7 Ania

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Elle demeura au seuil, ses pieds enfoncés dans un de ces luxueux tapis dont le docteur Krauss était un consommateur invétéré, les mains jointes en un nœud inextricable, osant à peine respirer et incapable d'aller dans un sens comme dans l'autre, les jambes figées dans un sol devenu béton. Même sans le voir, elle sentait le regard de von Falkenstein la détailler avec une attention dépourvue de pudeur et quand elle se résolut enfin à lever la tête, elle remarqua qu'il lui souriait à demi, comme s'il ne l'avait jamais amenée au bord d'une fosse fraîchement creusée pour qu'elle regarde Lutz abattre des hommes un par un ; comme si cette nuit n'avait jamais eu lieu, pas plus que les insomnies épisodiques qu'elle connaissait depuis, ni les visions terrifiantes venant après, ni le fait qu'elle n'avait pas supporté la solitude durant les dix jours suivants, contraignant Anneliese à coucher dans le même lit qu'elle. Rien de tout cela ne se retrouvait dans son expression. Il effaçait ce cauchemar d'un simple sourire, le reléguant au rang de la non-importance, ne comptant nullement s'en excuser ou même de reconnaître qu'il avait bien eu lieu et Ania en tira une reviviscence étrange.

— Ne reste pas plantée là comme une crétine, lui dit-il en tapotant le rebord non loin de lui. Approche.

Elle s'anima bien malgré elle. Tout cela sentait le piège. Elle redoutait les moments où elle se retrouvait seule avec lui, bien qu'elle les cherchât avec une obstination mortifère.

— Où est le docteur Vogt ? demanda-t-elle.

— En retard. C'est l'apanage des monarques, ils nous condamnent à attendre, répondit-il sans chercher à la corriger sur le grade de l'intéressé. C'est donc ça, ce que t'as choisi ? Tourne un peu, pour voir.

Il croisa les bras tandis qu'elle obéissait, sans y mettre trop d'enthousiasme.

— Elle est correctement coupée, commenta-t-il. Et pas trop courte. C'est bien.

Ce n'était pas vraiment un compliment, c'en était même loin, si bien qu'Ania ne répondit pas, se contentant de rester plantée en face de lui jusqu'à ce qu'il décroise les bras en soupirant.

— Assieds-toi, dit-il en posant à nouveau le plat de la main à côté de lui.

Par esprit de contradiction, elle s'installa bien plus loin que la place indiquée. Un courant d'air lui mordit le dos. Il lui suffirait de basculer inopinément en arrière pour tomber d'assez haut et se briser la nuque et cette certitude avait quelque chose d'indéniablement grisant. D'un geste agacé, il reprit le képi noir posé entre eux et le glissa sous son bras. Étant déjà bien trop près à son goût, il s'approcha encore et quand il tendit la main en direction de son encolure, Ania eut un mouvement de recul spasmodique.

— Arrête de sursauter comme ça, la prévint-il en réussissant tout de même à attraper la chaînette passée autour de son cou. C'est très vexant en plus d'être dangereux.

Pendant un court instant, elle pensa que von Falkenstein allait à nouveau lui arracher le bijou, ce qui était tout à fait stupide. Comme il se penchait pour examiner le médaillon, elle se surprit à retenir son souffle, tout son corps se tendant sous l'alerte et elle pria pour que ce réflexe passe inaperçu.

— DeWitt te l'a enfin donné, constata-t-il en lâchant la chaîne.

Ania s'empressa de la cacher, la coinçant de telle manière dans son sous-vêtement que l'extraire soit impossible pour quelqu'un d'autre qu'elle.

— Je n'y croyais plus, ajouta-t-il. Elle n'avait pas l'air spécialement ravie de servir d'intermédiaire, comme pour cette robe.

Elle parvint à réunir assez de courage pour lui présenter l'élémentaire politesse que la situation exigeait et ce fut comme recracher du verre pilé.

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