17 Hans

30 7 22
                                    

L'éminent docteur Vogt était encore plus moche que dans ses lointains souvenirs et il n'aurait pas cru cela possible. Jamais il n'avait vu quelqu'un arborant pareil visage. Lorsqu'il l'avait eu en tant que professeur à Kaiser Wilhelm, il n'avait ressenti que gêne et répulsion face à ces traits sans âge, qui semblaient avoir fondu. Les joues s'affaissant autour d'une paire de lèvres inexistantes, sourcils clairsemés, sa face à la peau grêlée, comme brûlée, était traversée de minuscules cicatrices pâles. Derrière ce masque d'une teinte bistre se dévoilaient des yeux quelconques, ni vraiment verts, ni vraiment bruns. Décoré de la Croix de Fer lors de la Grande Guerre, il s'était pris une balle dans la mâchoire supérieure alors qu'il venait à peine de fêter ses dix-huit ans, si bien qu'une hideuse cicatrice plissée lui déformait la moitié de la joue droite. Pour ne rien arranger, une fois devenu éminent professeur de chimie, Vogt s'était mis en tête de trouver un remède à l'ypérite. Un fiasco total qui se termina par une fuite accidentelle dudit gaz-moutarde dans son laboratoire de recherches. La dose à laquelle il se retrouva exposé était faible, mais amplement suffisante pour ravager son visage – enfin, les restes épargnés par la balle, tout du moins. Vêtu de feldgrau de pied en cap, il arborait fièrement sa médaille et ses insignes de commandant du SD. La poigne qu'il lui tendit était à la fois solide et adipeuse.

— Vous avez pris du galon, depuis la dernière fois, constata Vogt en prenant place en face d'eux.

Son regard glissa sur la gamine pendant une fraction de seconde sans que son expression ne se modifie d'une quelconque manière. L'intéressée surmonta assez sa stupéfaction pour lui adresser un bonjour empreint de politesse. Vogt faisait très souvent cet effet-là. Il lui avait fallu plusieurs semaines de démarches ardues et assommantes avant que cet important col-blanc ne daigne le rencontrer. Le fait qu'il eut autrefois été un de ses étudiants les plus brillants n'avait pas pesé grand-chose et il avait quand même dû se coltiner des heures et des heures d'attente, de courriers, d'allers-retours au secrétariat général du SD, puis au secrétariat particulier de Vogt lui-même avant que le pacha ne descende de son trône. Et encore, il le soupçonnait de céder qu'à cause de son ennuyeuse persévérance : pour preuve, il lui avait donné rendez-vous dans un café, bien loin des locaux officiels et des regards indiscrets. Il était aussi venu seul, privé de toute escorte, ce qui n'était guère encourageant. Lorsque le Reich prenait quelque chose au sérieux, il s'empressait de former une commission et il y dépêchait tout un vivier de costumes et d'uniformes et plus y en avait, meilleur signe c'était. Vogt ne s'était même pas embarrassé d'emporter de la paperasse.

— Merci d'avoir accepté de me rencontrer, lui dit von Falkenstein.

Vogt inclina la tête d'un air magnanime.

— Mais je vous en prie, c'est la moindre des choses, répondit-il comme s'il ignorait tout du cirque kafkaïen qu'il avait dû subir avant d'en arriver là. Alors, comme ça, c'est l'Institut de l'Ahnenerbe qui vous envoie ?

Le mépris était à peine voilé. Se disant, Vogt dévisagea la gamine une fois de plus, plus longuement, sans trahir la moindre once d'intérêt.

— Je ne suis plus à l'Institut, dit von Falkenstein. Je suis là à la demande du directeur-adjoint Zallmann

— Ah. Et il est où, le directeur-adjoint Zallmann ?

La gamine s'agita un peu sur son siège avant de replonger dans son cacao désormais tiédasse.

— Il vous prie de l'excuser, il n'a pas pu se joindre à nous. Un malheureux accident qui lui a couté une cheville, répondit von Falkenstein, conscient de s'aventurer en terrain glissant.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant