1 Hans

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Peu avant deux heures et demie du matin, il crut percevoir une volée de coups timides assenés quelque part au loin et en profita pour tourner le dos à la porte, s'enroulant plus profondément dans la couverture par la même occasion. Le silence revint presqu'aussitôt. Il eut à peine le temps de bailler que les coups résonnèrent à nouveau, bien plus près, assénés cette-fois directement à la porte de sa chambre. Il ferma les yeux.

L'intrus cogna plus fort. Le bois émit un craquement. L'autre se mit à marteler un rythme méconnaissable tout en chantonnant une piètre imitation d'O Fortuna. Il supporta ce massacre de Carl Orff en silence et en serrant des mâchoires.

— Herr SS-Hauptsturmführer, dit la voix morne de Dahlke après qu'il se fusse lassé d'humilier le pauvre compositeur bavarois. C'est l'appel du devoir.

Il voulut dire que le devoir pouvait choisir une heure plus raisonnable pour l'appeler et renonça.

— Je démissionne, répondit-il à la place après s'être éclairci la gorge.

Dahlke éclata d'un rire sinistre. Il avait hâte qu'il se casse de sa piaule pour la sienne propre. Ce soir, il n'était pas loin de lui en foutre une.

— C'est le convoi, précisa Dahlke à travers la porte. Il est arrivé. Ils n'attendent plus que nous, apparemment.

Cette annonce le réveilla plus efficacement encore qu'une douche froide – qu'il n'aurait de toute manière pas le temps de prendre. En moins de cinq minutes, il fut debout et pratiquement habillé. N'ayant pas le loisir d'arranger sa coupe réglementaire à la brillantine, il dut se résoudre à y passer un peigne à l'eau, pour un résultat approximatif et insatisfaisant. Au naturel, il avait le cheveu épais et indiscipliné, ce qui lui donnait l'air assurément moins sérieux, et il devrait s'en contenter. Comme Dahlke était en train de secouer la poignée dans l'intention manifeste de l'arracher en psalmodiant son grade d'une voix monocorde, il décida de se brosser les dents en chemin.

— C'est mademoiselle Muller qui est venue toquer en premier, précisa Dahlke alors qu'il sortait enfin, essayant de s'occuper de son hygiène dentaire tout en refermant son ceinturon.

Il l'observa s'escrimer sans faire de commentaires. Von Falkenstein décida de laisser tomber la brosse à dents pour l'instant.

— Et elle est là à nous attendre dans le couloir ? demanda-t-il.

— Euh, je ne pense pas.

À vrai dire, Dahlke avait l'air aussi peu alerte que lui. Le bas de sa vareuse était boutonné de travers et le ceinturon manquait à l'appel. Étant donné qu'il était plus de deux heures du matin, von Falkenstein se résigna à faire l'impasse sur le code vestimentaire. Sans perdre plus de temps, ils traversèrent le couloir et descendirent de concert. Le martellement de leurs bottes dut réveiller tout l'étage. Képi coincé sous le bras, il en profita pour se brosser consciencieusement les molaires, ignorant l'air médusé dont le gratifiait Dahlke.

— C'est bon ? l'interrogea-t-il après avoir recraché la mousse de fluor dans un cendrier extérieur. Je n'ai rien sur la gueule ?

— Rien à signaler, répondit Dahlke, qui ne s'était jamais vraiment habitué à ses manies.

— Très bien.

Il essaya tant bien que mal de ranger la brosse à dents dans sa vareuse sur le chemin menant au portail du domaine. Où qu'il la mette, elle dépassait toujours, si bien qu'il finit par renoncer, l'enfonçant à la manière d'un stylo dans la poche de poitrine, ce qui lui valut un soupir exaspéré de la part de Dahlke. Il n'en eut cure. Toute son attention était happée par ce qui s'était installé au seuil de l'Institut. Quelques hommes de Vogt étaient en train de refermer le lourd portique dans un concert mêlant piétinement et ordres criés pour couvrir le bruit.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant