Chapitre Quarante-quatre

83 12 0
                                    


La grande bataille est sur le point de commencer. Tous les alliés du comte sont rassemblés, prêts à se lancer contre l'ennemi. Ce dernier devrait se rendre compte qu'il n'a aucune chance. L'idéal serait qu'il dépose les armes avant même d'entamer le combat  ; ça ferait gagner du temps. D'un autre côté, il serait dommage de posséder une telle force de frappe et de ne pas s'en servir. L'armée du comte, en effet, est la plus grande jamais réunie dans toute l'histoire d'Eles. Il y a les troupes du roi de Fanstoche, avec leurs gros lézards à plumes qui ressemblent à des dragons. Même s'ils ne savent ni voler ni cracher du feu, ils font toujours bel effet sur le champ de bataille. La reine Bianca est là aussi, avec ses soldats aveugles  : toute une armée d'hommes aux yeux crevés qui utilisent leurs autres sens pour combattre. Le seul problème avec eux, c'est qu'il vaut mieux les tenir à l'écart du reste des troupes car, s'ils se reconnaissent entre eux, ils ont régulièrement tendance à confondre leurs alliés avec leurs adversaires. Mis à part ça, ce sont de très bons guerriers. Il y a aussi les chevaliers de Khorkal à la musculature surdéveloppée, revêtus de lourdes armures que nul autre qu'eux ne saurait porter. Il y a les chars de combat de Réavine  : de véritables maisons roulantes, entièrement cuirassées et actionnées par des boeufs. Il y a les hommes volants de Cîmès, les femmes-soldats du Tilican et les chevaliers de Mitegard qui chevauchent des loups géants. Il y en a tant et plus que le comte lui-même ne se souvient pas du nom de chacun.

Face à la plaine qui borde le fleuve, les principaux chefs sont rassemblés  ; ils attendent l'ordre fatidique. Tous savent qu'il peut tomber d'un instant à l'autre.

Non loin, l'ennemi a établi son campement sur une colline qu'il a essayé de fortifier du mieux qu'il peut. Maigre défense face à un tel déploiement de forces.

Une silhouette approche. Peut-être un émissaire venu négocier la reddition  ? Le comte Oltar voudrait ignorer ce qui ne peut être qu'une tentative pour gagner du temps mais ses alliés ne l'entendent pas de cette oreille  : s'il reste une possibilité de gagner la guerre sans effusion de sang, cela mérite d'attendre quelques minutes de plus.

À mesure qu'il avance, l'émissaire se révèle n'être qu'une frêle jeune fille. Choix étrange pour une délégation officielle.

Une rumeur se répand dans les troupes d'Oltar  : certains affirment avoir reconnu la jeune fille. Le nom de Saline de Khorkal est avancé. Effectivement, elle lui ressemble étrangement. Mais Saline a disparu il y a longtemps déjà. Elle a été kidnappée par des bandits il y de nombreuses années et on n'a plus jamais entendu parler d'elle. Certains affirment qu'il s'agit d'un fantôme tandis que d'autres pensent que c'est une ruse de l'ennemi.

Assis sur son trône, le comte Oltar reste silencieux, pensif. Contrarié.

— Ma fille  ! Est-ce bien toi  ?! demande le vieux roi de Khorkal en se levant péniblement de son siège.

Saline a le visage marqué par la fatigue et les épreuves, mais elle n'a pas vieilli.

— Oui, père  ! C'est moi  ! répond-elle d'une voix tremblante, nouée par l'émotion.

— Allons, allons  ! intervient le comte. Il ne s'agit évidemment que d'une grossière illusion  ! Nous perdons du temps  ! Que l'attaque soit lancée et qu'on en finisse  !

Mais la jeune fille a encore des choses à dire  :

— Un jour, père, tu m'as emmenée au lac des fées. Ce jour-là, tu m'as dit une chose que moi seule peut connaître  ! T'en souviens-tu  ?

— Je... Oui...

— Tu m'as dit cette phrase  : que tous les royaumes d'Eles valent beaucoup moins qu'un seul de mes sourires  !

MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant