Jamais Priscille ne s'est trouvée aussi belle. Elle ignorait qu'une tenue pouvait à ce point mettre son corps en valeur. Elle ne se lasse pas de se regarder ; elle pourrait rester des heures devant son miroir. Jamais elle n'a vu de femme aussi belle. Et cette femme, c'est elle.
Elle est la plus belle. La plus belle qui ait jamais existé, plus belle qu'une déesse, plus belle que la beauté elle-même ! Il n'y en aura jamais de plus belle, c'est impossible.
Mais il y a un problème.
Ainsi vêtue, elle est beaucoup trop sexy ! Jamais elle n'oserait se montrer dans cette tenue. Ses pieds sont nus, ses jambes sont nues, sa poitrine fièrement dressée est à peine voilée et, surtout, on voit la moitié de ses fesses !
Elle va faire savoir au comte que ce n'est pas possible ; elle ne peut pas se présenter à la réunion ainsi, non, vraiment, cela ne peut se faire. Il ne peut pas la forcer. Tous les grands du royaume seront là ainsi que les souverains des royaumes voisins. C'est la réunion la plus importante depuis qu'elle est là ! Peut-être s'agit-il d'une erreur ? Peut-être ses habilleuses ont-elles mal compris les instructions de leur maître, ou bien ce dernier ne s'est-il peut-être pas rendu compte de la parfaite indécence de cette tenue ?
Alors qu'elle s'apprête à appeler pour faire part de sa décision, quelqu'un entre brusquement dans ses appartements : Madame Kalisse.
— Eh bien, Princesse ? Que faites-vous donc ?! Vous ne... Oh !
Elle se fige et la dévisage avec stupeur.
— Que faites-vous donc dans cette tenue ?! N'avez-vous pas honte ?!
— Mais ce n'est pas moi qui...
— Changez-vous tout de suite ! l'interrompt la gouvernante. Vous n'aviez tout de même pas l'intention de sortir comme ça ?!
— Et pourquoi pas ?! lui répond Priscille d'un air de défi.
C'est qu'elle commence sérieusement à l'agacer, cette vieille pie, à toujours lui faire la morale comme si elle avait encore quinze ans. Elle est Princesse Corégente, désormais ! Elle a droit à un minimum d'égards !
— Si je parle au comte de votre attitude, vous allez le regretter, croyez-moi !
— Le comte ? Mais c'est précisément sous ses ordres que j'ai revêtu cette tenue !
— Quoi ?! Comment ? Mais... Cela ne se peut ! Enfin...
Priscille jubile de voir la confusion s'emparer d'elle.
— D'ailleurs, reprend-elle, il est grand temps que je le rejoigne. Allons ! Vous ne voudriez pas que j'arrive en retard par votre faute, n'est-ce pas ?
— Mais, non... Je...
Sans plus attendre, Priscille passe fièrement devant elle et sort de ses appartements. Dehors, les servantes qu'elle croise lui jettent des regards admiratifs et jaloux. Les soldats qui montent la garde ouvrent de grands yeux et restent bouche bée. Tout le monde se retourne sur son passage.
Derrière, Madame Kalisse suit en la morigénant :
— Princesse ! Je vous en conjure ! Faites demi-tour immédiatement ! Aucune jeune fille ne peut se montrer ainsi ! Par tous les dieux, avez-vous perdu la raison ?!
Mais plus elle rouspète et moins Priscille a envie de l'écouter.
Elles arrivent face au comte, qui se tient debout en les attendant.
— Votre Altesse, commence la gouvernante, je suis navrée. J'ai pourtant bien essayé de la raisonner mais....
Le comte l'interrompt :
— Il suffit, Madame ! Vous avez quelques secondes de retard, veillez seulement à ce que ça n'arrive plus. Inutile d'en faire toute une histoire. Suivez-moi, Princesse !
Il n'est pas le moins du monde choqué ni surpris par sa tenue, comme si c'était tout à fait normal. Mais peut-être cela l'est-il effectivement ? Peut-être la mode vestimentaire est-elle beaucoup plus libérée à Antyla qu'à Mornglass ?
Le comte entraîne Priscille qui se tourne une dernière fois vers Madame Kalisse, lui offrant un large sourire pour mieux savourer sa victoire. Cette dernière reste plantée sans rien dire, complètement suffoquée par ce qu'elle vient de voir.
Mais Priscille oublie vite sa gouvernante, car voici venu l'instant crucial : toujours au bras du comte, elle franchit la porte qui mène au lieu de la réunion. C'est une immense salle de forme rectangulaire, avec une large allée au milieu. Elle ne pensait pas qu'il y aurait tant de monde : ils sont plusieurs centaines ! Tous en grande tenue d'apparat, costumes rehaussés d'or et de pierres précieuses, certains portant sur la tête une couronne, d'autres en tenues exotiques. Toutes les femmes sont parées de bijoux étincelants et portent de magnifiques robes. Mais...
Mais aucune n'est habillée comme elle.
À peine aperçoit-on ci et là quelque décolleté ou bien l'un ou l'autre avant-bras dénudé. Et c'est tout. Tout le monde est habillé normalement. Il n'y a qu'elle dont le corps soit si scandaleusement exposé.
Du haut de l'estrade où ils se trouvent, elle domine l'assemblée. Tous les regards sont rivés sur elle.
Qu'est-ce qu'elle a fait ? Qu'est-ce qui lui a pris ? Pourquoi a-t-elle renoncé si facilement à sa résolution ? Elle n'aurait jamais dû sortir de ses appartements ! C'est comme un mauvais rêve dans lequel elle aurait oublié ses vêtements. Très mal à l'aise, elle se tourne vers le comte, mais celui-ci ne lui renvoie que son habituel regard froid et inflexible. Ensemble, ils descendent les quelques marches qui les séparent des invités. La longue litanie des présentations commence alors : le comte s'arrête devant chaque convive et prend soin de lui donner le nom de chacun, son grade, ses liens de parenté et un morceau de son histoire. Priscille fait semblant d'être intéressée mais elle écoute sans vraiment entendre. Sa concentration est perturbée par tous ces regards, étonnés ou offusqués. Si beaucoup sont admiratifs, nombreux sont-ils à ne pas cacher leur hostilité. Personne, en tout cas, ne reste indifférent. Dans les petits groupes qui se forment un peu partout, les commérages vont bon train. Elle aperçoit des visages connus : beaucoup de princes qu'elle a déjà rencontrés et certaines princesses avec qui elle a sympathisé. Il y a la duchesse Clara. Priscille s'efforce de lui sourire mais celle-ci ne réagit pas, se contentant de la fixer d'un air rêveur. Que va-t-elle penser d'elle ? Que vont-ils tous penser ? Mais après tout, ce n'est pas de sa faute, elle n'a fait qu'obéir aux instructions de son oncle. Or, c'est lui le chef ici. Il est le personnage le plus puissant de la région et peut-être même de tout Eles ! Alors qui pourrait lui reprocher quoi que ce soit ? Ce n'est pas sa faute. Le comte sait sûrement ce qu'il fait ; il doit avoir de bonnes raisons pour agir ainsi, même si ces raisons lui échappent pour le moment.
VOUS LISEZ
Mornglass
FantasyQuand on est princesse dans le monde d'Eles, seize ans, c'est l'âge où tout bascule. Malheureusement pour Priscille, son destin n'est pas celui dont elle avait rêvé. Son amie Anaïs, simple servante, parviendra-t-elle à la sauver ? Dans un monde fant...