Mornglass

Chapitre Premier

  

Il est un royaume merveilleux, quelque part dans un monde lointain, protégé au nord par les Montagnes de l'Oubli, à l'est par le Désert de la Déception, à l'ouest par l'Océan des Tempêtes, bordé au sud par la Mer de Myrmiri et au trial par les vastes Plaines de l'Onde.

   (Qu'est-ce que le "trial" me demanderez-vous ? Tout simplement : le cinquième point cardinal de ce monde, qui en comptait jadis sept, avant que deux d'entre eux, le quarnal et l'arest, ne sombrent dans l'oubli on ne sait trop pourquoi, sans doute n'y avait-il pas grand chose d'intéressant à voir de ce côté-là et sans doute rien de spécial n'avait l'habitude d'en provenir : ni vent destructeur, ni hordes barbares, ni marchands chargés de denrées précieuses, si bien qu'à force de ne pas les utiliser, personne aujourd'hui ne se souvient de ces directions, qui continuent malgré tout d'exister sans se faire remarquer, quelque part entre le sud et le trial, à moins que ce ne soit entre l'est et l'ouest, on ne sait trop.)

   Dans le pays d'Eles - tel est le nom de ce pays merveilleux, que l'on prononce en général "élèss" et que l'on écrit parfois avec deux l ou avec un h au début, avec ou sans accents. Dans le pays d'Eles donc, la paix et la tranquillité sont assurées par la bonne entente entre la multitude des petits royaumes qui le composent. (Leur énumération serait fastidieuse, c'est pourquoi nous nous en passerons. Néanmoins, pour ceux qui tiendraient à connaître la géographie de ce monde avec davantage de détails, sachez que je me tiens à votre entière disposition pour partager mes connaissances sur le sujet.)

   Car n'allez pas croire que tout cela ne soit qu'un produit de mon imagination. Oui, ce monde existe vraiment. Et ses habitants d'ailleurs, si vous leur expliquiez qu'ils n'ont pas d'existence propre en dehors de mes rêves, vous regarderaient certainement d'un drôle d'air et finiraient vite par se vexer ou par vous prendre pour un fou.

   Où se situent-ils précisément par rapport à nous ? Quelque part dans la trame infinie de l'espace, à travers les couloirs du temps, dans quelque autre réalité, dimension ou rêve, qu'importe le nom que l'on donne à ces choses.

   Comment s'y rendre ? Il n'existe qu'un moyen : on ne peut s'y retrouver qu'en projetant son esprit dans celui de quelqu'un qui y habite déjà. Car l'équilibre entre les mondes est fragile et doit être préservé. Bien fou qui voudrait franchir les barrières en déchirant le voile de la réalité ! Les conséquences seraient à n'en pas douter funestes, pour le monde visité mais aussi et surtout pour le voyageur imprudent.

   Quelque part au centre du pays d'Eles se situe Mornglass, un modeste royaume qui n'a plus connu la guerre depuis bien longtemps.

   S'il est le plus petit des royaumes, Mornglass n'en est pas moins le plus agréable. Son doux climat, ses vertes prairies, ses châteaux féeriques et sa population paisible en font un endroit où il fait bon vivre.

   Quel intérêt dans ce cas, de raconter une histoire qui se passe là-bas ? Une forêt qui pousse fait moins de bruit qu'un arbre qui tombe, c'est sûr. Mais surtout, une forêt qui pousse, c'est chiant. Il ne se passe rien. On s'ennuie. Ce que réclame le public, ce sont des arbres qui tombent, tombent et tombent encore, avec éventuellement un petit chaperon rouge qui court entre les troncs pour ne pas se faire écraser. Le public veut de l'action, du suspense, du bruit et de l'effroi. Alors, me direz-vous, que va-t-il se passer dans ce tranquille petit royaume de Mornglass pour mériter qu'on en parle ? Restez avec moi, ne fermez pas ce livre, n'éteignez pas votre écran, ne zappez pas tout de suite. Car mon petit doigt me dit qu'il va y avoir du grabuge d'ici peu.

   Pour l'instant cependant, tout se passe bien.

   La princesse Priscille - car dans ce genre d'histoire il y a forcément une princesse - coule des jours heureux en compagnie de sa meilleure amie Anaïs.