Il n'y avait nulle trace de l'atroce Obersturmbannführer dans ses quartiers, si bien qu'il repartit bredouille aussitôt, et à force de poser des questions à droite et à gauche avec une insistance croissante, le remplaçant de Lutz (dont il n'avait pas retenu le nom, pour changer) finit par lui lâcher à contre-cœur que l'intéressé devait se trouver à proximité du second chantier. N'ayant jamais eu vent de celui-ci, il garda son étonnement pour lui. Il se rendit à l'endroit indiqué, bien plus à l'ouest, près d'une remise laissée à la déréliction pour y découvrir un petit groupe de détenus ruisselants de sueur en train de creuser les fondations d'une cuve carrée qui présentait de troublantes similitudes avec une future piscine. Sa surprise laissa place à la moquerie puis à la désolation. Il faisait tellement doux que sa courte course à travers tout le domaine lui avait à nouveau fait abandonner la veste, qu'il gardait pliée sur un bras sans pour autant se sentir déplacé ; tout autour du trou ressemblant à la fois à une énième fosse commune et à un bassin d'agrément, chaque garde s'était également débarrassé de sa vareuse, Vogt y compris, livrant au monde un maillot de corps tâché de la graisse de son repas précédent et d'imposants bras velus.
Onze heures sonnaient à peine mais la chaleur exceptionnelle pour la mi-mai continuait à monter, et sûrement à l'œuvre depuis l'aube, certains polonais, déjà épuisés par les travaux au camp, commençaient à trahir des signes de fatigue que Vogt scrutait d'un œil attentif.
— Herr Obersturmbannführer, s'annonça-t-il en grimpant le talus pour s'arrêter à sa hauteur, étourdi par cette soudaine canicule et le soleil hargneux.
— Donnez lui de l'eau, dit Vogt sans le regarder. Je l'entends haleter d'ici.
Un de ses hommes fit mine de sauter dans la trouée avec une gourde et il l'arrêta d'un geste.
— Mais pas à eux, bougre d'imbécile, s'agaça-t-il. À lui ! ajouta-t-il en le pointant du doigt. Il va nous tomber dans les pattes, sinon et comment je justifie la mort de notre délégué du RuSHA au milieu de ma future piscine ?
Il se tourna enfin vers lui alors qu'il vidait une grande gorgée de la gourde métallique que le soldat venait de lui remettre. Il n'avait jamais très bien supporté la période chaude s'étendant dans la région de mai à septembre. Le moindre effort le laissait brûlant et poisseux de sueur, ce qui n'échappa guère à Vogt.
— En voilà un qui ne supporte pas les bons jours comme tout le monde, constata-t-il. Comment vous avez fait, l'été dernier ?
— À vrai dire, Herr Obersturmbannführer, j'ai dû le passer dans l'étang, répondit Hans en s'essuyant la bouche.
— M'étonne pas de la part d'un reptile de votre genre, dit Vogt en se détournant. Qu'est-ce que vous voulez ? Ça doit important, si vous prenez la peine de courir partout à ma recherche.
— Relativement important, oui, admit-il. Mannheim nous a accordé leur Hauptsturmführer Laurentz, qui sera là en temps et en heure.
— Parfait. Cela dit, vous auriez pu vous contenter d'une note de service, lui fit remarquer Vogt. J'en conclus qu'il y a autre chose.
— Tout à fait. Il s'agit de... commença-t-il, s'interrompant aussitôt.
Plus bas, un des polonais venait de trébucher, s'étalant de tout son long, incapable de manier son outil une minute de plus, ce qui arracha un sifflement contrarié à Vogt. Un de ses congénères essaya de l'encourager à se relever en le secouant par l'épaule et n'insista pas plus de quelques secondes, vite chassé par sa propre peur.
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S U A H N I E B
Historical Fiction1938. Un obscur Institut nazi ouvre ses portes en pleine Forêt Noire. Pour Viktor, accusé d'infraction au paragraphe 175 du code pénal, se retrouver à la tête de ce qui ressemble plus à une ferme qu'à un centre de recherches universitaires constitu...