Chapitre Trente-huit

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On ne peut vraiment compter sur personne. Les gens sont faibles, ignares et incompétents. Le monde est peuplé de vermine qui n'a d'autre horizon que sa petite personne, qui ne perçoit que ses intérêts immédiats, qui vit dans la médiocrité et qui s'en contente. Des larves immondes qui pataugent dans leur misérable petite vie sans intérêt, paralysées par la peur de perdre le peu qu'elles croient posséder.

Pourquoi les gens s'accrochent-ils tellement à leur lamentable existence  ? C'est quelque chose qu'Oltar n'a jamais compris.

Ce qu'il comprend depuis longtemps en revanche, c'est qu'il ne peut espérer l'aide de qui que ce soit. Depuis toujours il a dû se débrouiller seul, luttant contre l'imbécilité de ses semblables, bataillant contre leurs jugements ineptes, tout en essayant de se mettre à l'abri de leurs rivalités absurdes. Ce qu'il a acquis, il l'a acquis seul. Ce qu'il possède, personne ne le lui a donné  ; il s'en est emparé à force de ruse, d'audace et de persévérance.

Seul contre tous. Depuis toujours.

Seul contre leurs regards accusateurs, contre leur morale, contre leur jalousie.

Il a survécu lorsque tout le monde cherchait à l'écraser. Il a grandi, il est devenu plus fort, toujours plus fort.

Alors ce n'est pas aujourd'hui que tout va être remis en question. Ce ne sont pas quelques princesses en fuite et quelques soldats incompétents qui vont l'arrêter dans la réalisation de son oeuvre.

Il a commis une erreur  : il n'aurait jamais dû laisser Anaïs seule au château. Il a été faible  ; il n'aurait pas dû accéder à la requête de sa nièce. Depuis le début, jamais il n'aurait dû accepter que cette jeune fille l'accompagne. Ce n'était pas prévu dans le plan initial. Car c'est elle, évidemment, qui a délivré les princesses. Elle seule a pu le faire, elle seule a été capable de franchir le portail de sécurité.

Le château d'Antyla fonctionne comme une antenne qui diffuse l'énergie des jeunes filles torturées dans les caves. En se branchant sur sa fréquence, le comte peut ainsi bénéficier à distance d'une source de pouvoir inépuisable. Mais avec des caves vides, plus aucune énergie n'est produite.

Heureusement, ce n'est pas si grave. Il a tout prévu. On ne devient pas l'homme le plus puissant d'Eles si on n'est pas prévoyant. Il a plusieurs coups d'avance sur ses adversaires.

À ses côtés gît inconsciente la servante dont il vient de se repaître. Capucine est dans un sale état  : elle porte de nombreuses blessures et a perdu beaucoup de sang. Il n'y a presque plus rien à tirer d'elle.

Lorsqu'il ouvre la porte, il constate que la princesse Priscille est toujours là. Encore affamée, elle se précipite à l'intérieur et se jette sur la servante. Il ne cherche pas à la retenir. Priscille mord à pleines dents dans le cou de la jeune fille et se met à triturer ses blessures, cherchant désespérément à raviver ses souffrances. Cela fonctionne  : sous l'effet de la douleur, Capucine reprend connaissance et gémit à nouveau. Elle n'est pas encore totalement vide  ; il reste encore un peu d'énergie à lui soutirer.

Oltar laisse sa nièce se repaître tranquillement.

Lorsqu'elle a fini, elle se met à pleurer à chaudes larmes. La bouche et les mains couvertes de sang, elle s'adresse à lui entre deux sanglots  :

— Regardez  ! Regardez ce que je suis devenue  ! Je suis un monstre  ! Ô dieux du ciel  ! Qu'avez-vous fait de moi  ?! Qu'avez-vous fait de moi...

Oltar s'approche et pose sa main sur son épaule.

— Je comprends votre détresse, ma pauvre enfant.

Il a l'air sincère. Il y a de la tendresse dans sa voix. C'est la première fois que Priscille l'entend lui parler ainsi. Elle lui lance un regard implorant qui exprime l'ampleur de son désarroi.

— Il est temps de mettre fin à ce supplice, ajoute-t-il.

Il lui prend le bras et l'entraîne avec lui.

— Venez avec moi  ; désormais, vous n'aurez plus à faire de mal à qui que ce soit, je vous le promets.

MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant