Chapitre Quatre

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Quand on lui a annoncé la nouvelle, la princesse a essayé de faire bonne figure mais elle n'a pas pu empêcher le rouge de monter à ses joues, sa respiration de s'accélérer, sa langue de bafouiller ; elle est ensuite devenue toute blanche et a eu du mal à garder son équilibre, juste avant que son teint ne prenne des nuances verdâtres. Puis elle est allée se réfugier dans sa chambre où elle a beaucoup pleuré.
Tout le monde est maintenant au courant ; le Grand Révélateur s'est chargé de le crier à tue-tête. Demain aura lieu la cérémonie officielle au cours de laquelle lui sera annoncé ce qui l'attend pour le reste de sa vie.
Son destin, tout simplement.
Elle essaie de se rassurer en imaginant les différentes possibilités, les découvertes, les rencontres et les futures joies qui l'attendent, mais rien de tout ce qu'elle peut envisager ne lui semble aussi désirable que ce qu'elle possède déjà, ici à Mornglass dans sa vie de princesse.
Rien ne pourra être mieux que ce qu'elle a connu jusqu'à présent.

De son côté, Anaïs n'est pas davantage à la fête. Elle peut compter sur sa mère pour lui rappeler à quel point sa situation est fragile. Cette dernière a toujours été là pour briser ses rêves. Depuis toute petite, à la moindre occasion elle lui rappelle sa condition de servante. Parfois, elle la déteste. Elle préférerait avoir une mère comme celle de Priscille qui, même si elle est un peu superficielle, au moins ne s'ingénie pas à rabaisser sa fille en permanence sous prétexte qu'elle se fait du souci pour elle. Elle préférerait avoir une mère qui ne pense qu'à elle-même et qui se moque pas mal de ce qui peut lui arriver. Ce serait moins pénible que de sans arrêt s'entendre faire la leçon.
— Jusqu'à présent, tu as bénéficié de l'amitié de la princesse et tu as bien fait : tu en as trouvé bien des avantages.
— Mais ce n'est pas pour profiter d'elle que je l'ai fait, proteste Anaïs, notre amitié est sincère !
— Ne m'interromps pas, s'il te plaît ! Le problème, c'est qu'à force de la fréquenter, tu as fini par te croire princesse toi aussi, tu as eu tendance à oublier que tu n'es qu'une simple servante.
— C'est faux !
— Croyais-tu que la belle vie allait continuer éternellement ? Ta situation privilégiée n'était due qu'à l'amitié de la princesse et uniquement à cela. Sans cela, tu n'as plus rien, tu n'es plus qu'une servante parmi d'autres, et pas forcément la plus compétente ni la plus serviable !
— Je suis tout aussi capable que n'importe qui !
— Tu rêves, ma fille ! Ouvre les yeux ! La fréquentation de la princesse t'a donné de mauvaises habitudes ; tu es devenue impertinente et indolente, tu as négligé ton apprentissage. Ce n'est pas ce que l'on demande à un domestique, ce n'est pas ce que les maîtres recherchent. Ce que l'on attend d'une bonne servante, c'est qu'elle soit habile de ses mains, assidues à la tâche et qu'elle obéisse sans se faire remarquer. Qui donc voudra d'une fille qui a pris des goûts de luxe et des habitudes de paresse ? Je t'avais prévenue pourtant, ce n'est pas faute de te l'avoir rappelé. Mais voilà : chaque chose a une fin, ce qui devait arriver est arrivé. Demain, si la princesse s'en va du royaume, tu devras toi aussi partir pour aller chercher une place ailleurs. Si tu as de la chance, on acceptera de te prendre dans une bonne école de domestiques et tu pourras gagner ta vie en faisant de petits boulots. Mais tu devras commencer en bas de l'échelle, comme tout le monde, comme moi je l'ai fait à ton âge. Tu devras faire tes preuves.
Anaïs est trop abasourdie pour répondre. Elle n'avait pas imaginé ça. Devoir partir de Mornglass, quitter tous ses amis, n'être plus qu'une petite bonniche dans un milieu hostile. Peut-être l'enverra-t-on travailler au fond d'une mine ou bien dans une usine où elle devra trimer quatorze heures par jour, sept jours sur sept. Au fond d'elle, si elle savait qu'un jour sans doute la princesse partirait, elle avait espéré pouvoir rester tout de même au château, elle pensait qu'elle pourrait toujours se débrouiller pour gagner l'amitié de l'un ou l'autre personnage influent. Pourquoi la reine, par exemple, ne la garderait-elle pas dans sa suite ? Mais elle se rend bien compte maintenant que ce n'est pas réaliste ; sa mère a raison : elle n'a jamais été quelqu'un d'important que pour Priscille, les autres n'ont que faire d'elle ; il existe des tas d'autres servantes bien plus qualifiées qui sont prêtes à prendre sa place. C'est la dure loi de la vie. Finis les jours heureux ;  la dure réalité de sa condition de domestique lui revient en pleine face.
 
Le soleil se couche sur le royaume, laissant les deux jeunes filles plongées dans les affres d'une nuit agitée peuplée par les visions sombres d'un futur incertain. (Belle phrase, non ?)

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