Chapitre Vingt-trois

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— Comment sentez-vous cette guerre, chère Anaïs ? Un pronostic sur le nom du vainqueur ?

Assis nonchalamment sur la grande table du salon, le chat Lemnis contemple la jeune servante en train de prendre les poussières.

— Un pronostic ?! Vous imaginez-vous donc que ce n'est un jeu ?!

— Oh oui, tout cela est très divertissant. Cette agitation, ce grand remue-ménage, ça nous change de notre quotidien, vous ne trouvez pas ?

— Personnellement, je pourrais très bien m'en passer.

Pour le moment, ce qui ennuie surtout Anaïs, c'est qu'il se permette de poser ses sales pattes sur la table dont elle est censée s'occuper. Il va mettre des poils partout et c'est encore elle que l'on blâmera. Lui, il s'en fiche pas mal. De ça comme du reste d'ailleurs.

— Vous n'aimez pas la guerre ?

— Non.

— Vous avez tort : les guerres sont toujours un moment privilégié où les émotions sont portées à leur paroxysme. Toutes les émotions. La guerre est comme un orage qui doit éclater. Après, on se sent beaucoup mieux.

— Pour des malades comme vous, je n'en doute pas. Mais les gens sains d'esprit, eux, n'en récoltent jamais que du malheur.

— Vraiment ? Mais dans ce cas, si le fait d'être sain d'esprit fait du mal, quel pourrait bien en être le remède ?

Anaïs s'abstient de répondre. Il ne cherche qu'à la provoquer, inutile de lui donner satisfaction.

Se déplaçant d'un bout à l'autre de la table, le chat renverse sur son passage un verre vide, sans le casser heureusement. Anaïs lui jette un regard noir et remet le verre en place. Elle est sûre qu'il l'a fait exprès.

— Qu'en pense votre amie la princesse ? reprend-il après s'être remis en position assise.

Comme Anaïs s'obstine à ne pas répondre, il insiste :

— Pourquoi n'êtes-vous pas partie avec elle ? Vous seriez-vous disputées ?

Priscille est partie ce matin à l'aube avec le comte. Anaïs ne l'a plus revue et ignore où elle se trouve exactement. Depuis le départ des armées, il fait très calme au château d'Antyla.

— Si vous êtes venu uniquement pour me tourmenter, lance-t-elle, sachez que je n'ai vraiment pas besoin de ça !

L'animal reste silencieux pendant un long moment. Elle espère qu'il a compris et qu'il va enfin la laisser tranquille. Mais il reprend :

— Au fait, comment s'est passée votre petite escapade dans les sous-sols ?

Anaïs se fige. Comment est-il au courant ? Elle était sûre que personne ne l'avait vue. À part bien sûr cette créature monstrueuse. Et s'il allait tout raconter au comte ? Elle essaie de se rassurer en se disant que peut-être il bluffe. Et puis de toute façon, elle n'a rien fait de mal.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez.

La tête penchée, il reste à la regarder de ses yeux perçants. Derrière son dos, sa longue queue balance et menace de faire tomber d'autres verres, qui risquent bien cette fois d'éclater en mille morceaux.

— Je constate que ma conversation ne vous sied guère. C'est bien dommage.

Il se redresse et saute à terre.

— D'autant plus qu'il aurait été si facile d'éviter tout ça !

Juste avant qu'il ne disparaisse, elle l'interpelle :

MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant