9 von Falkenstein

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Dans le petit poste de soins, improvisé à l'intérieur d'un ancien corps de ferme, s'il se fiait au foin répandu au sol, cela hurlait de tous les côtés et souvent, il devait gueuler encore plus fort pour se faire entendre.

Il pesa de tout son poids sur la scie récalcitrante et celle-ci finit par sectionner l'os de la main. Celle-ci tomba avec un choc mat dans le seau placé sous la rudimentaire table d'opération. Le garrot mal ficelé, que l'infirmier avait posé à la hâte au niveau du coude, ne lui épargna pas la giclée de sang sombre, qu'il se prit en pleine poitrine, jusqu'au menton. C'était chaud et ça sentait la rouille. Il s'ébroua, jeta la scie sur le côté, lutta contre le réflexe primitif qui le poussait à se gratter le nez et passa à la suture. Puis il chercha les pansements du regard.

Bien entendu, il n'y en avait pas.

Sur la table en bois, recouverte d'un drap qui avait été blanc, le soldat vêtu de l'uniforme sale de la Wehrmacht gigotait si fort que son apprenti du moment dut le tenir par les épaules. Immobilisé par la contrainte, les yeux écarquillés, il agita son moignon ensanglanté en criant de toutes ses bronches, émettant des bruits insupportables de goret. Mettant enfin la main sur un paquet de gaze, von Falkenstein en déchira une certaine longueur et l'imbiba de teinture d'iode rougeâtre. Il voulut enrouler le moignon du soldat dans la gangue de tissu, mais ce dernier, souffrant beaucoup, bougeait encore trop malgré les efforts évidents de l'infirmier.

— Tenez-vous tranquille ! lui aboya-t-il. Il y en a qui essaient de vous soigner ici, ça se voit pas ?

— J'ai mal, réussit à expectorer son patient. Faites quelque chose.

— Vous avez pas assez mal pour arrêter de parler, dit-il. C'est bon signe.

Le gaillard en uniforme feldgrau poussa un glapissement aigu quand il plaqua les bandages sur sa plaie aux sutures encore à vif. Il les serra consciencieusement et n'y tenant plus, l'autre se remit à déblatérer.

— Je vous déteste ! hurla-t-il, sanglotant à moitié, essayant de se rouler sur le côté pour lui échapper. Vous et votre accent de merde ! Donnez-moi de la morphine ! Vous avez pas le droit ! C'est contraire à...

— À quoi exactement ? répliqua von Falkenstein tandis que l'infirmier maîtrisait de son mieux la crise du blessé en le plaquant de nouveau par les épaules.

Il se pencha sur le visage grimaçant et boueux. Probablement révulsé par l'état de son masque de chirurgie, à la fois imbibé de sa propre salive et de sang séché, son patient du moment cessa de bouger pendant un court instant.

— À quoi exactement ? lui hurla von Falkenstein en pleine figure. J'ai plus d'anesthésique, gottverdammt ! Vous voulez que je consigne votre plainte et que je la transmette à la Croix Rouge ?

— Je veux changer de chirurgien ! se mit à brailler l'autre, rendu à moitié fou par la douleur.

Il finit par s'évanouir. Un soulagement, autant pour lui que pour von Falkenstein. Une partie du stock pharmaceutique étant retournée au néant lors de l'attaque d'un des camions de ravitaillement, lui et son équipe s'étaient très vite retrouvés à court de certains produits. Dont les barbituriques. Sans procaïne ni thiopental, il opérait donc la plupart du temps à vif. Enfin, comme il s'en était très vite rendu compte, « opérait » était un bien grand mot. Il arrachait les chairs trop abîmées à la cisaille quand il n'avait pas le temps de les découper proprement ; c'est-à-dire, presque toujours. Désinfectait. Recousait. Leur hurlait souvent de la fermer parce qu'il n'arrivait pas à se concentrer. Recommençait ensuite.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant