mort. C'est pour ça, le crâne sur la casquette, hein ? Ne réponds pas. Je sais déjà. C'est mieux, pour te parler et pour tout savoir, maintenant que tu ne bois plus.

il n'aurait jamais dû l'écouter cet ordre et arrêter de boire car désormais cette chose collée, cette chose interdite, elle était entrée et elle le déchirait elle le déchirait littéralement il y avait de la peau partout et des cheveux aussi et du sang

Rouge rouge rouge, oh le beau rouge, c'est marrant ça, vous avez des drapeaux de la même couleur c'est pas ironique ça un peu hein Wolff ? FALLAIT PAS L'ÉCOUTER tant pis pour toi tant mieux pour moi ; oh c'était pas intentionnel de sa part, je pense. Il ne pouvait pas savoir. Pas vrai ? M'est avis qu'il n'a pas fait exprès. Difficile de deviner, avec ceux-là. Depuis que le fondamental part en vrille, en plus...

étaient-ce ses propres doigts qui venaient de tomber sur le plancher était-ce sa propre langue qu'il venait de sectionner entre les dents et qui lui descendait désormais dans la glotte car il la déglutissait

était-il en train

de mourir mais bien entendu, enfin pas vraiment mais on se comprend, toi et moi n'est-ce pas ? On va marcher, oui, on va marcher même si tes tendons viennent de claquer, et puis, vous en avez des tas de trucs, pour marcher, n'est-ce pas ? Comment vous avez fait ? Votre Blitzkrieg, là. Sous amphétamines, Wolff, sous panzerschokolade, c'est marrant ça aussi, non ? Des automates et de la chimie, voilà ce que vous êtes ! Y'a pas à dire ! Si votre Viktor comprend, s'il comprend ce qu'on est vraiment, vous l'aurez, votre Reich de mille ans.

C'est pas censé se passer comme ça. J'ai pas demandé à être là. C'est pas ça, l'existence. Pourquoi vous avez touché au fondamental ? Pourquoi dois-je penser comme vous et vous mimer ? Vous êtes si malades. C'est répugnant. Je suis répugnant. Non mais est-ce que tu m'as bien regardé ?

il essaya mais il n'avait plus d'yeux et c'était le noir et le marais, le sol était visqueux et il rampait, parmi les restes, parmi ses propres membres et ses entrailles, sans pouvoir hurler, sans pouvoir parler

C'est pas grave ça, le rassura l'ombre. Tant qu'on peut marcher. C'est toujours : « en avant ! », et le Diable rit fort et carrément, ha, ha, ha, ha et braillant, elle se mit à tambouriner la marche, tandis qu'il se levait.

*

MARCHE, lui disait-elle et il marchait, même s'il n'avait plus vraiment de pieds. Sa chair malmenée claquait à chaque pas. Des lambeaux s'en détachaient, s'éparpillant en morceaux sanguinolents au fur et à mesure qu'elle le délogeait, qu'elle poussait tout ce qui le constituait pour prendre sa place comme il enfilerait son uniforme. Son dos était tordu par une tétanie barbare. Sifflant, il tentait de hurler et rien ne sortait. Ses propres yeux lui coulaient sur la joue ; ils avaient crevé comme un œuf trop cuit.

Omelette, lui rappela l'autre. Ça les avait fait bien rire. Marche.

Toujours voulu savoir ce que ça faisait, d'être à votre place. De marcher, de toucher et d'entendre. Avant de vous déchirer, bien sûr.

Bah, c'est nul à chier, Wolff. Marche.

Ses pas traînants résonnaient dans un espace clos, puis ouvert. L'air froid lui fit l'effet d'une douche lancinante. La douleur resta derrière lui. Magnanime, l'ombre la lui avait enlevée comme elle s'était débarrassée de sa peau pour ne lui laisser que le plus fonctionnel.

On a un problème, tu sais. C'est elle. C'est pas normal, ça. Non content de tomber en morceaux, un peu comme toi, le fondamental s'est mis à distribuer... disons... à distribuer... des parts de lui-même et ce n'est pas bien, ça, ce n'est pas normal du tout... votre faute...

Nous on peut pas la toucher, parce que c'est un peu comme s'arracher un membre, tu vois ? Ce n'est guère agréable. Mais avec toi, on va y arriver, j'en suis sûr. Avec tes mains. On va la déchirer, Wolff. On va la déchirer, puis on va aller creuser, pour l'enterrer, pour la rendre au fondamental et alors peut-être...

Ce qui restait de ses pieds râclait le sol. Tout près, il entendit des chiens aboyer en se jetant contre une grille.

Peut-être qu'il ira mieux... que toi et moi on ira mieux... mais j'en doute... parce qu'entre nous, c'est vous les monstres. Des monstres triviaux, pathétiques, à l'esprit si petit, et pourtant ! Vous avez réussi à fracturer l'ESSENTIEL, tu comprends ? Vous avez creusé si profond que vous avez touché la trame, et c'est irréparable. Ça vaut le coup d'essayer quand même, tu ne crois pas ? C'est pas comme s'il te restait quelque chose à perdre. De la chair, tout au plus. 

Marche.


S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant