Tremblante et épuisée, elle se cramponna à son bras tout le long du chemin jusqu'au manoir, qu'ils firent en compagnie d'un docteur Krauss passablement furibond et d'un garde doté d'une lampe torche. Elle ne pipa mot du trajet et ne lâcha sa manche qu'une fois à l'intérieur du grand bureau, avant de s'installer sur une banquette sans que son dos ne touche le dossier. Son visage figé ne trahissait qu'une stupeur contenue. Elle n'avait ni pleuré ni supplié, cette fois, et il lui en était vaguement reconnaissant. Quand il s'assit non loin d'elle, elle lui saisit aussitôt la main et ses doigts étaient glacés.
— Tu as froid ? lui demanda-t-il.
Elle se contenta d'un signe qui ne signifiait rien et dit :
— Je ne sais pas.
— Tu devrais boire quelque chose de chaud.
Continuant de fixer un point invisible quelque part à ses pieds, elle répondit après un court silence :
— Je ne dirais pas non à un thé.
Non loin, Krauss eut une moue méprisante. Gênée, elle retira aussitôt sa main pour l'enfouir sous ses propres cuisses.
— Pourquoi ça n'a pas fonctionné ? demanda-t-il en allant se poster contre sa table de travail fraîchement retrouvée.
Il se cala plus confortablement sur l'assise sans répondre.
— Pourquoi ça n'a pas...
— Laissez-la respirer, vous voulez bien, Viktor ?
Contrarié, Krauss leva les mains en signe d'impuissance.
— Très bien ! Très bien ! Je vais lui amener sa camomille.
Il ne put s'empêcher de rire.
— Je préfère le thé noir, dit-elle doucement. Mais une infusion, c'est bien aussi, docteur Krauss.
— Merde à la fin, lança Krauss. Tu auras ce que tu auras.
Elle garda les lèvres closes jusqu'à ce qu'il quitte la pièce et finit par retirer ses mains d'en dessous ses jambes pour les poser à plat sur ses genoux.
— C'est l'Obersturmbannführer Vogt qui ne va pas être content, dit-elle d'une voix morne.
— Je ne crois pas que je l'ai déjà vu être content de quoi que ce soit, même quand il avait deux genoux fonctionnels.
Cela ne parut pas la rassurer autant qu'il l'espérait. Krauss revint quelques minutes plus tard pour lui tendre une tasse fumante et comme elle ne manifestait aucune envie de la prendre, il se mit à pester entre les dents.
— Ce n'est pas la fin du monde, lui dit Hans en prenant la timbale. Vous avez un camp rempli à ras-bord de candidats et si, par miracle, vous arrivez à le vider d'ici la fin du mois, on vous en enverra d'autres.
— Certes, admit Krauss à contre-cœur avant de retourner à sa position initiale. Je veux quand même comprendre pourquoi c'était un échec. Deux morts et un autre qui se fracasse le crâne contre le mur, rendez-vous compte ! Qu'est-ce que je vais dire à Vogt, moi ?
— Bonne chance, commenta-t-il. Mais attendez au moins demain, sinon vous allez nous le rendre encore plus ronchon que d'habitude.
— Est-ce que tu as une explication à me fournir ? reprit Krauss, décidant de faire impasse sur sa désinvolture coutumière.
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S U A H N I E B
Historical Fiction1938. Un obscur Institut nazi ouvre ses portes en pleine Forêt Noire. Pour Viktor, accusé d'infraction au paragraphe 175 du code pénal, se retrouver à la tête de ce qui ressemble plus à une ferme qu'à un centre de recherches universitaires constitu...